Un nouveau rapport d’Amnesty International, publié ce lundi 17 novembre 2025, remet en cause l’un des piliers du discours politique dominicain de ces dernières années : l’idée selon laquelle les migrants haïtiens satureraient les hôpitaux publics de la République dominicaine.
Intitulé « Santé sans stigmates : L’impact des politiques migratoires sur le droit à la santé en République dominicaine », le document apporte une série de données officielles et d’analyses statistiques qui contredisent les arguments avancés par le gouvernement du président Luis Abinader.
Selon l’organisation de défense des droits humains, la crise actuelle du système de santé dominicain est davantage le résultat d’un sous-financement chronique que d’une soi-disant pression exercée par les populations migrantes. « L’Organisation mondiale de la santé (OMS) classe d’ailleurs le pays comme le deuxième État d’Amérique latine et des Caraïbes ayant le moins investi dans la santé publique, avec seulement 2,7 % de son PIB consacré au secteur, moins de la moitié du seuil recommandé », rappelle Amnesty International.
Un protocole migratoire qui fait polémique
Au cœur des préoccupations d’Amnesty se trouve un protocole introduit le 6 avril 2025, imposant aux patients étrangers de présenter un ensemble de documents (passeport avec visa, carte de travail, preuve de résidence ) avant d’accéder aux soins. En cas de manquement, les personnes sont traitées, puis susceptibles d’être arrêtées et expulsées.
Amnesty International qualifie cette politique de « mesure discriminatoire » et d’« écran de fumée », accusant le gouvernement dominicain de détourner l’attention des véritables défaillances structurelles. « Les hôpitaux doivent être des espaces de soins, pas de surveillance », affirme Ana Piquer, directrice régionale pour les Amériques.
L’organisation appelle les autorités à abroger immédiatement ce protocole, estimant qu’il crée un climat de peur qui dissuade les personnes les plus vulnérables d’accéder aux soins essentiels.
Les chiffres contredisent la rhétorique officielle
Contrairement aux affirmations récurrentes de responsables dominicains selon lesquelles les migrants haïtiens « envahiraient » les hôpitaux et mettraient en péril la capacité du système, les chiffres du Service national de santé (SNS) offrent un tout autre tableau. Selon les données analysées par Amnesty, « Les Haïtiens représentent seulement 7,9 % des consultations dans les hôpitaux publics. Ils comptent pour 14,8 % des hospitalisations, un taux largement insuffisant pour expliquer une saturation nationale. Dans les provinces frontalières, où leur présence est proportionnellement plus élevée, l’ensemble des patients ne représente que 2 % du total national », souligne le rapport.
L’organisation souligne également que les variations observées dans les maternités ont été exploitées de manière raciste pour justifier des discours alarmistes sur une prétendue “invasion” de femmes haïtiennes. En réalité, « entre 2023 et 2025, le pourcentage de naissances attribuées à des femmes haïtiennes est passé de 36 % à 37 %, une hausse minime attribuée non pas à une augmentation de leurs accouchements, mais à la baisse des naissances dominicaines », selon Amnesty International.
Des conséquences dangereuses pour la santé publique
Les conséquences de ce protocole vont bien au-delà des violations des droits humains. Selon les experts cités dans le rapport d’Amnesty International, ces mesures risquent d’affaiblir la lutte nationale contre des maladies infectieuses comme le VIH ou la tuberculose, en décourageant l’accès aux traitements.
De nombreuses femmes haïtiennes ont par ailleurs déclaré à Amnesty avoir été refoulées des hôpitaux ou avoir subi des propos racistes en tentant d’obtenir des soins prénataux. Certaines, par peur d’être arrêtées, ont accouché chez elles, dans des conditions dangereuses. Une situation que l’organisation qualifie de violence reproductive, susceptible d’entraîner des décès évitables chez les mères et les nouveau-nés.
Vers une crise humanitaire aggravée ?
Depuis octobre 2024, plus de 300 000 Haïtiens, dont des femmes enceintes et des enfants, ont été expulsés de République dominicaine, en dépit des appels répétés du HCR à suspendre les retours forcés en raison de la crise sécuritaire en Haïti.
Amnesty International appelle le président Abinader à mettre fin aux expulsions collectives, à garantir l’accès universel aux soins et à mettre en œuvre une politique de santé publique fondée sur l’égalité et la non-discrimination.
Face à une crise de santé publique qui menace toute la population, l’organisation rappelle que stigmatiser les migrants détourne l’attention des véritables responsabilités de l’État et compromet les efforts nationaux de prévention, au détriment de tous.
Source : Le Nouvelliste
























