Avant sa sortie dans l’Hexagone, en janvier, le film Furcy, né libre est programmé en avant-première, en présence du réalisateur, Abd Al Malik, dans les territoires d’Outre-mer (La Réunion, Guadeloupe, Martinique, Guyane), concernés au premier chef par la colonisation.
Connu pour son engagement et sa polyvalence dans le domaine des arts, Abd Al Malik, rappeur, poète, romancier, essayiste, scénariste, metteur en scène et réalisateur, livre avec Furcy, né libre, un film pour « regarder l’Histoire en face », aussi sombre soit-elle, pour « avancer ensemble ». Entretien.
Avec Furcy, né libre, adapté du livre de Mohammed Aïssaoui, et inspiré d’une histoire vraie, vous vous attaquez à l’Histoire de l’esclavage…

Abd Al Malik, réalisateur de Furcy, né libre : Oui ! J’étais prêt ! Nous sommes bientôt en 2026 et à part le film Ni chaînes ni maîtres, de Simon Moutaïrou, sorti en 2024, il n’y avait pas de films majeurs sur l’esclavage français. Pour moi, c’est fondamental – au sens du commencement – qu’on puisse en parler.
Il y a plein de thématiques qu’on aborde par rapport à la représentation des Noirs, mais au cinéma, il fallait un film important qui parle de la grande Histoire de l’esclavage et l’abolition.
Comment ce projet est venu à vous ?
Quand on m’a proposé ce projet, la première fois, je revenais d’un concert à La Réunion, en 2010, au moment où le livre dont est tiré le film, L’Affaire de l’esclave Furcy, de Mohammed Aïssaoui, venait d’obtenir le Renaudot. Des jeunes sont venus me voir et m’ont proposé d’en faire une pièce de théâtre. Quand je l’ai lu, j’ai trouvé que cette histoire était d’une densité telle que je n’étais pas sûr d’être prêt. J’ai mis le livre de côté.
Entre-temps, sont arrivés plusieurs événements : à Nantes, où il y a un musée de l’esclavage important, ainsi qu’un mémorial, chaque année, au moment des commémorations, il y a des conférences, des spectacles autour de l’esclavage et de son abolition. Une année, j’ai été le parrain de cet événement, avec Patrick Chamoiseau et Françoise Vergès. Je me suis dit qu’il y avait vraiment « quelque chose » à faire autour de cette thématique. La même année, aux Etats-Unis, est sorti The Birth of a Nation, autour d’un esclave qui s’est révolté en Virginie. On m’a proposé de faire la voix française : je suis allé à Los Angeles et en discutant notamment avec le réalisateur, je me suis encore dit qu’il fallait faire « quelque chose ».
À mon retour en France, il y avait l’exposition Le Modèle noir, de Géricault à Matisse, autour de la figure noire dans l’art au XIXe siècle. Là encore, j’ai fait tout un travail autour. À ce moment précis, le producteur Etienne Comar m’a proposé une rencontre. Il me tend le livre de Mohammed Aïssaoui et me demande si je voudrais réaliser le film tiré du même livre que les jeunes m’avaient tendu 10 ans plus tôt, quasiment jour pour jour. Sauf que là, j’étais prêt !
Pourquoi ?
Je savais comment réaliser le film, quoi raconter et surtout, j’avais envie de faire un objet artistique qui puisse être un outil de réconciliation. L’idée, c’est de se dire, que nous pouvons, tous ensemble, regarder notre histoire, même la plus sombre, droit dans les yeux et déposer nos sacs de douleur pour voir comment on peut avancer aujourd’hui et maintenant. À partir de là, j’ai fait ce film.
Vous étiez prêt. Tout le monde l’est-il, à votre avis ? Certains regards sont clairement fuyants…

Je pense que les gens sont prêts. Le tout est de savoir quelle histoire on leur montre : que vont-ils regarder droit dans les yeux ? C’est la question de mon film : si on a véritablement envie de faire peuple, de faire France, réellement, pour de vrai, à un moment, on doit regarder l’histoire de toutes les composantes, des peuples qui forment la nation France et se dire que c’est notre histoire à tous et avançons ! Si on n’est pas capable de regarder cette histoire droit dans les yeux, c’est impossible d’avancer !
J’ai le sentiment que les gens sont prêts, mais, dans le fond, qu’ils soient prêts ou pas, c’est le moment : c’est maintenant qu’il faut raconter cette histoire. Mon humble intention, c’est de faire un objet artistique qui soit à la fois un rappel, mais aussi qui nous dit qu’au-delà de la question raciale, c’est toujours la bonne vieille lutte des classes, les puissants qui veulent opprimer les plus faibles. Finalement, il est important d’en parler aujourd’hui plus que jamais !
L’histoire se répète ?
Pour moi, l’histoire ne se répète pas, mais elle rime ! On peut trouver des points communs à travers l’histoire. Mais, de jurisprudence en jurisprudence, il arrive un moment où l’esclavage était légal, et aujourd’hui, il ne l’est plus. Mais, en quoi la société française est-elle vraiment en phase avec ses principes et ses valeurs : c’est là où on la questionne. Et, on doit la questionner !
Sur un tel projet, quand le clap de fin retentit, comment se sent-on ?
Je me suis rendu compte, en sortant de là, qu’encore une fois, c’était une histoire de puissants face aux faibles. Il faut faire attention à cette histoire qui se répète, mais aussi aux gens qui font tout pour limiter cette histoire exclusivement à une question raciale, ce qui nous empêche de créer des solidarités avec d’autres, avec qui on pourrait faire le travail en commun pour changer les choses. À la fin de ce travail, c’est ce qui m’est paru le plus évident : il faut combattre les esprits chagrins qui font en sorte de nous isoler.
Entretien : Cécilia Larney
En deux mots…

Île de la Réunion, 1817. À la mort de sa mère, l’esclave Furcy découvre des documents qui pourraient faire de lui un homme libre. Avec l’aide d’un procureur abolitionniste, il se lance dans une bataille judiciaire pour la reconnaissance de ses droits. Inspiré d’une histoire vraie.
Le film, Furcy, né libre, d’Abd Al Malik, est librement adapté du livre, L’Affaire de l’esclave Furcy, de Mohammed Aïssaoui (éd. Gallimard, 2010).
Le réalisateur assistera aux avant-premières publiques prévues en Guadeloupe, mardi 9 décembre (Cinestar, Les Abymes) et en Martinique, jeudi 11 décembre (Madiana, Schoelcher). Sortie nationale : 14 janvier 2026.


























