« Les États-Unis ont l’intention de partager un projet de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU visant à créer un Bureau d’appui des Nations unies pour une force multinationale de sécurité en Haïti », a confirmé un porte-parole du Département d’État, cité par le Miami Herald, quelque six mois après les recommandations d’António Guterres en faveur du renforcement de la MMAS qui n’a jamais reçu ni les fonds, ni la totalité des hommes et des équipements promis.
Le porte-parole du Département d’État, selon le Miami Herald, n’a pas précisé quand la résolution serait soumise au vote, mais des sources indiquent qu’elle pourrait être abordée lors d’une réunion du Conseil de sécurité consacrée aux enfants, aux conflits armés et aux droits humains en Haïti. Cette discussion est organisée par le Panama, qui préside le Conseil de sécurité ce mois-ci.
« Le soutien américain au dispositif logistique va redonner de l’élan aux discussions » sur la mission menée par le Kenya en Haïti, a déclaré Daniel Forti, analyste principal à l’ONU pour l’International Crisis Group.
« Mais Washington ne peut pas présumer que les autres membres du Conseil de sécurité l’accepteront facilement, après des mois de retard. Les gangs ont accru leur contrôle sur Port-au-Prince tandis que les États-Unis prenaient tout leur temps pour délibérer. Les diplomates américains doivent se préparer à fournir un gros effort pour mener ce projet à terme », selon l’expert.
Ce soutien longtemps attendu à la proposition de Guterres intervient dans un contexte compliqué pour les relations entre l’administration Trump et l’ONU. Le mois dernier, le Congrès a approuvé une proposition de l’administration visant à reprendre plus de 7 milliards de dollars de dépenses d’aide étrangère, incluant des millions de dollars destinés aux agences onusiennes et 361,2 millions initialement approuvés pour les opérations internationales de maintien de la paix, souligne le Miami Herald.
Des éléments de la proposition de Guterres
La transformation de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) en une mission de maintien de la paix « n’est pas considérée comme une option réalisable », avait écrit le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, au président du Conseil de sécurité, M Fu Cong, le 24 février 2025. « Une telle transition pourrait être envisagée une fois que des progrès significatifs auront été réalisés dans la réduction substantielle du contrôle territorial des gangs », avait poursuivi Guterres, estimant qu’il y a « l’option réaliste ».
Cela passe par une stratégie à double voie qui permet aux Nations unies d’assumer de nouveaux rôles pour permettre à la MMAS, à la police nationale et aux autorités haïtiennes de réduire de manière substantielle le contrôle territorial des gangs par le biais de l’imposition de la paix. Le secrétaire général avait indiqué que cela « nécessiterait un mandat solide pour l’utilisation de la force et les capacités de mener des opérations ciblées contre les gangs. »
« L’avantage comparatif de la MMAS par rapport à une éventuelle opération de maintien de la paix des Nations unies dans le contexte actuel réside dans son mandat robuste d’utilisation de la force pour entreprendre des opérations ciblées conjointes contre les gangs avec la police nationale. L’élément central de la mise en œuvre de la nouvelle stratégie proposée serait la création d’un Bureau d’appui des Nations unies, financé par les contributions au maintien de la paix. Ce bureau fournirait un soutien logistique et opérationnel complet de l’ONU à la MMAS, ainsi qu’un ensemble limité de soutien non létal à la police nationale participant à des opérations conjointes ou coordonnées avec la MMAS. Il faudrait également augmenter l’effectif de la MMAS et la renforcer avec des capacités militaires et des équipements létaux supplémentaires fournis bilatéralement par les États membres afin de combler les lacunes actuelles. Cela permettrait de transformer le financement de la MMAS en un modèle hybride plus stable et plus prévisible qui comprendrait un financement important des contributions au maintien de la paix associé à des contributions volontaires plus importantes », avait détaillé la lettre du secrétaire général de l’ONU au président du Conseil de sécurité.
