DOSSIER. Vert pâle : après les mots, les actions !

C’est souvent encore ça. @Shutterstock

La délégation sénatoriale aux Outre-mer, présidée par Stéphane Artano, sénateur de Saint-Pierre et Miquelon, a confié à deux sénatrices, Gisèle Jourda, de l’Aude, et Viviane Malet, de la Réunion, la mission d’évaluer la gestion des déchets et de mesurer l’ampleur de l’urgence sanitaire et environnementale. Le 8 décembre 2022, le rapport était déposé.

Le 8 avril, le ministre délégué chargé des Outre-Mer, Jean-François Carenco, diffusait un communiqué en forme d’avertissement lancé aux éco-organismes Outre-mer : « les attentes sont fortes, les indicateurs doivent progresser partout ! Une mise à niveau ambitieuse des plans de rattrapage est attendue d’ici trois mois grâce à la concertation locale. »

DE QUOI PARLE-T-ON ?

On parle de déchets. Pas simplement ce qu’on appelle communément « ordures ménagères », mais déchets. Les déchets, il y en a de toutes sortes, des boites de conserves ou cartons aux membres humains. En passant par de l’amiante, des huiles, des acides de batteries, des végétaux, du bois, du papier, des appareils électriques, des voitures hors d’usage, etc.

Pour tout ceci, il faut des filières complexes, qui dépassent la simple décharge à enfouissement et tant pis pour la nature.

Ces filières ont pour rôle de débarrasser les gens des déchets qu’ils produisent d’une façon ou d’une autre, à moindre coût pour la société et la nature. Ces filières coûtent aux particuliers, aux entreprises, aux collectivités, à l’Etat et peuvent rapporter pas mal.

Sinon, pourquoi les grands groupes se battent-ils à coups de millions et de pots de vins pour obtenir des marchés ? Pourquoi les élus se battent-ils pour la présidence… d’un dépôt d’ordures ?

CÔTÉ CIVISME, C’EST PAS ÇA

Comme diraient certains politiques : « Les déchèteries sont là ! On en mettra d’autres… »

Certes, et nul ne peut nier les efforts qui sont faits, notamment par la Collectivité Territoriale de Martinique et la Région Guadeloupe qui se substituent naturellement aux EPCI sans le sou pour mettre en place des infrastructures de traitement des déchets ménagers. Mais, ce n’est pas une par commune qu’il faudrait mais trois pour Les Abymes, une pour Pointe-à-Pitre et Basse-Terre, trois pour Baie-Mahault, etc. Sinon, les gens ne feront pas l’effort d’y aller…

Parce que, côté civisme c’est rideau à tous les étages. Le simple citoyen, malgré l’éducation à l’école, malgré les campagnes, malgré les incitations… à encore tendance à tout jeter hors de chez lui, chez le voisin si possible. Manque d’éducation, il faut hélas le dire. Et ceci ne s’applique pas aux seuls citoyens lambda. Il y a des commerçants, très connus de la place, qui entreposent leurs cartons dans les coins de rues de la cité… et manfou la suite. Si la mairie ne veut pas ramasser, pas leur affaire !

De même, peut-on penser que les élus font ce qu’il faut ? Ne pas déranger surtout ! Or, il existe des moyens de coercition pour les gens qui ne veulent pas comprendre qu’il ne faut pas créer des décharges sauvages en jetant à la nuit tombée des ordures aux bords des routes, sur des chemins creux, près des plages, en forêt… d’autant que les déchèteries sont gratuites !

LA FOIRE D’EMPOIGNE

La gestion des déchets ouvre des appétits. Certains élus en font leur pré carré et pas question de les bousculer, ils auront des réactions féroces.

« Dans chaque Outre-mer, une seule entité devrait avoir la responsabilité du traitement des déchets ménagers et assimilés », dit le rapport sénatorial.

En Guadeloupe, la collecte est assurée par six EPCI, le traitement par un syndicat mixte et deux EPCI, soit neuf entités. En Guyane, il y a quatre EPCI pour la collecte, chacun d’eux s’occupant du traitement, soit quatre entités. En Martinique, il y a trois EPCI et un syndicat mixte, soit quatre entités.

Et pourtant, on ne peut pas dire que ça fonctionne particulièrement bien. Il suffit de voir les tas d’ordures dans les résidences, derrière des haies, sur les bords de routes, aux abords des décharges même, les véhicules hors d’usage abandonnés, parfois par centaines dans des champs, au vu et au su de tout le monde, de l’élu du coin, qui pourrait faire remonter l’information s’il était moins soucieux de ne pas faire de vague… un tel comportement n’est pas avoir le sens du service public ni de l’intérêt général ! parfois, c’est le même élu qui siège à l’EPCI ou au SM qui est chargé du traitement des déchets… et qui emploie son fils, sa fille…

UN SERVICE COÛTEUX

Tiens, parlons chiffres, rapidement. Combien coûte la gestion aidée des déchets, par habitant (HT) ? 93 euros en France (hexagonale). En Martinique, 187 euros, en Guadeloupe 179 euros, en Guyane (parent pauvre des Outre-mer) 86 euros.

