DOSSIER. Et si nos îles disparaissaient

Le Prêcheur, en Martinique, où les autorités ont tenté de contenir la montée des eaux, avant d’évacuer vers l’intérieur des terres.

Le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) rendu public le 20 mars 2023 est inquiétant. Il pose la question du réchauffement climatique, d’une gestion aléatoire des pollutions… et des risques inéluctables que, d’ici 2050, la situation empire de telle sorte qu’il soit très difficile de revenir en arrière.

Et si les îles disparaissaient !

Quand se pose de façon abrupte cette question, rares sont ceux qui y font attention. C’est une exagération. L’homme est ainsi fait qu’il va trouver une solution. Sûrement. Du moins peut-on y croire.

Que se passe-t-il ? A force de polluer, l’être humain a gaspillé une grande partie de son héritage naturel.

Que dit le GIEC dans son rapport annuel ? « Retarder les actions et politiques d’adaptation compromet leur efficacité, diminue leur potentiel et en augmente le coût. »

MI CHALÈ

Certains n’y croient pas. Pourtant, les données mesurables sont là. Et dire que nous avons, dans notre région, des nuit froides, voire de plus en plus froides depuis quelques années, n’y change rien. Globalement le réchauffement du climat mondial lié aux activités humaines est un fait établi : nous sommes dans la décennie (2011-2020) la plus chaude depuis… environ 125 000 ans.

Les images de régions entières, de pays, de continents victimes de sécheresse, de feux de forêts, d’inondations, passent en boucle sur les télévisions et les réseaux sociaux.

Guadeloupe et Martinique, chaque année, de plus en plus longtemps dans l’année, voient des carêmes qui dépassent les bornes. Ce n’est plus de janvier à mars, c’est de janvier à juin qu’il ne pleut pas — ou très peu —, que la sécheresse assèche les cultures.

Le changement climatique a déjà impacté l’accès à l’eau et à l’alimentation (la réduction de la croissance de la productivité agricole sur les 50 dernières années est patente), la santé (augmentation des maladies vectorielles transmises par les moustiques, hausse de la mortalité liée aux vagues de chaleur) et l’activité économique.

Il a déjà contribué à des crises humanitaires, en particulier en Asie.

A l’échelle mondiale, les effets du changement climatique sont amplifiés dans les villes qui concentrent plus de la moitié de la population.

On estime que 3,3 milliards d’humains vivent dans des zones déjà vulnérables au changement climatique : grandes villes, zones arides, éloignées de tout cours d’eau, îles… Nos îles !

La vulnérabilité des écosystèmes et des populations diffère selon les régions. L’Amérique centrale et du Sud, l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud, les petites îles en développement, dans la Caraïbe notamment, et l’Arctique sont très vulnérables aux dangers climatiques.

MORTALITÉ

Entre 2010 et 2020, la mortalité liée aux inondations, aux sécheresses, aux tempêtes est

15 fois supérieure dans les pays très vulnérables par rapport aux pays peu vulnérables.

Le GIEC n’est pas optimiste. « Les impacts du changement climatique vont s’accentuer au fur et à mesure du réchauffement mondial », écrit-il.

« Cela concerne, poursuit le GIEC, implacable, les extrêmes de températures, l’intensité des précipitations, la sévérité des sécheresses, l’augmentation en fréquence et intensité des événements climatiques rares, l’accélération de la fonte du permafrost, de la glace de mer en Arctique, des glaciers de montagne et des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique.

Les mécanismes naturels d’absorption du carbone seront de moins en moins efficaces.

Certaines conséquences du changement climatique, comme la montée du niveau de la mer ou encore la fonte des calottes glaciaires, seront irréversibles pendant des siècles, voire des millénaires. »

Tout ceci a des incidences inéluctables sur la santé humaine. Voire sur la vie tout simplement.

« Les risques seront de plus en en plus complexes, combinés, en cascade et difficiles à gérer. Ils vont aussi s’aggraver avec l’augmentation du réchauffement dans toutes les régions du monde, mais surtout dans les plus exposées et vulnérables, dont les îles de la Caraïbe, vulnérables parce que petites, soumises à une pression démographique qui s’accélère, avec ses avatars : pollution humaine, destruction des ressources naturelles, des espaces naturels, disparition du trait de côte, montée des eaux. »

Le rapport du GIEC identifie des seuils de réchauffement provoquant des impacts irréversibles sur la perte de la biodiversité. Certaines limites d’adaptation ont déjà été atteintes, d’autres seront immanquablement atteintes à l’échelle de l’existence humaine.

Ce qui veut dire que nous verrons ces moments où la vie de l’humanité sera sur la balance…

Nous mourons dans d’atroces souffrances ? Sûrement, mais avant cela, pendant les quelques décennies qui nous restent, les plus jeunes découvriront, chaque matin, qu’hier n’est plus… et que c’était le bon temps.