Le soutien, selon Guterres, pourrait englober l’ensemble du soutien logistique, administratif et opérationnel généralement fourni à une opération de maintien de la paix des Nations unies, bien que sa portée soit limitée par la taille et la zone géographique d’opérations prévues de la MMAS. Les domaines de soutien pourraient inclure l’hébergement, le soutien à la vie (nourriture, carburant et eau), le soutien à la mobilité (transport terrestre, contrôle des mouvements, aviation), la capacité médicale en Haïti et à l’extérieur (y compris le medevac vers des niveaux de soins plus élevés), l’ingénierie et le soutien à la gestion des installations, le soutien à l’approvisionnement général, et les communications, les technologies de l’information et le soutien au SIG. L’utilisation de fonds évalués permettrait de fournir d’autres formes de soutien, y compris la rotation des troupes et l’approvisionnement local.
Il serait adapté aux besoins opérationnels de la MMAS, notamment par la mise en place et la fourniture d’un soutien aux bases d’opérations temporaires et à d’autres déploiements opérationnels temporaires. Le soutien fourni au MMAS devra également être ajusté en fonction des modifications du modèle opérationnel, des effectifs, de l’empreinte du déploiement ou d’autres changements majeurs, avait écrit Guterres au début de l’année. Avec l’arrivée d’une nouvelle administration à Washington, le remplacement de l’ambassadeur Dennis B. Hankins par le chargé d’affaires Wooster, il y a eu un petit peu de flottement et d’incertitude sur les grandes orientations de la politique de M. Trump par rapport à Port-au-Prince.
Des initiatives sur le front de la sécurité
Les États-Unis ont ordonné le déploiement de forces aériennes et navales américaines dans le sud de la mer des Caraïbes afin de contrer les menaces des cartels de la drogue latino-américains, ont déclaré jeudi à Reuters deux sources informées de la décision.
Les sources, a rapporté l’agence, disposaient de peu de détails sur l’opération, mais le président Donald Trump souhaitait recourir à l’armée pour traquer les gangs de la drogue latino-américains, qualifiés d’organisations terroristes mondiales. Le Pentagone avait reçu pour instruction de préparer des options. Trump a fait de la lutte contre les cartels de la drogue un objectif central de son administration, dans le cadre d’un effort plus large visant à limiter les migrations et à sécuriser la frontière sud des États-Unis.
Ces derniers mois, l’administration Trump a déjà déployé au moins deux navires de guerre pour contribuer à la sécurité des frontières et à la lutte contre le trafic de drogue.
Les sources, s’exprimant sous couvert d’anonymat, ont indiqué que le ministère de la Défense avait commencé à ordonner le déploiement de forces aériennes et navales américaines au sud de la mer des Caraïbes. « Ce déploiement vise à contrer les menaces à la sécurité nationale des États-Unis émanant d’organisations narco-terroristes spécifiquement désignées dans la région », a déclaré l’une des sources. L’administration Trump avait désigné le cartel mexicain de Sinaloa et d’autres gangs de trafiquants de drogue ainsi que le groupe criminel vénézuélien Tren de Aragua comme des organisations terroristes mondiales en février, alors que Trump renforçait l’application des lois sur l’immigration contre les gangs présumés.
Haïti, transit de la drogue
La saisie menée par la Police nationale d’Haïti (PNH), dimanche 13 juillet 2025, sur l’île de la Tortue, dans le département du Nord-Ouest, de 1045 kilos de cocaine à bord d’un bateau, rappelle qu’Haïti est, depuis plusieurs décennies, une route de transit utilisée par les cartels de drogue mexicains, vénézuéliens et colombiens. La connection entre des gangs dont la coalition Viv ansanm, déclarée organisation terroriste le 2 mai 2025 par le Département d’ État, a été longuement documentée par des experts de l’ONU.
