Opinion. À la racine du mal- développement de la Guadeloupe se trouve une distorsion dans la formation du capital local

Le mal-développement de la Guadeloupe ne peut se comprendre sans remonter à la racine profonde de son déséquilibre économique : la mauvaise formation du capital.

La formation de capital est essentielle au développement économique, car elle améliore la capacité productive et l’efficacité d’une économie. Toutefois, la formation de capital n’est pas un processus simple ou automatique. Cela dépend de divers facteurs tels que la disponibilité de l’épargne, la répartition de l’épargne, la qualité de l’investissement, l’environnement institutionnel et politique, ainsi que les facteurs sociaux et culturels qui influencent le comportement d’épargne et d’investissement.

Sous des apparences de prospérité relative entretenue par la consommation et la fonction publique qui sont les principaux facteurs de croissance , l’archipel souffre d’un désordre structurel qui empêche la transformation de son épargne en moteur de croissance. En d’autres termes, le capital existe, mais il ne circule pas là où il devrait ; il s’accumule sans produire, il s’épargne sans investir.

Cette déconnexion entre richesse disponible et création productive constitue le nœud gordien du problème de la structure déséquilibrée de l’économie guadeloupéenne . Il existe trois types de formation de capital : la formation de capital fixe brut (acquisition de bâtiments et de machines pour produire davantage de biens), les variations de stocks (stockage de biens pour les vendre ultérieurement) et l’acquisition d’objets de valeur tels que l’immobilier etc…En économie, le capital peut être défini comme les ressources physiques ou financières utilisées pour produire de la valeur dans une économie .

La Guadeloupe, malgré des flux financiers importants et une épargne privée non négligeable de près de 4 milliards d’euros , ne parvient pas à orienter ses ressources vers les besoins réels de développement. Les capitaux disponibles ne se convertissent pas en investissements productifs capables de générer des emplois durables, d’améliorer la compétitivité ou de diversifier la structure économique locale.

Les profits réalisés sur le territoire échappent à l’économie insulaire : détenus pour une large part par des investisseurs exogènes, ils sont rapatriés vers l’Hexagone, la Martinique ou l’étranger, accentuant la fuite des capitaux et la dépendance financière. L’argent produit en Guadeloupe cesse d’y fructifier ; il sert ailleurs, dans d’autres marchés, d’autres économies, d’autres dynamiques.

Ce phénomène s’accompagne d’un comportement d’épargne peu favorable à l’investissement productif. La classe moyenne guadeloupéenne — composée en grande partie de fonctionnaires, de commerçants et de professions libérales — privilégie des placements sûrs et tangibles, essentiellement dans la pierre. L’immobilier, perçu comme un gage de sécurité et de prestige social, capte la majorité de l’épargne locale au détriment de l’entreprise et de l’innovation.

Or, un capital figé dans la construction ou la spéculation immobilière ne crée ni valeur ajoutée, ni exportations, ni progrès technologique. Il entretient une illusion de richesse tout en affaiblissant le tissu productif. Le résultat est connu : des entreprises locales sous-capitalisées, des fonds propres insuffisants, des fonds de roulement faibles, une difficulté chronique à financer le développement et à conquérir de nouveaux marchés.

Ce déséquilibre n’est pas une simple dérive contemporaine ; il plonge ses racines dans l’histoire coloniale de la Guadeloupe. Le capital, dès l’origine, y fut conçu comme un instrument d’extraction et non de développement endogène. Les profits de la production sucrière, principale activité économique durant des siècles, étaient majoritairement transférés vers la métropole, laissant derrière eux un espace productif appauvri et dépendant. Cette logique d’exportation de la richesse a perduré sous d’autres formes, notamment avec la dépendance aux importations, façonnant un modèle économique où la formation du capital local n’a jamais été véritablement encouragée.

L’économie guadeloupéenne s’est développée « sous serre », c’est-à-dire dans un cadre protégé, administré et subventionné, sans autonomie financière ni capacité d’investissement autonome.

Pourtant, la théorie économique est claire : la formation du capital est l’un des piliers du développement. Elle suppose trois étapes fondamentales : la création de l’épargne, sa mobilisation et son investissement. Ce processus vertueux permet d’accumuler un stock de biens matériels et immatériels indispensables à la production future : machines, infrastructures, brevets, savoir-faire, innovations. C’est à travers cette accumulation que se bâtissent les bases d’une économie dynamique.

Or, en Guadeloupe, chacune de ces étapes se trouve entravée. L’épargne, bien que présente, est mal orientée ; la mobilisation du capital par les institutions financières reste timide et souvent conditionnée par des normes métropolitaines et européennes ; l’investissement, enfin, se détourne des secteurs productifs faute de confiance et de structures adaptées.

La question de la formation du capital ne se résume donc pas à une problématique technique ou comptable. Elle relève d’un choix de société et d’un projet de développement. Réformer le modèle économique guadeloupéen suppose de repenser la circulation du capital, de créer des instruments financiers locaux capables de capter et de réinvestir l’épargne dans l’économie réelle, de favoriser la prise de risque entrepreneurial et d’encourager les alliances entre investisseurs publics et privés. Sans cela, les discours sur la diversification économique ou la souveraineté alimentaire resteront lettre morte.

C’est pourquoi il apparaît urgent de s’attaquer à la racine du problème qui puise sa source dans le passé colonial : la structure même du capital et sa formation. Avant de rêver de réformes institutionnelles ou de nouvelles compétences politiques, la Guadeloupe doit se doter d’un modèle de développement fondé sur la maîtrise et la valorisation de son propre capital. La véritable autonomie ne se décrète pas, elle se finance ; elle repose sur la capacité d’un territoire à créer, retenir et faire fructifier sa richesse.

Tant que l’épargne locale ne nourrira pas l’économie locale, tant que les profits continueront de s’exiler et que la logique immobilière primera sur la logique productive, la Guadeloupe restera prisonnière d’un mal-développement chronique, fruit d’un capital mal orienté, héritage d’un passé colonial qui n’a jamais été véritablement dépassé à ce jour .

« Sé la lajan yé i ka rété ». Autrement dit, l’argent local doit aller à l’économie locale.

Economiste 

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