DOSSIER. Sargasses : à la petite cuillère

Cette arrivée massive de sargasses impacte les plages, donc le tourisme, mais tout autant les zones du littoral où il y a des ports, de pêche ou d’embarquement.

Les Etats de la Caraïbe et la France (Etat, collectivités territoriales de Guadeloupe et Martinique) pourraient unir leurs efforts pour gérer les échouages de sargasses sur les côtes, autour de la mer des Caraïbes. Pas si facile, les uns et les autres étant farouchement soucieux de souveraineté nationale. Les Etats de la Caraïbe sont trop pauvres pour ne pas faire front commun en additionnant leurs maigres moyens — à moins de confier aux Chinois intéressés par une implantation zonale de valoriser les sargasses —, la France est trop européanocentrée pour comprendre que ce défi peut lui donner une légitimité caribéenne.

C’est néanmoins un véritable Plan Marshall sargasses qui se prépare pour tenter de faire face à l’envahissement des côtes, des plages et des ports de pêches et d’embarquement.

En présence du directeur de cabinet du ministre délégué aux Outre-mer, Joël Mathurin, du préfet de Région, Xavier Lefort, du sous-préfet de Pointe-à-Pitre, Bruno André, d’élus régionaux et départementaux, du président de l’association des maires, Fred Sapotille, des représentants de communautés d’agglomération et autres administrations et de la CCI des îles de Guadeloupe, a été mis en place le SMO du GIP Sargasse, en Guadeloupe, en début de semaine.

Ce SMO est un comité de pilotage qui devra gérer un phénomène d’avec lequel il va falloir apprendre à vivre. Car, en effet, rien n’indique qu’il ne va pas s’accentuer au fil des années.

QUASIMENT TOUTE L’ANNEE

La saison des algues sargasses s’étend généralement de mars à septembre lors des mois où la température de l’eau est élevée, ce qui favorise la reproduction de ces algues. En saison d’hivernage, d’octobre à mars, les algues sargasses sont très peu/pas présentes sur les plages caribéennes.

Ça, c’est ce qui était vrai il y a deux ou trois ans. Désormais — à moins que le cycle évolue — la saison des sargasses… c’est quasiment toute l’année. Ainsi, en Guadeloupe et Martinique, les sargasses sont revenues, cette année, en janvier.

Les premiers explorateurs européens, comme Christophe Colomb, avaient constaté l’accumulation des algues sargasses en pleine mer, au nord-est des Bermudes, une zone sur 3 200 km de long et 1 100 km de large environ qu’ils ont appelée justement la mer des sargasses.

LE GYRE DE L’ATLANTIQUE NORD

Port de pêche de Saint-François. Les sargasses envahissent ces abris, gênent les canots à moteurs des marins-pêcheurs, tuent toute faune en asphyxiant les fonds. @AJV

Cette accumulation est causée par un courant océanique circulaire, le gyre de l’Atlantique Nord, mais à partir de 2011, les sargasses ont considérablement élargi leur territoire plus au sud. Elles s’étendent maintenant sur une grande ceinture qui s’étend des Caraïbes jusqu’en Afrique de l’Ouest.

Pourquoi ? Selon l’hypothèse la plus largement acceptée, publiée en 2020 dans la revue Progress in Oceanography, ce sont des vents inhabituellement forts associés à un événement anormal de l’oscillation nord-atlantique (ONA) qui auraient poussé les sargasses vers le sud. Elles ont alors trouvé des conditions favorables qui ont mené à l’explosion de leur prolifération à l’origine du problème actuel.

INCOMMODANT

Cette prolifération serait due, entre autres, au réchauffement de l’océan et à des apports importants en nutriments liés aux fertilisants (des Etats de l’ouest africain et du Brésil). Depuis 2011, on a régulièrement des arrivages plus ou moins massifs d’algues sur les côtes des Antilles françaises, tapis d’algues de plusieurs kilomètres retenus par les îles avant de s’engouffrer avec constance dans la mer des Caraïbes pour gagner en fin de course le Texas (Etats-Unis) et les côtes du Mexique.

Conséquences, les zones littorales exposées à l’Est et au Sud-est sont envahies de sargasses. Celles-ci polluent les plages, et leur pourrissement engendre des gaz neurotoxiques qui ont une incidence sur le quotidien et la santé des habitants. On a peu d’études sur les impacts sanitaires, notamment à long terme. Mais dès 2018, dans leur thèse soutenue pour obtenir le grade de docteurs en médecine, Jérémie Dauvergne et Anna Berger une augmentation du nombre de céphalées, des problèmes digestifs, des problèmes cardiaques. En 2022, une étude du centre hospitalier universitaire de Martinique a démontré un risque accru de pré-éclampsie chez les femmes enceintes qui vivent près du littoral.

PAS DE SOLUTION VÉRITABLE

En fait, on a beau se démener, avec de la bonne volonté : il n’y a pas de réelle solution pour se débarrasser de ce fléau dont on peut craindre qu’il ne soit chaque année plus dérangeant.