Les routes de la drogue, le Sud, principal porte d’entrée
Un examen des saisies récentes effectuées par la police a révélé l’existence de multiples routes de la drogue à travers Haïti. De novembre 2022 à juillet 2023, de la drogue a été saisie sur la côte sud (Baie des Flamands, les Cayes, Île-à-Vache et Plaisance-du-Sud) et dans le nord d’Haïti (Cap-Haïtien, Port-de-Paix et Artibonite), mais aussi dans les départements du Centre (Hinche et Mirebalais) et de l’Ouest (Plaisance et Bon-Repos). Le sud d’Haïti est la principale porte d’entrée de la drogue dans le pays, notamment de la marijuana en provenance de la Jamaïque et de la cocaïne provenant principalement de Colombie, mais aussi d’autres pays d’Amérique du Sud, avait indiqué un rapport du groupe d’experts de l’ONU en 2023, avant les événements de 2024 et de cette mi-2025 qui ont consacré la prise en main de presque tout Port-au-Prince et de plusieurs autres communes.
De multiples sources ont informé le groupe d’experts que les points d’entrée de la drogue se trouvaient sur la côte sud : Jacmel, Anse-à-Pitres, Grand Bois, les Cayes, Dame-Marie et Île-à-Vache, ainsi que Port-Salut et Jérémie. Les pistes d’atterrissage clandestines sont nombreuses, notamment à Savane Diane, dans le département de l’Artibonite, et vers le Sud et le Sud-Est, à Jacmel, selon les experts de l’ONU.
À l’issue de visites dans la région, il a été établi que le département colombien de Guajira était un point stratégique pour le transport de cocaïne vers Haïti. Cette information a été corroborée par une source fiable, qui a indiqué que la drogue arrivait de Guajira sur la côte sud d’Haïti en bateau ou par de petits avions pouvant passer sous le radar. Elle traversait ensuite la frontière dominicaine, par voie terrestre, vers Punta Cana, puis vers Porto Rico. D’après d’autres sources, de petits avions larguaient de la drogue près l’Étang Saumâtre, à la frontière avec la République dominicaine, et au-dessus du département de l’Artibonite.
Aux points de sortie, la majeure partie de la cocaïne est expédiée aux Bahamas dans de petites embarcations et des avions. Port-de-Paix et la petite île de la Tortue, au large de la côte nord-ouest, sont des stations d’expédition stratégiques. Des envois se font également de Miragoâne, Saint-Marc ou Cap-Haïtien.
Plusieurs saisies ont été signalées à Miami River dans le passé. Même si les saisies ont baissé ces deux dernières années, les services de détection et de répression nationaux et internationaux ont expliqué que l’instabilité et la faiblesse des contrôles portuaires en Haïti faisaient le lit des activités illicites transnationales, notamment du trafic de stupéfiants, selon le rapport des experts de l’ONU.
Le gang 5 segond dans le trafic de la drogue
Le gang « 5 Segond » exploite les piètres conditions de sécurité pour générer des revenus supplémentaires grâce au trafic de drogue. D’après certaines sources, la drogue est expédiée directement d’Amérique du Sud vers la zone du Village de Dieu, parfois accompagnée d’armes à feu. Depuis Village de Dieu, Izo bénéficie de l’appui d’autres gangs, tels que Canaan, Gran grif et Kokorat san ras, pour acheminer la drogue jusqu’à Port-de-Paix et hors du pays. Les routes nationales partant de Port-au-Prince sont contrôlées par des gangs, que les trafiquants doivent payer s’ils veulent faire passer leur drogue et leurs armes par leur territoire, peut-on lire dans ce rapport de l’ONU.
Base Pilate dans le transport de drogue
Selon le rapport, « le groupe d’experts a reçu des informations selon lesquelles Base Pilate a activement contribué à faciliter le transport de la drogue pour le compte d’individus influents, en utilisant des véhicules blindés munis de plaques d’immatriculation officielles afin d’éviter les contrôles. L’utilisation présumée des plaques d’immatriculation de la police et du gouvernement pour transporter de la drogue et des armes compromet la lutte contre les activités illicites. »
La drogue nuit à la stabilité, à la sécurité du pays
Le groupe d’experts est d’avis que le faible nombre de saisies de drogue ne reflète pas le niveau réel du trafic. Le trafic de drogue, qui est une source importante de revenus pour certains gangs, nuit à la paix, à la sécurité et à la stabilité d’Haïti. On en veut pour preuve les ambitions expansionnistes d’Izo. Le groupe d’experts poursuit son enquête sur cette question, notamment sur les liens entre les élites et les gangs impliqués dans le trafic de drogue, leurs réseaux et leurs modes opératoires, avait indiqué les auteurs de ce rapport.