Pourquoi ? « Les raisons de ces surcoûts sont largement documentées : transport maritime, vie chère outre-mer, une collecte en porte à porte prépondérante, l’usure prématurée des matériels en raison du climat, le coût du foncier, parfois le manque de concurrence… »

Et puis, parce qu’il faut investir, pour rattraper le temps perdu, être dans le vent du changement climatique et de la vertu — l’économie circulaire, expression tendance —, il faut répercuter les coûts sur le citoyen. A défaut de les répercuter sur les entreprises qui polluent (où vont les déchets blancs ?)

DES RECETTES INSUFFISANTES

D’un autre côté, les recettes sont insuffisantes, basées sur des taxes diverses et multiples qui datent d’un autre temps.

En moyenne, la TEOM couvre près de 80 % des coûts du service public. Mais, le taux de couverture est très variable selon les collectivités. En Martinique, un EPCI est à l’équilibre, le second autour de 75-80 % et le dernier à 50 %. En Guadeloupe, le taux moyen dépasse 85 %. En Guyane… 25%, selon l’ADEME. Dans la communauté de communes de l’est guyanais, la TEOM ne couvre que 15 % des coûts de gestion des déchets. Le cas de la commune de Camopi est le plus extrême : aucune TEOM n’y est prélevée… car le foncier appartient à l’État.

Allez, fouaillons !

Outre-mer, les taux de TEOM sont très élevés, en particulier pour des territoires avec un taux de pauvreté important. En Guadeloupe 17,1%, en Martinique 16%, en Guyane 14% contre 9% dans l’Hexagone ! En Guyane, le montant moyen de la TEOM est de 56 euros par habitant, sachant que seul 1 habitant sur 8 la paie. Dans les quartiers informels, une part grandissante de la population n’est pas imposable.

EN BREF

Pas de sous

En Guyane, le projet de PRPGD en cours d’élaboration estime à près de 400 millions d’euros les besoins financiers en investissement. Le programme opérationnel 2021-2027 est nettement sous-dimensionné et ne prévoit que 10 millions d’euros pour toute la Guyane.

En Martinique, la seule création d’une troisième ligne au sein de l’unité d’incinération pour consommer des CSR et la mise aux normes des installations représenteraient un investissement de 80 millions d’euros. Au total, la réalisation d’ici 2031 des 25 installations prévues par le plan régional requiert environ 100 millions d’euros. En Guadeloupe, les besoins sont similaires. Les fonds manquent.

Incompétence ou cachotteries

La Cour des comptes dresse un état des lieux critique sur la production des données en matière de gestion des déchets ménagers. La Cour relève que l’Ademe est « confrontée de façon générale à la faible qualité et au retard des comptes-rendus sur les déchets ménagers et assimilés que doivent élaborer chaque année les intercommunalités. »

Autres difficultés : des transmissions d’information par les syndicats et les exploitants des installations irrégulières, partielles et ne respectant pas la formalisation réglementaire, des indicateurs trop nombreux, complexes et peu significatifs car rendant compte des moyens mis en œuvre et non des résultats obtenus, de longs délais de production des informations consolidées. On sent le flottement.

Pas de collaboration

« Ce brouillard de données, indique le rapport, complique le pilotage de la politique publique des déchets et prive les décideurs d’indicateurs éclairants pour orienter et prioriser les actions. »

En fait, et le rapport le souligne, il faut une collaboration de tous. Sur certains territoires, on ne sait pas chiffrer la population tant l’immigration clandestine est importante (Guyane et Saint-Martin), ailleurs, ce sont les Douanes qui refusent de donner le quantum des importations… pour estimer les gisements de leurs filières respectives. Et puis, il n’y a pas assez de fonctionnaires pour faire le boulot !

