Opinion. Haine de l’Occident ou amour de soi ?

PAR TEDDY BERNADOTTE*

Ce qui se déroule à Fort-de-France ne peut nous laisser indifférents : déboulonner les statues va bien au-delà d’un simple acte symbolique.

C’est une secousse mémorielle, une fissure dans l’ordre établi. Déboulonner, c’est défier la verticalité du pouvoir et des récits dominants, arrachant la mémoire de la pierre pour la restituer à une parole vivante. Ce geste, loin d’être un effacement, s’inscrit dans la continuité des luttes décoloniales décrites par Frantz Fanon, constituant une réappropriation du corps et de l’espace, une reconquête du droit de dire « je » depuis le lieu même de l’oppression.

Détrôner les statues, c’est aussi désacraliser les mythes républicains imposés aux Outre-mer comme uniques voies d’émancipation. C’est refuser de jouer le rôle de l’élève modèle représenté par Félix Éboué, symbole d’une intégration par la loyauté, pour revendiquer un autre type de présence au monde : celle qui s’inscrit non pas au centre, mais qui invente depuis la périphérie.

Ce geste renvoie à la nécessité de créer un imaginaire du « Tout-monde », où se rencontrent les identités sans hiérarchie. Déboulonner traduit le cri d’une jeunesse qui ne se reconnaît plus dans la statuaire figée d’un passé mal digéré et qui aspire à réenchanter la mémoire par le mouvement, la relation et l’action.

Dans l’esprit de Césaire, il ne s’agit pas de détruire, mais de « reprendre contact avec la réalité profonde de soi », de retrouver le pouvoir de nommer et de rêver à hauteur d’homme. La nouvelle génération antillaise ne désire plus « jouer le jeu » : elle veut agir, penser et bâtir en son propre nom, dans un rapport de réciprocité avec le monde.

Mais, comme le souligne Ernest Pépin dans sa lettre à la jeunesse, « croire que l’on peut construire sur des ruines est une illusion ». Alors, nous devons, ensemble, reconstruire notre histoire, en reconnaissant la richesse et la diversité de notre mosaïque culturelle.

Il nous revient de retrouver le sens profond du pays, de cultiver l’amour de nous-mêmes plutôt que la haine de l’Occident. Nous devons désormais transformer cette tension créatrice en actions concrètes : retisser la confiance, écrire un nouveau contrat social et imaginer un modèle économique et écologique solidement enraciné dans nos territoires, nos mémoires, les aspirations des nouvelles générations… et à force d’amour, demain, il fera jour.

 *Conseiller spécial du président de la Région Guadeloupe

Dans ce contexte, un article publié en septembre 2022 :

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