DEA n’a jamais été aussi faible en Haïti
Si le président américain, Joseph Robinette Biden, le 15 septembre 2023, via un « mémorandum sur la détermination présidentielle des principaux pays de transit ou de production de drogues illicites pour l’année fiscale 2024 », avait confirmé qu’Haïti figure dans le classement des pays de transit ou qui ne font pas assez dans la lutte contre la drogue aux cotés de l’Afghanistan, des Bahamas, du Belize, de la Bolivie, de la Birmanie, de la République populaire de Chine (RPC), de la Colombie, du Costa Rica, de la République dominicaine, de l’Équateur, du Salvador, du Guatemala, du Honduras, de l’Inde, de la Jamaïque, du Laos, du Mexique, du Nicaragua, du Pakistan, du Panama, du Pérou et du Venezuela, la DEA n’a jamais été été aussi faible en Haïti.
Rubio fait l’éloge des Dominicains
« En ce qui concerne notre coopération contre la drogue et la criminalité, la République dominicaine a récemment obtenu des résultats exceptionnels, des saisies historiques de drogues destinées aux rues des États-Unis. Aujourd’hui, je vais signer une dérogation pour nos programmes, nos programmes d’aide extérieure, qui fonctionnent en collaboration avec nos partenaires ici et qui ont connu du succès, afin que ces succès puissent se poursuivre. Nous allons également chercher des opportunités de développer ces programmes en mettant à disposition de nouvelles technologies qui permettront d’accroître leur efficacité dans la lutte contre ces drogues », avait indiqué le secrétaire d’État américain en janvier 2025 lors d’une visite à Santo Domingo.
Abinader et les grands moyens
Après la rencontre de janvier, le président Luis Abinader, en février, avait fait des annonces sur son choix d’affecter des hommes et des ressources dans la lutte contre les narcos-cartels.
« Je remercie les États-Unis pour leur soutien dans la lutte contre le trafic de drogue, le crime organisé et l’immigration clandestine, témoignant de notre engagement commun en faveur de Caraïbes plus sûres et plus prospères. Face à la menace croissante des drogues de synthèse et à l’issue de nos échanges bilatéraux, j’ai décidé de nommer le vice-amiral Cabrera Ulloa au poste de responsable de la lutte contre la drogue, chargé de mener nos efforts conjoints avec les États-Unis pour enrayer l’expansion de cette substance qui a fait de nombreuses victimes dans votre pays. L’excellent parcours de Cabrera Ulloa le prépare à mener à bien cette nouvelle initiative. En matière de sécurité, la République dominicaine s’est révélée un allié stratégique dans la région. Nous disposons d’un plan global de contrôle des migrations et de lutte contre les structures criminelles, qui comprend le renforcement de nos forces armées, la mise en œuvre de technologies avancées d’identification biométrique, le durcissement des mesures contre les criminels et le renforcement de notre législation contre les drogues et la criminalité transnationale. Nous bénéficions également d’une coopération juridique internationale de haut niveau, avec une coopération et des extraditions solides et une application de la loi sans précédent dans la région. L’engagement de la République dominicaine en faveur de la stabilité régionale est ferme à cet égard », avait annoncé Luis Abinader.
Une coopération sécurité/défense qui bat de l’aile
Alors que l’administration Trump cible les cartels de drogue, en Haïti, la coopération sécurité et particulièrement défense n’a pas donné les résultats escomptés. L’articulation de la menace de défense et de sécurité nationale d’Haïti et des pays de la région n’est pas suffisamment avancée par Haïti pour ajuster ou réorienter sa coopération avec les USA et d’autres pays de la région.
Source : Le Nouvelliste