Haïti. Rapport annuel du CSPJ : « une justice en état d’urgence »

Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) renoue avec ses bonnes habitudes en publiant le rapport annuel d’activités et de l’état de la magistrature.

Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) vient de publier son rapport annuel 2025, un document attendu, à la fois rigoureux et alarmant, qui dresse un état des lieux sans concession du système judiciaire haïtien. Entre désorganisation chronique, insécurité grandissante et sous-financement généralisé, la magistrature haïtienne semble évoluer aujourd’hui dans un climat de fragmentation territoriale et de déclin institutionnel avancé. C’est un rapport qui décrit les maux du système judiciaire. Ledit rapport met aussi en lumière les activités du CSPJ.

Le premier objectif de ce rapport est de répondre au devoir de transparence et de redevabilité du CSPJ conformément à l’article 37 de la loi du 13 novembre 2007, peut-on lire dans le rapport. Ce rapport représente à la fois un bilan des activités du Conseil et dresse un état des lieux de la magistrature, même si en dépit de tout, plusieurs juridictions du pays ont produit des résultats assez significatifs.

Composé de 890 magistrats – dont 655 juges en fonction dans les Cours et Tribunaux du pays – le corps judiciaire haïtien se trouve confronté à un déséquilibre flagrant entre les besoins du territoire et les moyens mis à disposition. Le ratio national est de 5,5 juges pour 100 000 habitants, très loin des standards internationaux (selon les indicateurs de la CEPEJ). En dépit de quelques avancées ponctuelles, notamment la création de six nouveaux tribunaux de première instance, le système reste largement déficient, inégalitaire et inaccessible.

La faible représentativité féminine, le fonctionnement quasi-exclusif en français dans un pays majoritairement créolophone, et le coût prohibitif des procédures sont autant de barrières structurelles limitant l’accès équitable à la justice pour la majorité de la population.

Dans ce rapport, le CSPJ se veut clair : « le système judiciaire haïtien est en état de siège ». Cette description reflète une réalité implacable : des pans entiers du territoire national échappent à l’autorité du pouvoir. À Cité Soleil, Thomazeau, Ganthier, Mirebalais ou encore à Saut-d’Eau, les tribunaux sont soit inaccessibles, soit occupés, soit simplement paralysés.

L’assassinat du juge Verto Vertilus à L’Estère en 2025 incarne la violence directe que subit l’institution. Ce drame a entraîné l’arrêt complet des activités du tribunal local. Ailleurs, la relocalisation forcée de juridictions (comme à Port-au-Prince ou Croix-des-Bouquets) dans des locaux précaires, exigus, voire insalubres, illustre la fragilité des conditions d’exercice de la justice en Haïti.

Le CSPJ en profite pour avertir que plusieurs juridictions partiellement opérationnelles aujourd’hui pourraient basculer vers l’inaccessibilité totale, comme ce fut le cas pour le Tribunal de Première Instance de Mirebalais, fermé depuis les violences de mai 2025.

Les conséquences de ces dysfonctionnements sont gravissimes pour les justiciables confrontés à un déni d’accès à la justice dans les zones sous contrôle des gangs ; détention préventive prolongée dans des prisons déjà surpeuplées ; effondrement de l’État de droit, avec un glissement vers l’impunité généralisée, soulève le rapport.

À cela s’ajoutent des pratiques contra legem (contre la loi) où certains citoyens se tournant directement vers les parquets pour résoudre des litiges civils, ou requalification abusive de faits civils en infractions pénales pour contourner les voies judiciaires ordinaires.

Le rapport 2025 met aussi en lumière la précarité des infrastructures judiciaires à travers tout le pays. Même les juridictions les plus centrales, comme le Tribunal de première instance de Port-au-Prince, fonctionnent dans des conditions jugées « inadmissibles » par leurs magistrats.

La Cour d’appel de Port-au-Prince, relocalisée à Puits-Blain, fonctionne dans un bâtiment loué plus adapté, mais cette solution reste temporaire. Le CSPJ dénonce par ailleurs une dépendance inquiétante vis-à-vis de financements internationaux, mettant en cause la souveraineté de l’institution judiciaire.

Malgré tout, des actions structurantes ont été menées : formation de jeunes magistrats via l’École de la Magistrature (EMA), nomination et évaluation des juges, enquêtes disciplinaires, certification des magistrats. Mais ces efforts restent insuffisants face à l’ampleur des défis.

Budget famélique, besoins colossaux

Avec seulement 1,05 % du budget national alloué au système judiciaire, la marge de manœuvre du CSPJ demeure extrêmement réduite. Ce sous-financement chronique empêche tout effort réel de modernisation, d’équipement et de renforcement des ressources humaines.

À titre de comparaison, la juridiction de la cour d’appel de Port-au-Prince, qui dessert près de 40 % de la population nationale, ne dispose que de quatre tribunaux de première instance. Un déséquilibre qui accentue la surcharge de travail et les retards dans les procédures judiciaires.

Face à ce constat alarmant, le CSPJ ne se contente pas de dresser un bilan. Il propose une feuille de route stratégique ambitieuse, articulée autour de six axes prioritaires à savoir : la modernisation des infrastructures et l’adaptation de la carte judiciaire ; le renforcement et la réaffectation des personnels de justice ; le renforcement des mécanismes d’intégrité, de régulation et de suivi ; la gouvernance et la mobilisation de ressources nationales et internationales ; la redynamisation de la reddition de comptes et de la collecte de données  et la garantie de la sécurité et de la continuité du service public judiciaire, considérée comme un axe transversal et prioritaire.

Ces propositions vont de la création de nouveaux tribunaux à la mise en place de plans de sécurité pour les magistrats, en passant par la numérisation des outils de gestion, les audits réguliers, la formation spécialisée, ou encore la vulgarisation du langage juridique en créole.

Le CSPJ conclut son rapport sur une note de résilience mais aussi d’urgence. Il en appelle à une mobilisation collective – autorités étatiques, partenaires internationaux, société civile – pour éviter l’effondrement total du système judiciaire haïtien. À défaut d’une intervention rapide, le pays pourrait assister à une extension incontrôlée des zones de non-droit, entraînant des millions de citoyens dans l’exclusion juridique et l’illégalité institutionnalisée.

« Ce rapport n’est pas seulement un diagnostic : c’est un appel à l’action », affirme le CSPJ.

Il faut souligner que durant l’année judiciaire, le Conseil a tenu un total de 126 réunions ordinaires à raison de deux séances par semaine ainsi que trois séances extraordinaires. Les réunions statuaires ont servi de cadre de discussion et à l’adoption de diverses décisions relatives à l’administration de la justice, à la gestion des ressources humaines, aux relations avec les juridictions ainsi qu’aux réformes internes engagées.

Ces séances ont permis également d’examiner des rapports techniques, des avis de nomination, des dossiers disciplinaires, des projets de résolutions ou encore des propositions relatives à la certification et l’évaluation des magistrats.

Le Conseil a également traité 110 rapports de vetting au cours de l’année écoulée, ainsi que 68 dossiers en révision concernant des magistrats non certifiés.

Source : le Nouvelliste

Lien : https://lenouvelliste.com/article/260519/rapport-annuel-du-cspj-une-justice-en-etat-durgence

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