UN GROS EFFORT, MAIS PAS SUFFISANT

Les émissions de gaz à effet de serre (GES), liée aux activités humaines, ont continué à augmenter fortement au cours de la dernière décennie avec en moyenne 56 GtCO2eq par an, mais cependant deux fois moins vite que lors de la décennie précédente.

Si des efforts sont faits, dans la plupart des pays industrialisés, les pays sous-développés ou en voie de développement, soit ne peuvent pas juguler leur production de gaz à effet de serre soit sont tellement occupés à chercher à atteindre un niveau de vie « continental », « occidental », qu’ils font cyniquement l’impasse sur les dégâts.

La poursuite importante des émissions de gaz à effet de serre, affirme le GIEC, « est principalement due au fait que l’amélioration de l’efficacité énergétique n’a pas compensé l’augmentation globale de l’activité dans de nombreux secteurs économiques, les énergies fossiles et l’industrie restant les principales sources d’émissions. »

35 à 45 % des émissions sont liées à la consommation des 10 % de foyers aux plus hauts revenus. On visera l’Europe, les Etats-Unis, en oubliant que les « riches » dans les pays sous-développés affichent avec insolence véhicules polluants, qui en jettent, avions tout autant pollueurs que des camions qui roulent au Diesel, etc. La part des émissions attribuées aux zones urbaines augmente, avec 70 % en 2020. Avez-vous vu des images des grandes métropoles africaines ou asiatiques ? Elles ne sont pas moins enfumées que Mexico (l’une des villes les plus soumises à la pollution atmosphérique du monde).

Que dit encore le GIEC ? « Le respect de l’objectif de limiter le réchauffement global à 1.5 °C nécessite un pic des émissions de CO2 en 2025 au plus tard puis une décroissance jusqu’à atteindre la neutralité carbone en 2050. Après 2050, il implique des émissions négatives pour compenser les émissions de CO2 difficiles à abattre dans certains secteurs tels que l’aviation. Il faut également une réduction considérable des émissions des autres gaz à effet de serre, en particulier du méthane. »

DES MESURETTES

Le nombre de mesures d’adaptation a considérablement augmenté depuis 2014, mais ces mesures sont appliquées dans certains pays et pas dans tous… De plus, elles concernent essentiellement l’eau. L’eau dont nous pourrions manquer un jour. Et ça, ça fait peur ! L’eau qui a manqué et qui manque dans certaines zones… Mais, ces actions demeurent difficilement évaluables par manque d’indicateurs et de rapportage, regrette le GIEC.

Il existe pourtant de nombreuses options d’adaptation qui peuvent réduire les risques pour

les populations et les écosystèmes. Le GIEC les liste : systèmes d’alerte précoce, amélioration de l’irrigation, agroécologie, solutions fondées sur la nature… Mais soit elles sont difficiles à mettre en œuvre soit elles sont trop coûteuses, déjà pour certains pays (encore, provisoirement) favorisés… Ne parlons pas des 150 pays pauvres de la planète.

La finance climat internationale dédiée à l’adaptation (entre 4 et 30 %, selon les sources) a progressé, mais elle reste insuffisante et contraint les efforts d’adaptation.

Donc, de quoi demain sera-t-il fait ? On peut être pessimiste. Déjà, certains pays, en Océanie, pensent à se délocaliser. Oui, prendre ses cliques et ses claques et émigrer ailleurs, sans doute dans les zones non occupées de la planète. Peut-être un jour prochain les Îles Fidji ou Tuvalu seront-elles regroupées dans la Forêt Noire, au cœur de l’Allemagne ! Ou plus simplement fermera-t-on les yeux et se bouchera-t-on les oreilles quand elles s’enfonceront sous les flots… Demain les Tuvalu, plus tard la Caraïbe… qui n’existera plus que par quelques sommets émergeant des eaux.

Et si l’on passait des bonnes intentions à l’action ?

André-Jean VIDAL
aj.vidal@karibinfo.com

DES EFFORTS SONT FAITS

En Guadeloupe, un parc de déchèteries impressionnant

La Région Guadeloupe a souhaité donner un véritable coup d’accélérateur à la politique des déchets. En charge du plan régional de prévention et de gestion des déchets (PRPGD) elle ambitionne de faire de la Guadeloupe un territoire 0 déchets en 2035. Cet objectif est atteignable, notamment avec le lancement du programme de construction de 8 nouvelles déchèteries en maitrise d’ouvrage ainsi que la réhabilitation-extension de la déchèterie de Capesterre-Belle-Eau :

• Bouillante (2,3 M d’€) : inauguration le 20 mai 2022 ;
• Terre-de-Bas (2,3 M d’€) : inauguration le 31 juillet 2022 ;
• Baillif (4,3 M d’€) : en chantier, fin prévisionnelle des travaux en mars 2023 ;
• Terre-de-Haut (2,5 M d’€) : fin prévisionnelle des travaux en mars 2023 ;
• Petit-Bourg (3,8 M d’€) : fin des travaux en juin 2023 ;
• Trois-Rivières (2 M d’€) : début des travaux prévu au dernier trimestre en 2023 ;
• Goyave (2 M d’€) : début des travaux prévu au premier trimestre 2023 ;
• Capesterre-Belle-eau : réhabilitation extension en maîtrise d’ouvrage Région.