Un problème sanitaire

Lors de son audition, la Direction générale de la santé (DGS) a souligné que l’abandon des déchets sur l’espace public ou privé, notamment les produits électroménagers ou les véhicules hors d’état d’usage (VHU) favorise la prolifération d’espèces nuisibles et de rongeurs, qui sont vecteurs de maladies transmissibles aux populations, comme la dengue, le paludisme, ou la leptospirose. Les déchets abandonnés sont autant de gîtes larvaires propices à la prolifération des moustiques. Des épidémies régulières de dengue, mais aussi de zika ou de chikungunya, touchent régulièrement une grande partie de la population dans les Antilles, en Guyane. Elles entraînent des arrêts maladies, de nombreuses hospitalisations et des décès. Les rongeurs, et les rats en particulier, favorisent la transmission de la leptospirose qui est une maladie bactérienne grave pouvant conduire à l’insuffisance rénale, voire à la mort dans 5 à 20 % des cas. En Guyane, une centaine de cas est comptabilisée chaque année. Le taux est 70 fois supérieur à celui de la France hexagonale. D’autres maladies encore peuvent être favorisées par une mauvaise gestion des déchets, comme la typhoïde ou l’hépatite A.

Que font-ils ?

L’enfouissement est toujours la règle, sauf à Saint-Barthélemy

Demain, encore pire ! @DR

. En Guyane, un territoire grand comme le Portugal, on compte deux déchèteries en fonctionnement, une seule déchèterie pour les professionnels sur la commune de Kourou, deux ISDND, installations de stockage de déchets non dangereux, aux normes, pas d’installation de stockage pour les déchets inertes, deux centres de tri. Aucune unité de valorisation énergétique, mais en revanche de nombreuses décharges à fermer et à réhabiliter. Les ISDND en activité sont proches de la saturation et il est urgent d’en ouvrir de nouvelles.

Le taux de valorisation des déchets ménagers ne dépasse pas 18 %. 82 % des déchets ménagers et assimilés (DMA) sont enfouis. Dans les faits, une part importante des flux de déchets échappant à la collecte, le taux de valorisation est encore plus faible.

. Saint-Martin est dans une situation proche de la Guyane. Les infrastructures de base manquent. Une seule déchèterie pour plus de 35 000 habitants, un tri sélectif interrompu plusieurs années faute de marché public renouvelé et un taux d’enfouissement de près de 100%.

En 2021, plusieurs marchés ont été passés, notamment la collecte des épaves de bateaux et celui des VHU. La déchèterie de Galisbay a également rouvert. Le retour à la normale est donc lent. Des dépôts sauvages existent, mais principalement sur des terrains privés. Des projets existent néanmoins sur l’écosite actuel de Grandes Cayes. Un enjeu fort reste aussi la coopération avec la partie néerlandaise de l’île, car l’application stricte du droit européen est rendue compliquée.

Est-ce tolérable ? @DR

. La Martinique est sur une ligne de crête. Seul DROM à s’être doté tôt d’une unité d’incinération, la Martinique n’est pas parvenue à capitaliser sur cet acquis pour déployer une politique plus ambitieuse. Pire, l’incinérateur a vieilli faute d’investissement et connaît de nombreux arrêts techniques qui se répercutent sur l’ensemble de la chaîne de traitement des déchets. Les ISDND qui arrivent à saturation, quand certaines décharges ne sont pas carrément fermées comme celles de Céron pour mise en conformité, ne peuvent pas toujours accueillir le surplus dans de bonnes conditions. En 2016, l’enfouissement était le troisième mode de traitement. En 2020, il est devenu le premier.

Plusieurs anciennes décharges littorales, qui relâchent régulièrement en mer, sont également à résorber.

. En Guadeloupe, valorisation 20%. La situation est assez proche de celle de la Martinique, à la différence que le territoire n’est pas doté d’unité de valorisation énergétique. Le réseau de déchèteries est encore fragile et les taux de valorisation dépassent tout juste 20 %. 77 % des déchets ménagers sont enfouis. Le tri demeure insuffisant et les refus de tri sont massifs (près d’un tiers). Côté prévention, on constate aussi que la production de déchets par habitant est supérieure à la moyenne nationale, qui est pourtant supérieure à la moyenne des départements et régions d’outre-mer (DROM) et des collectivités d’outre-mer (COM). Les dépôts sauvages sont très nombreux. Rien que pour les VHU, 375 sites avaient été recensés en 2017.

Un des deux centres VHU. @DR

. Saint-Barthélemy a lourdement investi pour se doter d’un pôle « déchets » performant. Déchetteries pour les professionnels et les particuliers, centre VHU, unité de compostage et deux unités de valorisation énergétique sont réunis sur un seul site. Aucun déchet n’est enfoui. Les déchets dangereux, notamment les résidus d’épuration des fumées d’incinération des ordures ménagères (REFIOM) et les mâchefers, sont exportés vers l’Hexagone. Les matières valorisables le sont principalement vers l’Union européenne et les États-Unis. A noter que les plastiques ne sont pas triés et sont directement incinérés. Il existe aussi deux centres privés de recyclage des déchets inertes du bâtiment.

Le problème qui va se poser est la croissance de population qui va imposer prévention et réemploi… sous peine de saturation.

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