Marie Roseline Darnycka Belizaire est une haïtienne, un médecin formé à Cuba, une spécialiste en médecine familiale et communautaire, elle est détentrice d’un doctorat en épidémiologie et santé publique à l’université Alcala de Henares à Madrid, d’un MBA à Queen Mary London University et d’un Fellowship en santé globale à Havard School of Public Health.
Elle était responsable de la coordination de la réponse contre l’Ebola en République démocratique du Congo et de la Covid-19 en République Centrafricaine. Coup de projecteur sur une femme de terrain, une star malgré elle, qui inspire les jeunes et révolutionne le concept « humanitaire » au sein de l’Organisation mondiale de la santé.
La République démocratique du Congo a déclaré la fin officielle de sa quinzième épidémie d’Ebola en septembre 2022, soit 4 ans après la première apparition de cette maladie effrayante le 8 mai 2018 ayant provoqué 33 décès en 3 mois sur 38 cas confirmés. Derrière cet exploit historique se cachent des pieds sur le terrain, des cerveaux dans les postes de contrôle, des multitudes d’anonymes remplissant des tâches ingrates mais utiles comme c’est souvent le cas dans l’humanitaire.
En août 2020, à l’occasion de la Journée mondiale de l’aide humanitaire, dans le cadre de la campagne #RealLifeHeroes du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), un nom est sorti du lot pour symboliser cette synergie entre les entités étatiques en République démocratique du Congo et les agences des nations Unies: Dr Marie Roseline Darnycka Belizaire.
« Dr Marie Roseline Bélizaire, héroïne de tous les jours à l’OMS », titre le site web des Nations unies dans un mini documentaire consacré au parcours de cette haïtienne de sang et de cœur.
« J’ai choisi la médecine communautaire parce que je veux être et travailler avec la communauté. La meilleure chose que nous pouvons faire pour les communautés est de les empêcher d’avoir à être guéries, en les gardant en bonne santé. Tout peut être évité au niveau de base. Je suis allée à Cuba et j’ai vu comment la médecine se développe au niveau familial et communautaire. Les médecins vivent dans leur communauté et ils savent tout sur la santé et les maladies de leur population. Lorsque vous êtes avec la communauté, vous vous asseyez et les écoutez vous dire ce qu’ils ressentent. En RDC, lors de la riposte à Ebola, je me suis rendue dans des villages Maï-Maï (milices communautaires). Je me suis assise et j’ai mangé avec eux : si vous mangez avec eux, ils vous feront confiance », a-t-elle expliqué dans ce mini documentaire.
Sa réputation a traversé les continents comme une fusée spatiale. La journaliste Alice Cuddy dans son article pour BBC News titré « Ebola : comment empêcher la propagation d’une maladie » a repris à des mots près Dr Marie Roseline Darnycka Belizaire dans le processus visant à contenir cette maladie. Elle y est présentée comme la figure de proue dans la lutte contre la deuxième épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo ayant fait plus de 1600 morts au total.
En 2020, les mécanismes de contrôle de l’Ebola sont mis en place en République démocratique du Congo, mais l’épidémie n’a pas dit son dernier mot. Pas encore. Du côté de l’Organisation mondiale de la santé, il y a une situation plus urgente à gérer pour une experte de la trempe du Dr Marie Roseline Darnycka Belizaire: la propagation de la Covid-19 en République Centrafricaine.
Entre deux épidémies à haut risque vital, l’organisation mondiale de la santé a décidé d’envoyer l’une de ses meilleures spécialistes en République Centrafricaine pour combattre la Covid-19.
En mars 2020, elle est arrivée en République Centrafricaine comme Jeanne D’arc à la porte d’Orléans, star malgré elle, pour aider à combattre une pandémie à allure apocalyptique. Et c’est peu dire !
Dans un portrait du journal français Le Figaro consacré au parcours du Dr Marie Roseline Darnycka Belizaire en Afrique, la journaliste d’investigation Mélanie Gouby décrit en ces termes cet instant unique dans la lutte contre les épidémies en Afrique:
« Marie Roseline Belizaire est probablement la dernière personne à avoir atterri à l’aéroport de Bangui. L’avion des Nations unies, affrété pour son seul usage depuis Goma en République démocratique du Congo, où elle travaillait depuis plus d’un an dans la réponse humanitaire contre Ebola, a dû obtenir l’autorisation personnelle du président Faustin-Archange Touadéra pour la débarquer le 28 mars, unique passagère et ultime renfort dépêché par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour préparer la République centrafricaine au Covid-19. »
De la tragédie à la vocation
De la la rafle des intellectuels arméniens du 24 avril 1915 à Constantinople, Charles Aznavour a interprété l’un de ses plus beaux titres: ils sont tombés. De la mort de son père en 1997 après moins de 48 heures d’hospitalisation dans une clinique à Port-au-Prince, le Dr Marie Roseline Darnycka Belizaire a trouvé sa vocation: la médecine. Elle a fait ses études médicales entre mai 1999 et août 2005 à l’école latino-américaine de médecine de Cuba.
