Franck Garain : « Le vélo révèle l’évolution de la société guadeloupéenne »

Auteur de Camille Daridan, le plus fort, publié aux éditions Nèg Maron (2022), Franck Garain donne une conférence sur ce que dit le Tour cycliste de la Guadeloupe, samedi 5 août, à Morne-à-L’Eau.

Le Tour cycliste est un élément incontournable dans l’évolution de la société guadeloupéenne ?

Franck Garain : Le Tour est un incontournable, un miroir de la société guadeloupéenne. Avec le Tour cycliste, on fait le tour de l’histoire « moderne » de la Guadeloupe, d’une certaine façon.

Comment passe-t-on des premiers vélos importés sur le territoire, essentiellement pour la détente, à la compétition sportive acharnée ?

Au départ, la bicyclette, qui coûte très cher, importée en petites quantités des Etats-Unis, a surtout un usage hygiéniste. Les classes moyennes, les fonctionnaires, les employés du secteur tertiaire flânent à bicyclette pour la détente, le loisir, pour parcourir la campagne, être en bonne santé. Pour les classes moyennes, la bicyclette est un élément de valorisation par rapport au cheval qui est commun à l’époque et jusqu’au début des années 1960.

À quel moment le vélo devient un outil de compétition en Guadeloupe ?

Avec les usines, une classe d’ouvriers emprunte le vélo ; les transports n’étant pas encore développés. Progressivement, le vélo s’impose dans les masses populaires. Il devient un moyen de déplacement pour les ouvriers qui vont commencer à se mesurer sur les routes. C’est ainsi que le vélo gagne en popularité et que les premières compétitions sont organisées par des mécènes, des marchands de cycles, qui voient une occasion de vendre leurs vélos. Les compétitions sont organisées lors des fêtes de communes. À côté de la course de chevaux ou d’ânes, apparaît la course à bicyclette.

En Guadeloupe, le vélo a déchainé les passions, suscité des antagonismes au sein de la population. Comment l’expliquez-vous ?

Le vélo de compétition, particulièrement, accompagne les fractures et les évolutions de la société guadeloupéenne. Comme un miroir, la pratique du vélo révèle l’évolution de la société guadeloupéenne.

Le vélo révèle aussi l’évolution des représentations que l’on a du corps. Un corps ouvrier est, par excellence, celui de l’effort. On va trouver son pendant chez des champions issus de la paysannerie, de la masse des ouvriers : ils symbolisent l’effort des petites gens. Le corps, on le fait souffrir : on est loin du corps esthétique que mettaient en avant les classes moyennes. Le corps ouvrier est endurci au dur labeur des champs, des chantiers. Les gens se sentent bien représentés par ces hommes qui pédalent comme des forcenés, sans tactique préétablie. L’essentiel consiste à battre l’autre à la force de la pédale !

Aujourd’hui, on est en train de s’assimiler à outrance. On est passé d’un corps libre à un corps docile aux injonctions règlementaires régulées par les fédérations. Malgré nous, on a conservé cette représentation du corps martyrisé, que l’on pousse jusqu’à sa dernière extrémité. La souffrance qui caractérise la pratique du vélo, dans le monde entier, rend de l’humanité aux sportifs. Quand un sportif souffre, il rend aussi de l’humanité à chacun d’entre nous : il nous montre qu’il est capable de se dépasser. Il révèle cette capacité que nous avons d’être champions un jour, battus le lendemain…

Au fil du temps, l’appartenance géographique a disparu au profit de marques ou d’un individu…

Les clubs historiques, la Pédale du Centre (PDC), le Vélo Club Saintannais (VCS), l’Union Vélocipédique du Nord… sont les rares aujourd’hui à être dépositaires du nom d’un territoire : le Nord, le Centre, le Sud… Aujourd’hui, on est dans un cyclisme de marques avec des connotations anglo-saxonnes, mais aussi des clubs et des coureurs qui ne représentent plus des territoires. Parfois le projet est conçu autour d’un individu.

On note aussi que la passion du vélo s’est transmise au sein des familles, fidèles au rendez-vous.

Le Tour est devenu un moment ritualisé du temps guadeloupéen. D’une part, il a permis de découvrir la Guadeloupe. Quand on part de Morne-à-L’Eau pour aller à Basse-Terre, c’est une découverte. Le sport, particulièrement le cyclisme, a permis une lecture intérieure du territoire. C’est un des éléments qui expliquent sa popularité. D’autre part, le Tour cycliste est un spectacle gratuit.

Le « barèd kous » est une spécificité locale ?

Autant pour le Tour de France, les spectateurs se postent à un endroit précis pour voir passer le peloton, autant en Guadeloupe, compte tenu de l’exiguïté du territoire, les « barèd’kous » se déplacent en plusieurs points. Ils iront voir les cyclistes aux Mamelles, puis prendront un chemin de traverse pour les voir passer à Belle-Allée. Ils reviendront vers Morne-à-L’Eau pour se diriger vers Petit-Canal et voir le peloton à Sainte-Marguerite… Le « barèd’kous » saisit toutes les opportunités : il ne perd rien ! Ce qui correspond aussi à notre mentalité. Le « barèd’kous » est assez représentatif de notre population qui veut tout avoir. Mais, c’est un autre débat !

Entretien : Cécilia Larney

Conférence : Comment le Tour cycliste raconte-t-il la Guadeloupe ? Samedi 5 août, à 19 heures, à Morne-à-L’Eau, salle des délibérations du Conseil municipal.

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