Regardons cette vue satellite de la zone caraïbe. Tout ce qui est en rouge, ce sont des radeaux de sargasses. Sur des millions de kilomètres carrés, un flux… saisonnier qui tend à perdre cette saisonnalité : il en vient régulièrement, plus ou moins, mais de plus en plus. 240 millions de tonnes, c’est un chiffre, une estimation.

ENLEVEMENT. Ici, c’est à la Désirade.

Pour les seules Guadeloupe et Martinique, on avance le chiffre de 40 à 50 000 tonnes ramassées chaque année ! Incroyable réalité d’un fléau qui empoisonne les populations : supporter cette odeur jusqu’à des kilomètres à l’intérieur des terres, prendre le risque, en stockant ces horreurs qu’elles ne viennent empoisonner la nappe phréatique…

Si des projets de valorisation de ces sargasses existent, ils ne restent qu’à l’état de niches, quasiment de curiosité.

Il est fini le temps où un agent municipal, à Terre-de-Haut, nettoyait au râteau, tous les matins, la plage de Pompierre. Aujourd’hui, ce sont des pelleteuses qui raclent la plage, déversant sargasses et sable dans des camions-bennes qui vont remplir des fonds dans certaines zones choisies par les autorités.

Alors que faire ? Les ramasser avant qu’elles pourrissent sur les littoraux. Aller les chercher en mer. Autant se munir d’une petite cuillère pour vider celle-ci !

« On n’en aura jamais fini de cette saleté ! » Paulo, marin-pêcheur, traverse un tapis de sargasses, à la sortie du port. C’est un philosophe naturel, sans illusion.

D’où viennent-elles ?

Ce document laisse penser que l’origine des sargasses est en Afrique. Cependant, depuis 2014, un second flux vient des sources de l’Orénoque, au Brésil. @DR

Deux campagnes en mer effectuées en 2017 par un consortium scientifique coordonné par l’Institut de Recherche et Développement (IRD) qui associait Aix Marseille Université, l’Université des Antilles, l’Université de Bretagne Occidentale et le Centre national de recherche scientifique (CNRS), avance qu’une des causes pourrait être l’augmentation des nutriments telluriques présents dans les eaux par les mécanismes suivant :
• Déforestation.
• Erosion des sols.
• Destruction des mangroves au Brésil (la mangrove permettait de retenir les nutriments provenant des fleuves).
• Surexploitation des bassins des grands fleuves équatoriaux.
• Les fleuves Congo à l’Est, l’Amazone à l’Ouest, déversent leurs eaux plus riches en nutriments (nitrates et phosphates) favorisant la prolifération des sargasses.

La présence d’engrais, pesticides semble influencer le développement de ces algues en stimulant leur croissance.

D’autres nutriments apportés par la « brume des sables » (riche en minéraux, fer et phosphate) provenant du Sahara et transportés par les Alizées nourrissent les algues et constituent un substrat favorable au développement des algues. Les facteurs climatologiques rentrent aussi en compte puisque le réchauffement des eaux semble favorable au développement des algues.

Source : Thèse : Enquête en ligne sur l’impact des échouements de sargasses sur la santé en population antillaise, par Jérémie Dauvergne et Anna Berger (2019)

Un GIP Sargasses par collectivité

Lors du comité de pilotage extraordinaire sur le plan national de lutte contre les sargasses, présidé par Jean-François Carenco, ministre délégué aux Outre-mer, le 1er août 2022, il a été décidé de mettre en place dès l’automne 2022, un opérateur unique de gestion par territoire pour concentrer les moyens de réponse au phénomène des sargasses et permettre plus de souplesse dans l’allocation des ressources publiques. La création donc d’un « Service public anti-sargasses » a été acté.

Les deux collectivités régionales — Région Guadeloupe et Collectivité territoriale de Martinique — ont opté pour la formule d’un Groupement d’Intérêt Public (GIP), chacun dans le champ géographique de leur territoire et qui s’appuiera, pour sa partie opérationnelle, sur une structure de coopération syndicale ou sur les groupements des collectivités impactées.

Les GIP sont constitués entre l’Etat et les collectivités territoriales de Guadeloupe et de Martinique, auxquels s’adjoignent des partenaires privés comme une CCI ou des établissements publics comme l’Université des Antilles.

Les actions mises en œuvre par les GIP seront soutenues par les crédits du Plan national de lutte contre les sargasses 2022-2025.  Une enveloppe mutualisée est prévue par la loi de finances pour 2023 à hauteur de 5 millions d’€ annuels sur la période, qui financeront les actions décidées par les membres des deux GIP.

Ces financements seront complétés par les fonds européens d’intervention dont les collectivités territoriales sont « autorités de gestion », par les crédits de l’ADEME pour la recherche et la valorisation et toutes autres contreparties à venir.

En Guadeloupe, le GIP baptisé « SARGIP » sera constitué de l’Etat, de la région, du département et de la CCI de la Guadeloupe. Par ailleurs, ils s’orientent vers la création d’un syndicat mixte ouvert qui regroupera les collectivités impactées par le phénomène qui en sera son bras opérationnel.

En Martinique, le GIP Baptisé « Service Public Anti-Sargasses de Martinique » sera constitué de l’Etat, de la collectivité territoriale de Martinique et des trois EPCI dont les communes-membres sont impactées par le phénomène.

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