Grande interview. « L’important c’est d’intervenir dès la première gifle ! »

Rencontre avec Caroline Calbo, procureure de la République à Pointe-à-Pitre

Caroline Calbo a été nommée procureure de la République à Pointe-à-Pitre après un séjour dans l’île de La Réunion où elle était procureure à Saint-Pierre, une sous-préfecture du sud de l’île. Elle est habituée désormais des territoires ultramarins avec leur cortège de misères : précarité évidente, fort chômage, femmes élevant seules des enfants, pauvreté, etc. Terreaux où poussent les injustices, les violences. Notamment les violences intrafamiliales. Entretien avec une femme de combats.

L’archipel Guadeloupe est particulièrement touché par les violences intrafamiliales. Y a-t-il une progression visible des cas qui vous sont signalés ?

L’archipel de la Guadeloupe est effectivement particulièrement touché par les violences intrafamiliales, même si l’on constate dans les Outre-mer comme dans l’Hexagone, une vraie augmentation des plaintes. Je tiens à vraiment insister sur le terme d’augmentation des plaintes parce que je pense qu’on n’est pas sur une augmentation des violences et que ces violences intrafamiliales ont toujours existé. Parce qu’on en parle de plus en plus, parce qu’il y a des numéros d’appel, parce tout le monde est de plus en plus sensibilisé nous avons effectivement plus de plaintes. Et c’est très bien qu’on ait plus de plaintes parce que, pendant longtemps, finalement, c’étaient des violences intrafamiliales qui n’étaient pas dites et restaient dans la famille. Et ça a contribué à leur reproduction de génération en génération.

Quelles sont les victimes de ces violences ?

Quand on parle des violences intrafamiliales, ce sont déjà les violences conjugales, entre conjoints. Ça peut être des violences physiques, psychologiques, sexuelles, c’est-à-dire des actes imposés. Ça peut être aussi des violences exercées par les parents sur les enfants, par des enfants sur les parents. Les victimes de ces violences, la plupart du temps, sont les femmes. De 80 à 90% des victimes de ces violences sont des femmes ou des jeunes filles. Mais, il peut également y avoir de la violence exercée sur les hommes.

Comment êtes-vous amenée à apprendre ces vas de violences ? Dénonciation spontanée de la part des victimes ? Dénonciation par des tiers ? Violences qui sortent de la sphère familiale pour être publiques, amenant une intervention des forces de l’ordre ?

Nous sommes amenés à prendre connaissance des cas de violence, soit de la part des victimes, parce qu’à un moment, elles osent dénoncer ces violences, soit de la part des tiers. Je pense notamment aux membres de la famille, même si ça reste quand même assez couvert par le secret. Dans les familles, on se dit que ça a toujours été comme ça et puis que ce n’est pas à nous de dire les choses. Donc, des fois, c’est un peu compliqué. Pareil pour les voisins. Les voisins qui entendent que bah, ça se tape au-dessus, n’osent pas forcément appeler la police ou la gendarmerie pour dénoncer. Quand nous faisons des enquêtes de voisinage ils nous disent : « Non, moi je ne veux pas d’histoire, je ne dis rien. » Voilà ! Donc ça reste encore difficile parce que nous avons l’impression de rentrer dans l’intimité d’un dysfonctionnement de la famille alors même qu’il s’agit d’une infraction pénale qui doit être absolument sanctionnée, et notamment quand la victime est sous emprise. Il faut absolument qu’il y ait quelqu’un autour qui puisse l’aider à dénoncer et c’est la raison pour laquelle les lois ont énormément évolué.

Je pense notamment aux médecins qui maintenant sont dans l’obligation de signaler dès lors qu’ils ont connaissance de violences qui sont commises sur des personnes vulnérables et ces personnes vulnérables sont soit les enfants quand ils subissent des actes particulièrement importants de maltraitance, soit les femmes sous emprise.

« Il est important pour nous de pouvoir
toujours mieux accompagner les victimes. »

Une notion difficile à appréhender !

Effectivement, cette notion d’emprise n’est pas évidente à déterminer. Il y a eu cette semaine un séminaire en Guadeloupe, une excellente initiative de la DTPN. Il y avait la Préfecture, le Parquet, car il faut que ça soit un combat qui coordonné avec plusieurs services. Tous les médecins étaient conviés pour évoquer l’obligation de signaler dès lors qu’ils ont connaissance de ces violences, notamment des violences conjugales sur une victime qui est vulnérable et sous emprise. En plus de ces dénonciations par des tiers nous avons connaissance des faits finalement beaucoup par les victimes qui appellent ou la famille qui appelle le 17 en disant : « Il est en train de la taper, venez vite ! » Et les services arrivent et là, ce qui est très important pour nous, ça va être le PV de saisine, c’est-à-dire que tout de suite la gendarmerie ou la police va déterminer les faits. « Nous arrivons dans cette maison, c’est le bazar. Visiblement, on nous dit que Monsieur a tout cassé. Madame est sous le choc, elle est en pleurs, la famille est autour. » Des fois, la famille est alcoolisée et on nous dit que Monsieur est parti alcoolisé au volant de de son véhicule. La dame présente des traces de violence un peu partout sur le corps. Elle est choquée. Voilà, ce sont ces premiers éléments qui sont très importants pour nous.

