Politique. Congrès. Ils ont décidé de faire confiance aux élus

« Nous avons décidé de faire confiance aux élus… » Gilles Cazimir le dit et c’est une surprise en Guadeloupe où l’allégation la plus lue sur les réseaux sociaux c’est : « impossible de faire confiance aux élus. »

Qui est Gilles Cazimir ? Le fondateur d’une association, Citoyens pour un Projet Guadeloupéen de société, CPGS.

Comment est née votre association ?

En décembre 2021, il y avait des émeutes en Guadeloupe et la création de « républiques ». Je me suis dit, avec d’autres personnes, que nous étions en train de brûler notre propre pays pour demander des solutions venues d’ailleurs. Comme tout le monde était bloqué, nous avons fait trois webinaires. Le premier, c’était pour clarifier la situation, le deuxième c’était pour s’entendre sur qu’est-ce qu’on veut, comment on peut le faire ? Le troisième, c’était définir une action citoyenne forte. Donc pendant ce mois-là, on a revu ensemble l’évolution de tous les territoires d’Outre-mer, de l’esclavage à aujourd’hui. Donc beaucoup ont découvert qu’il y avait une seule collectivité avant la régionalisation. Nous avons étudié la déclaration de Basse-Terre, la révision constitutionnelle de 2003, le premier congrès en 2001. On a eu toutes les résolutions. On les a lues et on s’est rendu compte en fait qu’après, une fois qu’on a dit non, pour de mauvaises raisons déjà, qu’on a dormi pendant 20 ans puisqu’on voit clairement les autres territoires d’outre-mer évoluer.

Surprenant silence !

C’est ça, donc on s’est dit comment cela se fait-il ? Et puis surtout on a vu qu’en 2012 il y a eu la création d’un projet guadeloupéen de société. Il y a eu des concertations, il y a eu du travail. Beaucoup ont travaillé sur ce projet. Et on a vu que pendant toute cette période, le congrès des élus avait été dévoyé. On a été aussi cherché «congrès des élus» dans le code général des collectivités territoriales. On a vu que ça servait à quelque chose, mais ce n’était pas utilisé pour ça. Donc on s’est dit on va demander à nos élus un vrai projet guadeloupéen de société. Voilà, c’est ce qu’on s’est dit.

Et donc ces élus vous ont répondu ?

C’était le 3 janvier 2022. Il y a eu 706 mails envoyés le même jour. Le mail a été envoyé au président de région et au président du département et également aux parlementaires, les députés et sénateurs, tout le monde en disant juste une phrase dans ce mail « Nous voulons un projet guadeloupéen de société. »
Mais, on n’a pas eu de réponse. Vous imaginez quand même un territoire comme le nôtre ? Il y a 700 citoyens qui envoient un mail à leur élu et rien. Pas de réponse. C’est même pas passé à la télé ! Le mois d’après, le 20 février, on a envoyé 903 mails. À tout le monde. Toujours pas de réponse. Et puis souvenez-vous, il y a eu, quelques mois après, la consultation réalisée par la délégation sénatoriale aux Outre-mer ; ils ont consulté les exécutifs de tous les Outre-mers. Ils demandaient quel était nos projets région par région. Donc Monsieur Chalus et Monsieur Losbar ont été auditionnés par les sénateurs. Les sénateurs leur ont demandé s’ils ont relevé cette action citoyenne puisqu’eux ont reçu des centaines et des centaines de mails de Guadeloupéens. Est-ce que ça a retenu leur attention ? Donc là, ils étaient plutôt embêtés.

Que s’est-il passé ensuite ?

On a continué comme ça, on a fait des webinaires, on a reçu l’ancien président de la délégation sénatoriale aux Outre-mer, Monsieur Magras, ancien sénateur de Saint-Barthélemy. Là-bas, ils sont quand même passés de petite commune à collectivité considérée comme la plus riche de la Caraïbe. On a reçu l’un des participants à la rédaction des articles 73 et 74 en 2003. On lui a demandé si avoir deux collectivités sur un même territoire avait du sens. On a reçu M. Mérion, du CAGI, M. Reno, du CAGI aussi, des spécialistes. Et puis on a continué comme ça. Sur l’octroi de mer nous avons vu des fiscalistes, on a reçu plein de gens très intéressants.

Vous êtes allée plus loin encore et c’est tout le sens de votre démarche actuelle.

