Hervé Mariton est président de la Fédération des entreprises des Dom. Il répond à nos interrogations sur le budget des Outre-mer tel qu’écrit par le gouvernement Bayrou et donne quelques conseils, en passant, ou directement, au nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu. Entretien.
Le précédent gouvernement, de François Bayrou, n’avait pas épargné les Outre-mer dans les coupes budgétaires. Pourquoi ?
Ce qui est désolant, c’est le choix, dans le budget des Outre-mer de faire porter les efforts sur le dos des entreprises. Je ne sais pas pourquoi. Je pense que c’est exprimer peut-être une forme de résignation à l’égard d’un développement de l’économie marchande qui n’est pas aussi intense qu’on l’espérait. Est ce qu’il y a une espèce de résignation Outre-mer ? Le chômage doit-il rester élevé ? Est-ce qu’il y a une résignation au fait que le produit marchand Outre-mer soit faible par rapport aux dépenses publiques ? C’est ce que semblait montrer ce choix fait par le précédent gouvernement de faire porter aux entreprises des Outre-mer l’essentiel de l’effort budgétaire demandé.
« Il y a une contradiction entre les actions de Manuel Valls dans le domaine des économies Outre-mer qui consisteraient à avoir un discours contre les gros et en vérité à proposer des mesures qui, pour l’essentiel, impacteraient les petits. »
Est-ce que Manuel Valls a compris les Outre-mer ? On peut se poser la question.
Manuel Valls, en tant que ministre, s’est beaucoup engagé physiquement, personnellement et il n’a pas plaint son engagement, son travail, sa présence sur le terrain. Donc, je ne formule pas de remarque personnelle à l’égard du ministre. Je ne sonde pas les reins et les cœurs et c’est difficile de répondre à votre question. Ce que je pense c’est qu’il n’a pas compris l’économie des Outre-mer, l’importance de développer les entreprises, l’importance de développer l’emploi. Il y a, dans l’action de Manuel Valls, des ambitions. Mais, ces ambitions, ne sont pas un défaut, c’est même une qualité de pouvoir travailler ainsi sur la question de la vie chère. Le seul problème dans l’action qui nous a été présentée ce sont les contradictions qui se retrouvent dans des coupes budgétaires considérables sur le dos des entreprises. Il y a des contradictions qui se retrouvent quand on a des discours contre les grandes entreprises, alors qu’en vérité les propositions du même ministre, par exemple dans le projet de loi contre la vie chère, sont surtout défavorables aux petites et moyennes entreprises et épargnent plutôt les grandes entreprises. On le voit surtout quand les augmentations de charges sociales seraient principalement pour les très petites entreprises et les PME.
Il y a une contradiction entre les actions de Manuel Valls dans le domaine des économies Outre-mer qui consisteraient à avoir un discours contre les gros et en vérité à proposer des mesures qui, pour l’essentiel, impacteraient les petits.
Le gouvernement a-t-il compris les raisons de la vie chère outre-mer ?
Les raisons de la vie chère Outre-mer sont assez largement identifiées, sont multiples, sont complexes. Elles reposent très largement sur l’éloignement et sur une fourniture qui vient très majoritairement de l’Hexagone. Ce n’est pas hyper compliqué dans l’analyse. Et puis les solutions sont nécessairement des solutions de longue haleine et de longue durée. Les solutions pour nous sont le développement de l’économie, la création d’emplois et ce n’est pas l’imposition d’une strate supplémentaire d’administration de l’économie et de contraintes administratives.
Très franchement, ça a déjà été essayé et ça ne marche pas. Le Conseil d’État, d’ailleurs, dans son avis sur le projet vie chère, dit que des mesures antérieures n’ont pas été évaluées et donc on semble là poursuivre dans une direction qui ne fonctionne pas. Ce n’est pas la première fois qu’il y a des mesures d’administration de l’économie qui sont prises pour lutter contre la vie chère. Ça ne marche pas !
« Si, demain, un gouvernement devait écrire une aggravation de la crise sociale Outre-mer, ça coûterait, au gouvernement et au contribuable, beaucoup, beaucoup, beaucoup plus cher. »
Ce gouvernement n’a-t-il pas été influencé par des a priori ?
Ce gouvernement a été influencé peut-être par des conceptions… un peu idéologiques. Peut-être aussi sont-ce des préoccupations de circonstance. Je pense que ce gouvernement s’est dit qu’il fallait afficher un certain nombre de choses mais, les Français ne sont pas dupes : l’effet d’annonce, ça ne fonctionne pas.
Prenons un exemple : le projet loi vie chère autoriserait la vente à perte des produits de première nécessité en demandant aux vendeurs, aux commerçants, d’absorber les frais d’approche, les frais de transport du produit.
Si vous êtes une très grande entreprise, vous ne vendez pas que des produits de première nécessité. D’ailleurs vous ne vendez pas que de l’alimentation. Vous êtes éventuellement aussi dans la production, dans la construction et plein d’autres activités et donc vous pouvez absorber votre vente à perte sur d’autres productions et donc vous survivez à cette possibilité de vente à perte. Si vous êtes une petite ou une moyenne surface vous n’avez pas la capacité d’étaler vos pertes sur d’autres produits et vous risquez de disparaître.