Un exemple : c’était il y a 15 jours, j’ai passé la nuit avec la BAC à Pointe-à-Pitre et à un moment donné, on nous a appelés. C’était une femme avec ses enfants qui avait très peur puisque son compagnon l’avait frappée avec un petit coup de couteau. Il avait complètement dégradé sa porte et c’est vrai que c’était flagrant de voir finalement cette femme qui était là, qui protégeait ses enfants, qui avait peur d’aller au commissariat parce qu’elle savait qu’on n’avait pas encore interpelé son agresseur. Elle avait peur de le croiser sur le chemin du commissariat.

Il est important pour nous de pouvoir toujours mieux accompagner les victimes. Même s’il y a une augmentation des plaintes, après il y a beaucoup de victimes qui disent : « Non, ce n’est pas de sa faute, c’est juste parce qu’il avait bu. En fait je l’aime. Je veux revenir avec lui. Non, ne lui faites rien, je veux juste qu’il se soigne. »

En fait, c’est beaucoup plus complexe que ça parce qu’il y a tout un mécanisme de la violence avec cette emprise. Il est créé et on revoit ce cycle de la violence constamment.  C’est-à-dire que, si une femme pardonne trop vite les violences, s’ensuit encore une lune de miel et puis au bout d’un moment, on va repartir sur le cycle de la violence avec Monsieur qui va à nouveau exercer son emprise sur Madame. Ensuite, elle ne va pas oser partir et donc pensera que, finalement, c’est normal. Et les enfants qui vont grandir dans ce schéma familial-là, avec les deux parents qui sont dans ce cycle de la violence… Ce n’est pas bon. C’est absolument ça qu’il faut arrêter et donc faire comprendre à Madame qu’elle se retrouve dans ce cycle de la violence et pouvoir l’accompagner jusqu’au bout.

Quel est le cheminement du dossier à partir de la connaissance du fait ?

Une fois que la victime est là, devant la police ou les gendarmes, qu’elle dépose plainte ou pas, peu importe : le parquet portera sa parole jusqu’au bout. Nous qui sommes les représentants de la société, nous allons mener l’enquête et derrière, à l’audience, même si la victime n’est pas là, nous demanderons une condamnation à partir du moment où nous avons les éléments médicaux, l’audition de la victime, les différents témoignages qui démontrent qu’il y a bien eu les violences. La question qui va se poser c’est de savoir quel style de violence ? Est-ce que ce sont surtout des violences habituelles ? Est-ce que Madame est vraiment sous une emprise du fait qu’elle n’ose pas dénoncer les faits ? Quand il s’agit de violences habituelles, bien sûr, la peine sera encore plus importante.

Vu de l’extérieur, l’auteur de telles violences est une brute qui prend plaisir à faire du mal. Quelles excuses reviennent le plus souvent pour expliquer leur comportement ?

C’est beaucoup plus complexe que ça. C’est-à-dire qu’on est souvent avec des auteurs qui, comme les victimes ont grandi dans ce schéma familial-là et qui se retrouvent à reprendre ces rôles-là. Ces rôles, ce sont des rôles de domination. Monsieur a l’impression que Madame le cherche parce qu’elle lui demande des choses, elle se met à crier. Lui se sent particulièrement agressé et, au bout d’un moment, il n’a plus les mots. Ou bien Madame veut partir, il ne le supporte pas. Et à ce moment-là des coups partent. Il peut y avoir plein de raisons, même si on retrouve toujours un peu les mêmes, c’est-à-dire l’alcoolisation qui facilite le passage à l’acte, des incompréhensions et puis parfois vraiment le fait de vouloir partir et que Monsieur n’accepte pas ça.

« Je vais vraiment me battre pour que les enfants
qui ont grandi dans ces schémas familiaux
défaillants puissent être très vite pris en charge. »

Les victimes de violences reviennent-elles parfois sur leur plainte ou minimisent-elles les violences dont elles ont été victimes ? Pourquoi ?

Il y a beaucoup de victimes de violences qui reviennent sur leur plainte ou qui minimisent les violences dont elles ont été victimes parce qu’elles sont dans cette situation d’emprise et qu’elles sont dans cette ambivalence entre leur amour pour lui et puis, en même temps, le fait qu’elles veulent que ça s’arrête. A ce moment-là, elles sont vraiment perdues. Donc il importe de déconstruire cette emprise et de les accompagner.

