Opinion. A l’eau, citoyens !

PAR PASCAL NANHOU*

Si l’on en croit l’étymologie amérindienne (Caloucaera, « île aux belles eaux ») tout guadeloupéen devrait avoir un rapport privilégié avec l’élément liquide. Or, par un cruel paradoxe, il semble depuis quelques années que nos territoires aient été frappés par je ne sais quel anathème s’agissant de ce domaine précis.

En effet, nous connaissons tous les difficultés d’approvisionnement en eau potable de trop nombreux foyers guadeloupéens. Les algues Sargasses, quant à elles, ont envahi les côtes de notre archipel occasionnant par là-même toutes sortes de maux. Nos eaux de rivière, en ce qui les concerne, ont perdu depuis belle lurette leur pureté originelle.

Si les pouvoirs publics, les décideurs guadeloupéens ainsi que les associations diverses ont pris la mesure de ces dernières problématiques, l’une d’entre elles apparaît pourtant comme délaissée : il s’agit du combat mené depuis des années par le CNRBT avec une opiniâtreté admirable pour la réouverture pérenne de la piscine de Rivière des Pères.

Cette croisade, portée par le président Prosper Congré, qui se démène comme un beau diable avec une abnégation et un engagement imposant le respect, recèle de nombreux enjeux.

Il y a en premier lieu une dimension affective très forte lorsqu’on évoque la piscine de Rivière des Pères et la multiplicité des animations proposées par le CNRBT. Pour beaucoup de nos compatriotes, ce lieu et cette association font partie de leur histoire intime. C’est également mon cas, puisque mes deux enfants âgés alors seulement de quelques mois ont eu la chance et le plaisir de bénéficier du dispositif « bébés nageurs ».

Il m’est difficile de décrire le bonheur familial ressenti lors de ces apprentissages joyeux sous un soleil radieux… De même, c’est aussi à la piscine de Rivière des Pères que j’ai pu valider un agrément me permettant d’accompagner mes propres enfants ainsi que leurs petits camarades de maternelle pour des séances de natation. Je n’oublierai jamais la joie innocente de cette vingtaine d’enfants s’ébattant bruyamment dans un écrin d’émeraude.

Que tout cela semble loin désormais, hélas…
Est-il utile d’insister sur le déséquilibre démographique et structurel dont souffre toute la Basse-Terre ? De ce point de vue, l’érection d’une piscine répondait à une légitime attente de revitalisation de toute la région. Si l’on se contentait d’analyser froidement la situation, on pourrait estimer qu’un aménagement bien pensé du territoire nous impose le maintien d’un tel équipement.

Mais, notre réflexion dépasse le cadre strict d’un urbanisme pertinent. Elle se fonde sur des chiffres accablants, terrifiants et sans appel : ceux relatifs au nombre de noyades dans notre archipel ou ailleurs. Ainsi, si la maintenance d’une piscine dans le sud Basse-Terre est d’intérêt public, l’enseignement de la natation dès le plus jeune âge concerne la santé publique.

Notre patriotisme s’émeut tout autant du statut de la natation guadeloupéenne ; alors même que depuis des décennies les filles et fils de notre archipel ont écrit à l’encre d’or les plus belles pages du sport mondial, on ne me fera pas croire qu’il n’existe pas de perles brutes parmi nos jeunes tritons et nos petites naïades.

On ne me fera pas croire qu’un territoire qui a offert au monde Marie-Josée Pérec, Marius Trésir, Laura Flessel, Teddy Riner, tant et plus, ne dispose dans ses rangs de nageurs susceptibles de conquérir la planète ! Nous avons la matière, mais avons-nous les outils ?

Certes, « la critique est aisée mais l’art est difficile ». Il ne s’agit pas pour nous d’incriminer tel ou tel, car en vérité nous savons qu’aucun guadeloupéen qu’il ait des responsabilités publiques ou non, ne peut se satisfaire de cette situation. Nous sommes également conscient que la pesanteur et la complexité de la machine administrative, notamment dans le morcellement des compétences, peuvent expliquer la persistance du statu quo.

Nous avons cependant suffisamment foi en nos décideurs pour espérer qu’une force politique plurielle, syncrétique et solidaire, puisse avec force et conviction défendre ce dossier auprès des instances régaliennes hexagonales.
Un dernier mot, enfin, sur notre lien à l’eau.

Autrefois nous conservions une défiance et une crainte vis-à-vis de l’élément marin, inconsciemment associé aux déportations abominables dont nos peuples respectifs furent victimes. L’océan était également associé à une forme d’exclusion, à tout le moins d’isolement géographique. C’est la maîtrise de l’eau sous toutes ses variantes (navigation et natation) qui nous a permis de nous affranchir de nos terreurs anciennes.

Il serait donc impensable que les jeunes générations de la Basse-Terre ne puissent être formées à la natation dans des conditions correctes. C’est là l’une des clés pour appréhender notre insularité avec sérénité et confiance, et comprendre que l’eau qui nous entoure est aussi le merveilleux symbole d’une notion chère au cœur de tout guadeloupéen : la liberté !

« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! » écrivait Charles Baudelaire au XIXe siècle : tout est dit.


*Enseignant

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