Oui. Nous avons eu un contact avec le cabinet Francis Lefebvre. Le cabinet Francis Lefebvre a accompagné le Luxembourg, la principauté d’Andorre, les Émirats arabes unis. Mais surtout ils ont aidé Saint-Barthélemy à négocier leurs compétences fiscales pendant sept années avec la France. Donc, ils connaissent le sujet et en plus il n’y a pas plus haut niveau d’expertise. C’est leur job, ils ont accès aux chiffres.
Nous leur avons dit que nous sommes une association de citoyens et que nous voulions avancer sur un dossier particulier. Nous avons en Guadeloupe, des compétences dans de nombreux domaines : en développement économique, en social, en urbanisme, en aménagement du territoire, en environnement et en énergie. Mais, le seul domaine dans lequel nous ne sommes pas compétents, c’est la fiscalité.
Et ce n’est pas besoin d’être grand économiste pour comprendre qu’on ne peut pas avoir de levier sur le développement économique sans avoir la compétence fiscale. Ils ont été d’accord pour travailler avec nous.  Ils ont créé une dream team d’avocats fiscalistes. Ils nous ont dit qu’ils vont récupérer tous les chiffres au niveau de l’État, la contribution de la Guadeloupe au budget de l’État, la contribution de la Guadeloupe au budget de l’Union européenne, les rentrées fiscales de l’Octroi de mer, de l’impôt sur le revenu.
Et ensuite, une fois qu’ils avaient ces documents, ils proposaient de venir en Guadeloupe et de rencontrer tout le monde pour la mise en place d’une architecture locale de la fiscalité.
Cette démarche n’a jamais existé dans notre histoire. Quand nous avons reçu cette proposition, le cabinet nous demandait 100 000€ pour ce travail. Que faire ? On s’est dit qu’il fallait réunir la somme mais que, de toutes les façons, même si nous y arrivions, nous aurions un rapport génal mais rien d’autre. Personne que nous le verra.

Et c’est là que vous avez fait quelque chose de nouveau, à contre courant des idées reçues !

Oui, nous nous sommes dit : on va faire confiance aux politiques. On va changer de manière de faire. Et si les citoyens pouvaient décider à nouveau de faire confiance à leurs politiques et qu’on puisse travailler ensemble ? Nous avons fait un courrier à tous les élus et nous n’avons eu que deux réponses, une de Thierry Abelli, qui a sensibilisé les autres élus, une d’Olivier Serva à laquelle nous n’avons pas pu donner suite. Nous ne nous sommes pas entendus. Nous avons aussi été reçus par des élus de Cap Excellence qui nous ont demandé pourquoi nous avions été chercher des experts en France, qu’il y a des experts en Guadeloupe, etc. Bref. Ça les intéressait plus que le projet.

Et vous avez tapé plus haut !

Dans le cadre de la commission ad-hoc du dernier congrès, il y a quelques mois, on a fait cette contribution, tout simplement. Nous avons été reçus par le président du Congrès, Guy Losbar. Nous lui avons transmis le document et on lui a dit : voici ce que nous avons fait. Contactez directement le cabinet Francis Lefebvre. Il s’est étonné que nous ayons pu aller aussi loin. Nous lui avons répondu que nous avions eu les contacts par des attachés parlementaires, des gens de l’Hexagone. Donc ils ont pris le projet et après aucune nouvelle pendant des mois, des mois, des mois et des mois. Et enfin, Monsieur Losbar a donné suite, s’est approprié le projet. Et nous, on est super bien content.

Vous mettez beaucoup d’espoirs dans le travail du Congrès ?

Ecoutez, nous ne sommes pas des victimes. Oui, nous subissons des choses, mais si nous avons la responsabilité de changer, on peut créer une forme de responsabilité citoyenne. On ne peut pas rester là à se plaindre, se plaindre, se plaindre. Il faut que certains élus arrêtent de faire peur aux Guadeloupéens. Parce que c’est ce qui se passe. Ils disent que c’est compliqué, il y aura ci, il y aura ça. Nous, quand on voit ça et qu’on l’explique, tout le monde comprend en une phrase. 73 74, tout le monde comprend. C’est très simple en fait, mais ils compliquent les choses et ils font peur aux gens. Ils doivent sortir des postures. On sait qu’il y a des élections bientôt. On le sait, mais il faut sortir des postures.
Quand on a étudié l’histoire, on se rend compte que ce que nous sommes en train de vivre aujourd’hui, c’est exactement comme en 2023. En 2003. C’est-à-dire que les résolutions d’aujourd’hui, quand on prend les premières résolutions du premier congrès, c’est exactement les mêmes mots, les mêmes termes, ce sont les mêmes choses. Donc les élus ont voté pareil à l’unanimité. Ok, génial. Sauf qu’à l’époque, la population n’était pas informée, elle ne comprenait pas, donc elle a été manipulée.
Le problème d’aujourd’hui, il est inverse. Aujourd’hui, il y a une forme d’infobésité, il y a trop d’informations. Et il n’y a plus d’intérêt, plus de confiance dans les élus. C’est dramatique parce que la prochaine étape, la population va être consultée. Et le pire, qu’est-ce que dit la population ? Ils disent que c’est difficile de faire avec les élus en place, mais personne ne leur explique qu’en cas de création d’une collectivité unique, les élus actuels ne seront plus élus, il va falloir revoter. Donc c’est aussi un moment très important pour la population de renvoyer tous les partis politiques à leur cahier, à leur stylo pour que tous viennent devant la population en proposant un projet guadeloupéen de société. Notre défi, c’est de travailler ensemble, les citoyens et les élus, pour l’avenir de la Guadeloupe.

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