En entrevue avec le quotidien Le Nouvelliste, elle est revenue sur ce moment qui a tout changé. « e n’arrivais ni à comprendre ni à expliquer à ma mère et mes jeunes frères que je regardais souffrir, crier en sanglots. Je me suis sentie impuissante. Je me disais si j’étais médecin, je pouvais au moins expliquer les causes et ce serait un moyen de leur consoler et d’atténuer leur souffrance », et d’ajouter : « J’ai toujours aimé servir les autres et leur procurer du bien-être. La médecine est une vocation profondément ancrée dans mon désir d’aider les autres. Depuis mon enfance, j’ai toujours eu une sensibilité particulière aux souffrances humaines, et j’ai voulu me donner les moyens de transformer cette sensibilité en actions concrètes. Je suis aussi accro aux études. La médecine m’a offert une double opportunité : servir passionnément les sociétés tout en ayant un métier qui me permet d’apprendre sans cesse. »
Après les études médicales, elle a décidé de faire carrière en épidémiologie. « Je crois que c’est le contraire, je crois que l’épidémiologie qui m’a choisie (rire). Après avoir débuté en médecine familiale et communautaire, je me suis vite rendue compte que soigner les individus ne suffisait pas. Les maladies ont souvent une dimension collective, sociale et environnementale. L’épidémiologie m’a permis de franchir ce pas : comprendre les déterminants de santé à l’échelle des populations, agir sur la prévention que ce soit les maladies transmissibles et non-transmissibles, et contribuer à renforcer les systèmes de santé pour mieux anticiper les épidémies. Je suis aussi médecin de santé publique, cette dimension vient compléter l’épidémiologie en me donnant le cadre plus large : elle intègre la gouvernance, l’équité, la communication avec les communautés, le plaidoyer, le financement et la mise en œuvre des politiques et programmes de santé. En d’autres termes, l’épidémiologie me dit quoi faire et pourquoi, tandis que la santé publique me permet de traduire ce savoir en actions concrètes qui touchent la vie des gens. La santé publique me donne la vision pour transformer ces données épidémiologiques en décisions, programmes et réformes de systèmes de santé sur le long terme. »
Sa vie comme un monde parfait de Clint Eastwood se déroule comme un long fil par un séjour à Cuba.
« À Cuba, j’ai appris la valeur de la prévention et de l’organisation communautaire. Le système de santé cubain, malgré des moyens limités, mise beaucoup sur la proximité avec la population et l’équité. J’ai intégré l’idée que la santé publique ne se limite pas aux hôpitaux, mais se construit au quotidien avec et pour les communautés. Cet apprentissage a guidé mes pratiques de réponse aux épidémies en Afrique. J’ai toujours prôné une approche communautaire avec la participation des communautés comme partenaires à part égale dans les luttes contre les épidémies mais aussi dans la construction de systèmes de santé fiables et résilients », a t-elle confié.
Madrid, lieu de reconnaissance
Dr Marie Roseline Darnycka Belizaire s’est rendue à Madrid en 2008 pour des études en santé publique. Elle y est restée jusqu’en 2017 avec 4 maîtrise à la clé et une réputation internationale qui a forcé de fumantes portes, pour reprendre une expression d’Aimé Cesaire, notamment pour une femme noire, une haïtienne, à l’assaut du vieux continent.
« Mon passage à Madrid m’a permis d’acquérir une rigueur scientifique et une ouverture internationale. J’ai été exposée à des environnements académiques exigeants et multiculturels, où la recherche, l’éthique et la collaboration prenaient une place importante. Cela a aussi renforcé mon intérêt pour la formation continue et l’échange entre pairs, essentiels dans le domaine de la santé globale », a-t-elle reconnu.