Il y a une espèce d’a priori contre les gros et qui en vérité se retourne contre les petits. Il y a l’idée, en effet, avec cette vente à perte, que cela puisse avoir un effet de très court terme et c’est possible. J’aurais l’honnêteté intellectuelle de reconnaître qu’une telle mesure peut faire baisser les prix dans un premier temps. Et, comme dans un deuxième temps, elle amènera la disparition d’un certain nombre d’entreprises et d’un certains nombres d’emplois, elle aura un effet au contraire de concentration de l’offre, d’augmentation des prix et de baisse des revenus par la suppression d’emplois. Voilà tout simplement.
Est-ce que vous avez le sentiment que les élus des Outre-mer ont compris tout ça et ont défendu leurs régions ?
Oui, je crois que, dans les rencontres que nous avons avec les élus d’Outre-mer actuellement, que ce soient de nombreux parlementaires et des élus locaux, notre message est entendu. Le fait, par exemple, qu’il serait extrêmement pénalisant pour l’emploi et pour le coût de la vie d’augmenter les charges sociales des entreprises et principalement des très petites entreprises et des PME, ça les élus le comprennent. Je pense que les élus vont soutenir notre analyse.
L’économie outre-mer ne va pas bien, en atteste les dépôts de bilan des sociétés toujours plus importants.
Oui, il y a malheureusement des dépôts de bilans aujourd’hui qui s’accélèrent à un rythme qui est plus mauvais que celui de l’Hexagone. Il faut être très conscient qu’il y a beaucoup d’entreprises qui sont au niveau de la ligne de flottaison. Et si vous leur mettez des charges sociales supplémentaires, vous risquez soit que ces entreprises augmentent leurs prix, soit que ces entreprises suppriment des emplois, soit que ces entreprises disparaissent. Les trois réponses, augmentation des prix, suppression d’emplois, aggravation du chômage, et disparition d’entreprises, tout ça serait dramatique pour l’économie et pour la société Outre-mer.
« Chassez les vents mauvais qui voudraient oublier notre exigence de développement économique », dites-vous dans votre dernière lettre hebdomadaire. Quelles sont ces vents mauvais ?
C’est déjà celui qui amène à considérer que, au fond, les arbitrages budgétaires Outre-mer pourraient se faire sur le dos des entreprises. C’est a priori, je dirai, même pas anti-entreprises, mais d’imaginer que sans les entreprises on puisse faire les Outre-mer, ça, c’est un vent mauvais !
La France a-t-elle toujours les moyens de soutenir l’économie des Outre-mer ?
Je crois d’abord que la France, en effet, apporte un certain nombre de soutiens à l’économie ultramarine. Mais, ce que nous voulons, c’est que ce soit un cercle vertueux. Que ce soutien à l’économie Outre-mer amène une baisse du chômage, amène une production de valeurs nouvelles, une contribution des entreprises à la vie économique. Et c’est ça le cercle vertueux qu’on souhaite. Donc ce n’est pas une dépendance économique à perpétuité. C’est le fait qu’un coup de rein sur le plan économique, un développement économique, permette de trouver un équilibre qui serait gravement handicapé si les mesures dont on parle aujourd’hui devaient prospérer.
On dit toujours que le gouvernement, que les gouvernements successifs, donnent beaucoup aux entreprises. Ne pourrait-on pas souhaiter que ces économies des Outre-mer se soutiennent toutes seules ? C’est un peu ce qu’avait dit Manuel Valls quand il est arrivé au ministère.
Est-ce qu’il y a un soutien fort de la puissance publique à l’économie des Outre-mer, la réponse est oui. Ce soutien tient compte des réalités économiques. Quand vous avez des fonctionnaires qui sont surrémunérés, il est important que les chefs d’entreprise dans le privé puissent avoir une politique de rémunération qui soit en partie facilitée par des remises de charges sociales. Quand vous avez un chômage qui est très élevé, en particulier un chômage des jeunes, c’est normal qu’il y ait une politique exceptionnelle en faveur de l’emploi. Ensuite, il faut évidemment qu’on soit capable de rattraper cet écart. Ce gap — décalage profond, écart important entre des choses, des personnes ou des pays, notamment dans le développement économique — s’est constitué avec un niveau de chômage plus élevé, de chômage des jeunes plus élevé, une difficulté à attirer des jeunes talents avec tous ces ultramarins qui poursuivent leurs études dans l’Hexagone ou ailleurs et qui, malheureusement, ne rentrent pas au pays. Tout ça, c’est un travail à mener. Et ce travail, on est en train de le mener. N’oubliez pas que le chômage Outre-mer a été réduit un peu plus vite que dans l’Hexagone. Mais, on part de tellement haut qu’il y a encore beaucoup à faire.
S’il fallait conseiller le nouveau Premier ministre, que lui diriez-vous ?
Je lui dirai, et c’est d’une certaine manière ce que je dis dans mon éditorial de la Lettre Hebdomadaire de la FEDOM, de prêter une grande attention aux entreprises et je lui dirai que l’avenir des Outre-mer passe par les entreprises parce que c’est comme ça qu’on crée des emplois. C’est comme ça qu’on répond aux difficultés de la vie chère et c’est comme ça qu’on assure un avenir. Et c’est aussi comme ça qu’on préservera les finances publiques. Si, demain, un gouvernement devait écrire une aggravation de la crise sociale Outre-mer, ça coûterait, au gouvernement et au contribuable, beaucoup, beaucoup, beaucoup plus cher.
Propos recueillis par André-Jean VIDAL