
Jusqu’à la fin de l’année 2022, les spécialistes promettaient que nous allions en baver : la récession, un ralentissement du rythme de la croissance économique, et dans un sens plus restreint, une chute du produit intérieur brut sur au moins deux trimestres consécutifs, nous guettait, que ce soit dans l’Hexagone ou l’Outre-mer. Il s’agissait d’une récession internationale dont nous serions les victimes par ricochet puisque toutes les économies sont liées.
Pourtant, cette récession semble s’éloigner. Pourquoi ? Parce que la plupart des pays, dont la France, ont mis en place des mesures pour éviter que l’inflation n’impacte trop les ménages. Et les entreprises. Afin de soutenir le pouvoir d’achat des Français face à la hausse de l’inflation, des mesures ont été adoptées à la mi- 2022 : la prime exceptionnelle de rentrée, la revalorisation des prestations sociales, la prime sur le partage de la valeur, la remise carburant, le rachat de RTT ou encore la suppression de la redevance audiovisuelle, etc.
RÉSILIENCE
L’ensemble des activités économiques se redresse après plus de deux années de marasme contenu, celles de la crise sanitaire à la Covid-19. Parce que les restrictions diverses ont été supprimées, l’année 2022 connaît une période faste… cependant ralentie vers la fin de l’année. Pourquoi ? Parce que les effets de la guerre en Ukraine, la sécheresse dans certaines régions, les tensions internationales ont relancé l’inflation.
Résilience. Les pays sont plus résistants aux difficultés qu’on pourrait le penser.
La guerre en Ukraine a affecté certains approvisionnements alimentaires ; la sécheresse a aussi renchéri certains produits ; les tensions internationales ont retenti sur le transport maritime. Et puis, les entreprises qui ont connu des difficultés, un ralentissement d’activités en 2020 et 2021 ont voulu se rattraper en 2022 en augmentant sensiblement leurs prix.
Les records étant les prix des transports aériens entre l’Outre-mer et l’Hexagone qui ont augmenté de 47% en un an ! Mais, comme on consomme toujours on voyage encore… Jusqu’à quand, c’est la question.
L’EMPLOI TOUJOURS DÉLICAT
On ne peut pas dire que le marché de l’emploi ait pris des couleurs. Si la reprise touristique a permis de créer des emplois, ce sont souvent des emplois perdus pendant la crise qui sont rétablis. Donc, le gain global est négligeable. Côté public, comme les collectivités ont cessé d’être les soupapes de sécurité de l’emploi, les nouveaux emplois sont rares.
Les chefs d’entreprises se plaignent : alors qu’il y a énormément de jeunes chômeurs (25% des 15-29 ans), certains métiers : la distribution, la logistique, le BTP, ne trouvent pas de volontaires. En cause les formations du système éducatif qui font la part belle à des secteurs plus séduisants, moins manuels, mais encombrés. De plus, le niveau intellectuel ou technique n’est pas au rendez-vous. La faute à qui ? On discuterait sans fin sur la place de l’idéologie dans un débat qui gagnerait à être plus pragmatique.
CONSOMMEZ, CONSOMMEZ !
Dans nos pays, la société de consommation est reine. Il paraît que nous avons été formatés pour être plus consommateurs que producteurs. Système du comptoir mis en place du temps de la colonisation et qui n’a jamais cessé de prospérer malgré la départementalisation, puis la régionalisation…
Ainsi, à chaque occasion les gens consomment. Si l’on ne va pas épiloguer sur les prix cassés sur les écrans de télévision et les files de charriots remplis aux caisses des supermarchés, il faut dire que sitôt la crise sanitaire passée, les Guadeloupéens et Martiniquais se sont précipités, sinon au restaurant, du moins dans les magasins. Ceci concerne surtout les salariés du privé et les fonctionnaires qui ont fait leur bas de laine durant la crise, faute de pouvoir dépenser.
Malgré l’inflation, les ménages ont consommé plus en 2022, les aides de l’Etat ayant soutenu leurs dépenses.
INVESTISSEMENTS EN HAUSSE
Ne serait-ce pas un effet du renchérissement des prix des matériaux et biens meubles importés ? Toujours est-il que les chiffres laissent entendre qu’il y a un rebond des investissements privés. Mais, comment faire autrement si le chef d’entreprise souhaite poursuivre ses activités ? Il construit, s’équipe… quel qu’en soit le prix. Jusqu’à une certaine limite : ainsi, les défaillances d’entreprises augmentent de moitié en un an en Guadeloupe, à 260 unités (et la Martinique n’échappe pas à cette tendance) et le nombre d’impayés augmente de 30% sur un an, quoique inférieur de près de 20% à ce qu’il était en 2019.
Ce qui laisse entendre que cette tendance pourrait s’infléchir en 2023.
ET DEMAIN ?
En 2023, sauf rebondissement en Ukraine, dans le détroit de Formose, ailleurs, et pourquoi pas en France où le président de la République et le gouvernement semble en proie à des difficultés sociales d’ampleur, la situation devrait être moins stressante.