Dans sa page d’ex fellow de Harvard Global Health Institute, on peut lire la description suivante:
« En Europe, le Dr Darnycka a travaillé comme experte principale en santé publique pour le projet Episouth, qui visait à renforcer la préparation aux situations d’urgence dans 27 pays du bassin méditerranéen. En tant que responsable scientifique du projet européen CHRODIS, elle a promu une approche résiliente face aux maladies non transmissibles sur tout le continent. »
Dr Marie Roseline Darnycka Belizaire, Représentante de l’OMS en République Centrafricaine
Fort de son expérience en République Centrafricaine dans la lutte contre la Covid-19, le 30 décembre 2024, le Docteur Marie Roseline Darnycka BÉLIZAIRE a officiellement pris ses fonctions en tant que Représentante de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en République Centrafricaine (RCA). L’exploit est énorme si l’on tient compte de ses débuts au sein de la plus grande organisation sanitaire du monde, mais elle souhaite rester humble.
« Je suis à ma deuxième mission en République centrafricaine. La première était de mars 2020 à octobre 2023. J’étais responsable de la coordination de la réponse à la pandémie de la covid-19 juste après la coordination de la riposte à Ebola en République démocratique du Congo. Je suis à ma deuxième mission, comme Représentante de l’OMS, qui a débuté officiellement avec la présentation de la lettre de grâce le 30 décembre 2024.
La République centrafricaine m’enseigne chaque jour l’importance de l’humilité et de l’adaptation. C’est un pays aux énormes défis, mais aussi avec une grande résilience et des richesses naturelles et humaines. J’y ai appris que dans des contextes de crises prolongées, chaque petit progrès compte et qu’il faut construire avec patience, transparence et proximité avec les acteurs locaux. Cela m’aide aussi à renforcer mes capacités de leadership, de diplomatie et de gestion de la complexité. »
L’OMS de son côté parle d’un symbole de leadership féminin en santé publique
Le Dr Bélizaire est la première femme en 30 ans, et la deuxième depuis la création du bureau de l’OMS en RCA en 1961, à occuper ce poste. Sa nomination reflète également l’importance accordée par l’OMS à la promotion du leadership féminin dans le domaine de la santé mondiale.
« Cela s’inscrit dans les objectifs de développement durable (ODD) 3 et 5, qui visent respectivement à garantir une bonne santé pour tous et à promouvoir l’égalité des sexes. Le Dr Bélizaire possède une expertise diversifiée en médecine familiale et communautaire, santé publique, épidémiologie, administration des affaires et leadership. Ses interventions dans des contextes fragiles et son expérience en gestion des urgences sanitaires en font une figure incontournable dans la transformation des systèmes de santé en RCA », a écrit l’organisation mondiale de la santé lors de sa prise de fonction.
Haïti: le chemin du retour
Haïti, pour le Dr Bélizaire, c’est le point de départ et le point d’arrivée. Là où tout a commencé et l’étoile polaire qui indique le chemin du retour. « Haïti peut bénéficier de mon expertise par mon expérience en renforcement des systèmes de santé dans des contextes fragiles et de crises multiples. J’ai appris à optimiser les ressources limitées, à développer des partenariats stratégiques et à construire la résilience sanitaire. Je peux contribuer à renforcer la préparation aux urgences, à améliorer la couverture sanitaire universelle et à promouvoir une approche communautaire adaptée à la réalité haïtienne », a-t-elle souligné.
Avant de prendre son envol à l’international, Dr Marie Roseline Darnycka Belizaire a travaillé de 2005 à 2008 à l’hôpital communautaire de Carrefour dans un programme VIH. Ses plaidoiries ont permis de placer plus de 1700 patients sous traitement antirétroviraux en plaidant en faveur d’une approche holistique incluant les guérisseurs traditionnels dans la prise en charge des cas de VIH/SIDA.
« Haïti est mon ancrage, mon identité et ma source d’inspiration. Même en évoluant à l’international, je porte toujours en moi la volonté de contribuer au développement de mon pays. Mon parcours est une manière d’acquérir des compétences et des expériences que je souhaite mettre au service d’Haïti, directement ou indirectement. C’est une responsabilité morale et affective que je garde toujours vivante », a-t-elle avoué.
Un petit clin d’œil discret pour rappeller aux dirigeants haïtiens que le renouveau de notre système de santé peut naître du cœur d’une femme, de sa science et de sa tendresse…
Source : Le Nouvelliste
Lien : https://lenouvelliste.com/article/259278/dr-marie-roseline-darnycka-belizaire-une-heroine-haitienne-qui-a-combattu-lebola-et-la-covid-19-en-afrique