Opinion. Le projet de loi Valls repose sur des contre-vérités

PAR OLIVIER HUYGHUES DESPOINTES*

Olivier Huyghues Despointes

Ce n’est pas en répétant cent fois un mensonge qu’il devient vérité. Construire un projet de loi contre la vie chère sur des contre-vérités ne peut aboutir qu’à un échec de l’objectif visé. Les Martiniquais ne verront donc pas les prix de leurs caddies, des véhicules et des biens auxquels ils ont droit, baisser.

Et pour cause… La vérité est la suivante…

La Martinique subit, comme beaucoup d’autres territoires, des coûts engendrés par l’éloignement de plusieurs milliers de kilomètres impliquant une logistique coûteuse et une gestion importante des stocks.

Puisque la vérité est toujours complexe, soyons exhaustifs :

  • La logistique amont, c’est-à-dire l’empotage et le conditionnement des marchandises ;
  • Le fret et les frais associés comprenant l’acheminement au port, la manutention, le transport maritime et l’ensemble des taxes portuaires et de traitement douanier ;
  • La logistique avale avec la rétention, l’éclatement puis la livraison des stocks.

L’éloignement et donc la longueur de la chaîne d’approvisionnement induit aussi des coûts indirects comprenant :

  • La casse et la gestion des dates de validité avec des pertes importantes en cas de retard ;
  • Une taille supérieure des stocks afin d’éviter les ruptures ;
  • Des surfaces de stockage plus importantes sur un territoire en forte tension immobilière avec des coûts de construction parasismiques et anti cycloniques plus onéreux.

L’étroitesse de notre marché de 350 000 habitants apporte aussi sa contribution aux difficultés, avec des coûts de production plus élevés, de faibles débouchés et l’absence d’économies d’échelle.

Notre bassin régional ou zone économique se distingue de surcroît par la présence de peu d’industries, une agriculture déstructurée et l’insuffisance de liaisons maritimes entre les îles des Caraïbes.

Tous ces vents contraires ont un effet dévastateur sur notre population en réduisant très fortement son niveau de vie. Les Martiniquais connaissent une précarité significativement plus forte que dans l’Hexagone, avec un taux de pauvreté de 28 % contre 14 %, et un taux de chômage de 14 % contre 7 %. La population est en proie à un manque de pouvoir d’achat consécutif à des revenus 14% plus bas que dans l’Hexagone et des prix de l’alimentaire 40% plus importants pour les raisons évoquées supra. 

Rapportées à leurs populations respectives, il y a autant d’enseignes alimentaires en Martinique qu’en métropole et ces dernières ne sont pas plus performantes puisque dégagent au mieux 2 % de résultats.  Constat également confirmé dans le dernier rapport de l’Insee.

Par contre, on omet fréquemment le poids de la fiscalité locale sur les prix de revient des marchandises importées, laissant croire au consommateur que ce sont les enseignes de la grande distribution qui font de la marge. Pour le seul octroi de mer, c’est plus de 400 millions d’euros qui sont directement intégrés dans les prix et donc ampute le pouvoir d’achat des martiniquais de la même somme. Et des taxes invisibles pour le consommateur il y en a sur l’activité et le foncier de toutes les entreprises martiniquaises, permettant ainsi à la Martinique d’être championne de France du fonctionnariat par nombre d’habitants.

Malgré les tensions et le sujet de la vie chère, les élus de la CTM (Collectivité Territoriale de Martinique) ont voté le 25 juillet 2025 une ligne budgétaire supplémentaire augmentant les tarifs d’octroi de mer, donc les prix dans les grandes surfaces, sur 62 familles de produits. Alors même qu’il y a 8 mois l’accord vie chère prévoyait une baisse sur un nombre équivalent de familles. Cette mesure à elle seule devrait rapporter 28 millions d’euros à la collectivité.

Depuis la crise Covid et la forte inflation mondiale qui s’en est suivie, c’est près de 100 millions d’euros de recettes d’octroi de mer qui ont été collectés en plus et sont venus augmenter les prix des marchandises (le coefficient de taxe étant basé sur le prix d’achat et de transport des marchandises). 

Depuis le 1er juillet 2025, le prix du cheval fiscal est passé de 30 à 53 euros, soit une hausse de 77% des frais sur les cartes grises, impactant de nouveau les contribuables de 6 millions d’euros sur un territoire ne disposant pas de transports en commun performants, rendant la voiture indispensable au quotidien.

On voit combien ce ne sont pas les entreprises qui fixent seules les prix en Martinique…

Toutes ces vérités sont occultées par quelques contre-vérités – massues qui monopolisent l’attention des politiques et des médias : il n’existe ni monopole, ni marges abusives dans la grande distribution, comme l’indiquent tous les rapports successifs des services de l’État depuis plus de 15 ans — y compris les plus récents. L’INSEE vient une nouvelle fois de le confirmer en juillet 2025 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8608822.

Le projet de loi contre la vie chère, présenté par Monsieur Manuel Valls, ne répond pas à ces vérités qui sont autant de raisons sur lesquelles il aurait fallu agir pour lutter contre le manque de développement, de revenus et de pouvoirs d’achat en Martinique.

Le projet de loi Valls, fondé sur un constat erroné et idéologique, ne peut que proposer de fausses solutions totalement inefficaces face aux attentes de nos concitoyens au risque d’accroitre ce sentiment persistant d’injustice.

Cette loi ne fera qu’aggraver les contraintes des acteurs économiques, sans pour autant faire baisser les prix. Pire, en voulant s’attaquer aux grandes entreprises, le ministre d’Etat, ministre des Outre-Mer pénalise surtout les petits. En effet, plus les contraintes s’accumuleront, plus elles excluront ces dernières de l’accès au marché, de surcroit sur une territoire ou la concurrence est féroce. Ces mesures finiront par détruire le petit commerce local.

La fermeture successive d’entreprises et de trois leaders martiniquais de l’alimentation ces 14 dernières années témoignent du niveau de concurrence et d’exigence de notre territoire. Nos métiers sont difficiles et percutés par les effets des crises successives, en particulier celle de 2024 marquée irrémédiablement par des violences urbaines contre les biens et les personnes. La comptabilité de l’IEDOM en témoigne tous les trimestres, avec l’augmentation des défaillances d’entreprises en Martinique, alors qu’elles sont en recul dans l’Hexagone : https://www.iedom.fr/IMG/pdf/defaillances-entreprises-trimestre-1-2025-iedom-ieom.pdf.

Les Martiniquais ont besoin aujourd’hui de solutions pérennes impactant leur bien-être, pas de mesures démagogiques qui ne changeront pas leur quotidien.

Les entreprises sont la solution pour lutter contre la vie chère. Elles créent des emplois, des revenus et du pouvoir d’achat. Elles font partie de la réponse et pas du problème. Les stigmatiser et les surcharger de nouvelles obligations, c’est aggraver les coûts… et donc la vie chère.

Agir sur les revenus plus que sur un contrôle administratif et bureaucratique toujours plus lourd des acteurs économiques aurait été une des solutions à la vie chère.

La loi Valls se trompe de chemin, elle est une erreur et va nous faire perdre de précieuses années.

*Chef d’entreprise martiniquais

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