L’inflation marque un ralentissement, les échanges commerciaux semblent se stabiliser — imaginez-vous qu’un temps les navires porte-conteneurs étaient bloqués dans les ports en Asie, gros pourvoyeur de biens de consommation (électronique, bazar, etc.), induisant une raréfaction des conteneurs dans les zones ouvertes… La circulation des bateaux et des conteneurs a repris… et les échanges commerciaux aussi.
Autre cause d’inflation, le prix des hydrocarbures en baisse ces dernières semaines. Cependant, pour ce qui est des produits alimentaires, la sécheresse sévit toujours dans l’hémisphère nord, ce qui vient impacter certaines productions agricoles : les céréales, le lait… et tout ce qu’on peut « fabriquer » avec ces ingrédients.
Comme tout ceci est fragile !
EN BREF
Transport aérien : +47% et ce n’est pas fini

Ce n’est pas le nombre de voyageurs supplémentaires d’une année sur l’autre dans les déplacements Outre-mer vers l’Hexagone. C’est l’augmentation des prix des billets en seulement une année, 2022. Et les prix poursuivent leur croissance indécente.
Pourquoi ? Parce que, comme l’a souligné avec justesse Catherine Conconne, membre de la commission d’enquête sur la continuité territoriale Outre-mer, les compagnies ont des frais, dont celui du carburant qui a gonflé en quelques mois.
Mais, ce n’est pas tout : les compagnies « se goinfrent » parce qu’elles en ont la possibilité : concurrence limitée entre deux ou trois compagnies aériennes sur une même zone, clientèle captive qui est celle des déplacements familiaux ou scolaires.
Et c’est toujours le Domien qui paie !
Ils se frottent les mains, mais…
Oui, les chefs d’entreprises, s’ils ne sautent pas en l’air, se frottent les mains. Ils pensaient que la crise sanitaire aurait leur peau. Ceux qui s’en sont sortis ont le moral.
Pourquoi ? D’abord parce que les restrictions d’ouverture de sites, de déplacements de clientèles sont levées, ensuite parce que les tensions sociales Outre-mer se sont calmées — jusqu’à quand ? —, enfin parce qu’ils ont pu relever leurs prix, prix de vente de produits importés, prix de leurs prestations, sans que les clients se fâchent.
Si la hausse du coût des matières premières affecte le BTP, celui du fret tous les secteurs de nos régions captives, il ne faut pas oublier que l’allongement des délais de paiement entraîne une dégradation de la trésorerie. Donc, optimistes mais un optimisme mesuré au fil des mois.
PGE : il faut rembourser !
Si, pour certains, les prêts garantis par l’Etat (PGE) mis en place pour venir en aide aux entreprises pendant la crise Covid ont permis de constituer une réserve, la plupart des chefs d’entreprises ont soutenu leur activité… et doivent aujourd’hui rembourser.
Prenons l’exemple de la Guadeloupe où il y a eu 3 755 PGE pour un montant global de 637,4 millions d’euros.
Début avril, il restait 559,7 millions à rembourser. 5% des bénéficiaires ont fini de rembourser. Il s‘agit de grosses entreprises qui, plutôt que de se servir des sommes allouées les ont placées… les ont faites fructifier. Elles remboursent d’autant plus facilement que les sous sont là. Disponibles.
Pour les autres… On sait qu’au niveau national, 4% des bénéficiaires connaissent des difficultés de remboursement, que le risque final de défaut est estimé à 4,6%.
Ce qui est peu.
Qui en a bénéficié ? Le commerce, les activités de services, l’industrie (pas très présente chez nous), la construction et l’immobilier, l’hébergement et la restauration, activités pourtant très impactées par la crise.
A noter que le nouveau PGE, dit Résilience, n’a pas trouvé preneur jusqu’à présent alors qu’il reste ouvert jusqu’en décembre 2023 !
Transport : ne pas rater le train

Guadeloupe et Martinique – et dans une moindre mesure la Guyane à moins de changer le lieu de son port — ont une carte essentielle à jouer en matière de développement économique à partir de leurs infrastructures portuaires.
Pourquoi ? Parce que certaines routes vont passer par les Antilles ou la Caraïbe. Si les grands ports que sont Kingston en Jamaïque, Santo Domingo en République dominicaine, San Juan à Porto Rico (5e des Etats-Unis) sont incontournables pour les marchés caribéen et américain, Rodolphe Saadé, président de CMA-CGM, l’un des premiers transporteurs maritimes mondiaux (et Français) souhaite que les deux ports de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, et Fort-de-France, en Martinique, s’agrandissent pour recevoir ses super-porte-conteneurs de nouvelle génération, propulsés au gaz, donc propres. Ils recevront les porte-conteneurs d’Asie (par le canal de Panama) et seront des hubs pour le transbordement vers les Etats-Unis, l’Amérique du Sud, l’Amérique centrale…
Pour ce faire, il faut rallonger les quais, creuser les fonds, ces bateaux étant plus longs, plus chargés, créer des terre-pleins pour recevoir plus de conteneurs. Et revoir les portiques dont certains sont devenus moins performants.
Et puis, sans doute, faire la part des choses entre emplois nouveaux et protection effrénée de la nature.
« Si je ne peux pas accoster ici, je vais aller ailleurs… », a dit Rodolphe Saadé, pragmatique.