Cette question peut être choquante mais elle doit être posée : y a-t-il des profils de femmes battues ? A-t-on constaté que des femmes battues recherchent le même type de compagnon brutal ?

Dans cette déconstruction du cycle de violence, il y a des profils de femmes battues, bien sûr, et notamment des jeunes filles qui ont grandi dans un milieu familial où elles ont vu leur mère être battues. Elles-mêmes seront encore plus à même d’être battues. C’est la raison pour laquelle je vais vraiment me battre pour que, justement, les enfants qui ont grandi dans ces schémas familiaux défaillants puissent être très vite pris en charge, pour qu’ils puissent avoir un choix de vie qui respecte l’autre, c’est-à-dire avoir le choix d’un conjoint qui sera respectueux. Je crois que c’est vraiment ça l’important. Une fois qu’on en vient aux mains, c’est qu’il y a vraiment un problème dans la relation. Ce n’est pas une relation normale et il faut vraiment en parler et que l’enfant puisse avoir un autre schéma familial. Il y a effectivement des femmes battues qui sont tout le temps dans une reproduction, avec toujours des mêmes types de compagnons. Elles se retrouvent toujours dans les mêmes difficultés de violences qui recommencent, ce quel que soit finalement le compagnon. Elles vont toujours rechercher le même style d’homme. Nous avons des consultations psychologiques pour les enfants pour essayer justement de leur faire comprendre qu’il y a un autre schéma de couple possible qui peut exister sans violence.

Pour protéger les victimes de violences, il existe des moyens techniques. Quels sont-ils ?

Pour protéger les victimes de violences, nous avons deux outils à notre disposition. Celui qu’on utilise le plus, c’est le téléphone Grave danger. Nous en avons une trentaine à notre disposition. Ça permet d’abord une géolocalisation des victimes et un accès direct des victimes aux forces de l’ordre. Donc, c’est très pratique : les victimes souvent l’utilisent. On le leur laisse pendant 6 mois, ça peut être renouvelable 6 mois. Ensuite on a le bracelet anti-rapprochement. Le problème c’est que ça ne marche pas forcément encore très bien. Nous avons des problèmes de détermination du périmètre, ce qui fait que, pour l’instant, nous avons du mal à techniquement le mettre en œuvre. Mais, ça peut être vraiment un outil très intéressant.

« Pour moi, ce qui est essentiel, c’est la sensibilisation
sur les violences et l’égalité femmes hommes. »

Les peines encourues par les auteurs de violences sont-elles dissuasives ? La récidive est-elle fréquente ?

Qu’est-ce qui est mis en place quand on est face à des auteurs de violences qui ont des addictions ? Il est tout à fait possible de prononcer des obligations de soins. Ensuite, le tribunal prononce souvent des interdictions de contact, des interdictions de paraître au domicile. Il y a l’éviction aussi du conjoint violent. Il y a une expérience qui est très intéressante : une maison pour les auteurs de violences conjugales qui est au Moule. Cette maison sert à héberger les auteurs qui ont été évincés du domicile familial. Ils peuvent y rester plusieurs semaines, encadrés par l’association SCJE. Il y a là une volonté de réinsertion professionnelle. C’est fait pour faciliter justement cette séparation et que Monsieur, qui est quand même un poids, soit éloigné et que Madame puisse rester au domicile, notamment avec les enfants.

La récidive ? Oui, elle peut être fréquente et notamment quand nous mettons met une interdiction pour les conjoints de se revoir. Parce qu’il y a toujours cette ambivalence dont je parlais, cette emprise de Monsieur sur Madame. Madame va souvent essayer de recontacter Monsieur et donc le cycle de la violence reprendra et il peut y avoir effectivement des récidives. L’important pour nous c’est d’intervenir le plus tôt possible, c’est-à-dire dès la première gifle. C’est insupportable. Donc là on arrête tout de suite, il faut qu’il ait une réponse directe avec notamment des stages de sensibilisation aux violences conjugales. C’est une réponse assez simple pour essayer de faire prendre conscience très vite à l’auteur des violences que la réponse qu’il a apportée à ce que lui considère comme une agression n’est pas appropriée. Nous essayons de réagir dès le début pour que, justement il y ait des bons réflexes qui soient pris et, en tout cas, plus de respect dans la relation conjugale.

Sensibilise-t-on les scolaires à cette problématique ?

Vous avez tout à fait raison. Pour moi, ce qui est essentiel, c’est la sensibilisation sur les violences et l’égalité femmes hommes, la sexualité aussi. Il faudrait que tout cela soit développé et j’ai parlé avec la rectrice de l’importance de ces formations dès le plus jeune âge, en fait, pour pouvoir sensibiliser et qu’il y ait une vraie égalité et ce respect entre les deux sexes

Propos recueillis par André-Jean VIDAL
aj.vidal@karibinfo.com

Retrouvez le dossier complet sur L’Hebdo Antilles-Guyane

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