La CTM mise sur l’économie circulaire

Tout comme la Guadeloupe qui en a fait l’un de ses chevaux de bataille contre le réchauffement climatique, pour le développement durable, la Martinique mise sur l’économie circulaire. Mais aussi sur les économies d’énergie, l’énergie verte, la voiture électrique, le remplacement de l’électricité fournie par des énergies fossiles au bénéfice du photovoltaïque, de l’éolien.

Le but premier de l’économie circulaire est de rationnaliser l’utilisation des ressources naturelles tout en promouvant un modèle de développement soutenable pour le territoire, porteur d’emplois et de compétences territorialisées ainsi que de création de valeur.

L’économie circulaire est un principe d’organisation économique au sein duquel la valeur des produits, des matières et des ressources est maintenue dans l’économie aussi longtemps que possible et la production de déchets est réduite au minimum.

Les objectifs de l’économie circulaire sont de réduire systématiquement la quantité de matières premières et d’énergie à tous les stades du cycle de vie d’un produit, d’un service ou de l’ensemble des niveaux d’organisation du territoire pour assurer la préservation de l’environnement et le maintien d’un cadre de vie propice au bien-être de la population.
L’économie circulaire est fondée sur 7 grands piliers (voir schéma).

Le développement de l’économie circulaire implique un changement de paradigme tant au niveau de l’appareil de production du territoire que des comportements des acteurs ainsi que de l’optimisation des ressources du territoire.

Source : CTM

Une stratégie française

La stratégie énergétique française repose sur quatre piliers : la sobriété énergétique, l’efficacité énergétique, l’accélération du développement des énergies renouvelables (EnR) et la relance de la filière nucléaire française.
Elle comprend différents outils :
• Sobriété énergétique : un plan pour réduire la consommation d’énergie
• Loi relative à l’accélération des énergies renouvelables
• Projet de loi sur l’accélération du nucléaire
• Loi climat et résilience : l’écologie dans nos vies
• 2e Plan national d’adaptation au changement climatique – PNACC 2
• Stratégie nationale bas-carbone
• Programmation pluriannuelle de l’énergie
• Concertation nationale sur le mix énergétique « Notre avenir énergétique se décide maintenant »
• Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (Onerc), point focal national GIEC
• Centre de ressources pour l’adaptation au changement climatique.

Les solutions du GIEC

L’atteinte du zéro émission nette de CO2 à l’échelle mondiale en 2050 ne peut reposer que sur une large palette sectorielle : bâtiments, transports, énergie, industrie, préservation des systèmes naturels existants. L’électrification des usages joue un rôle essentiel, à condition de produire de l’électricité bas-carbone. La baisse de la demande en énergie et en matériaux est essentielle pour réduire les émissions. Il est possible de réduire les besoins de 45% d’ici 2050 par l’efficacité énergétique.

La sortie des subventions aux énergies fossiles permettrait d’atteindre 10% des réductions d’émissions nécessaires d’ici 2030.

Le secteur de l’agriculture, la forêt et l’usage des terres représentent un potentiel important de réduction des émissions, avec des bénéfices potentiels pour la biodiversité.

Plus la réduction des émissions sera tardive, plus les effets négatifs seront importants, à cause du recours massif aux émissions négatives nécessaire pour atteindre le zéro émission nette, et des impacts climatiques dus au dépassement temporaire des 1.5°C (« l’overshoot »), qui réduiront l’efficacité des actions.

Attenuer, adapter, assurer un développement durable

De très nombreuses synergies existent entre l’atténuation, l’adaptation et les Objectifs de développement durable (ODD), si la société s’engage dans des scénarios de développement durable.

S’engager dans des scénarios de développement durable nécessite de lever de nombreuses barrières et de mettre en place des incitations, notamment à travers la finance climat, des politiques publiques, le transfert de technologie et la coopération internationale.

Les bénéfices de l’action précoce sont plus importants que les coûts macro-économiques de la transition.

Le niveau actuel de la finance climat n’est pas à la hauteur des besoins pour s’engager dans des scénarios de développement durable.

Les flux financiers privés et publics non alignés avec l’Accord de Paris restent majoritaires, avec 870 milliards de dollars identifiés en 2020 en soutien aux énergies fossiles, soit largement plus que la finance dédiée au climat.

Source : Rapport du GIEC 2022

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