Guadeloupe. Eau : « On va faire bouger le macchabée ! », promet Thierry Devimeux

La problématique de l’eau en discussion avec le préfet Thierry Devimeux, à l’UA, provoquée par Marguerite Civis, présidente de l’association DECIDEE, de Gourbeyre, et d’autres associations d’usagers. Daniel Marianne, secrétaire de la Commission de surveillance du SMGEAG, a été choisi comme modérateur.

Dans l’amphithéâtre Mérault de l’UA, à Fouillole il y a entre 100 et 150 personnes, représentants d’associations d’usagers de l’eau. Invité, le préfet de Région Thierry Devimeux, accompagné de Théo Gal, sous-préfet en charge de l’eau, l’environnement et la ruralité, ne va pas jouer de la langue de bois.

Marguerite Civis fait la genèse du problème : les Guadeloupéens en ont assez de ne pas avoir d’eau tout le temps au robinet. Ceci dure depuis une dizaine d’années et, malgré les fonds que mettent l’Etat, la Région, le Département, voire l’Europe, il y a le sentiment que rien ne change vraiment.

L’Etat n’est pas directement mis en cause par les intervenants.

D’ailleurs, le préfet Devimeux rappelle : « Historiquement, ce n’est pas l’Etat qui a fait des erreurs. » Il va le dire trois fois. Et rappeler que, malgré que ce ne soit pas de la compétence de l’Etat, celui-ci a mis plus de 100 millions d’euros en trois ans pour refaire les réseaux d’eau aux côtés de la Région et du Département, qui ont fait leur part. Comment changer la donne dans ce dossier ? « On va faire bouger le macchabée… », dit-il.

Le macchabée, le mort évoqué, c’est un tout à définir et personne en particulier et c’est surtout… une inertie pénible au détriment des Guadeloupéens.

« Sommes-nous résilients ? », demande quelqu’un qui ajoute : « Je n’aime pas ce mot. »  A juste raison.

Thierry Devimeux, préfet de Région :

Tout le monde ne semble pas concerné

Le préfet de Région va rappeler plusieurs points importants.
1. Tout d’abord que cette situation « est inadmissible et que les Guadeloupéens sont vraiment très patients. »
Ensuite que « si l’Etat n’est pas compétent c’est tout de même de la compétence de l’Etat d’accompagner les élus pour tenter de résoudre cette difficulté. »
Et aussi, au regard de ses premières constatations, « qu’il s’agit d’un problème de gouvernance » et que si l’idée d’un syndicat unique « est une bonne idée », parce que « le syndicat permet de responsabiliser les élus », en fait « le président du syndicat (Ferdy Louisy) est très seul. Tout le monde en réalité ne semble pas concerné. »

2. Cette situation résulte aussi d’un problème de technicité. « C’est complexe de gérer un réseau d’eau (Plus de 3 000 kilomètres de tuyaux). C’est tout autant complexe de gérer la facturation. Mais, ça peut se régler. »

3. Le financement. « Cela se chiffre en centaines de millions d’euros pour ne pas dire en milliards. »
Le préfet incite à régler ses factures d’eau, pour compléter les aides diverses de la puissance publique.

L’autre volet, c’est l’assainissement : « Il faut que notre eau sale remise dans le milieu le soit en ayant retrouvé ses qualités de départ. Ce n’est pas le cas. 120 stations d’épuration sur le territoire et pas une aux normes », martelle Thierry Devimeux.

Conclusion : « Pour les Guadeloupéens, nous sommes condamnés à réussir. »

Une question de turbidité quand il pleut

Les questions fusent, les réponses aussi.

Yann Céranton, porte-parole du collectif Moun san dlo :

Première question. Pourquoi devrait-on payer une eau qui ne coule pas toujours au robinet et qui n’est pas suffisamment potable ?
Réponse du préfet : « L’eau est potable à 98%. Quand elle ne l’est pas, des analyses sont faites par l’ARS et la population est prévenue par le SMGEAG. En Guadeloupe, l’eau est prélevée des torrents et rendue potable. Quand il y a de fortes pluies, elle est turbide, avec des feuilles, de la terre, donc impropre à la consommation, mais c’est partout pareil. »

Objection d’un représentant des usagers : « L’eau est potable à 98% à la sortie de l’usine mais pas à la sortie des robinets parce que les tuyaux, qui sont là depuis cinquante ans, sont poreux. »

Des tours d’eau pendant des années

Deuxième question. On nous a dit qu’il allait falloir supporter les tours d’eau pendant des années ?
Réponse : « Je crains malheureusement que les tours d’eau durent quelques années. Quand on répare le réseau ici, la pression augmente et, plus loin, il y a des fuites parce que les tuyaux, usés, ne tiennent pas le choc. Ça va être compliqué à résoudre. »

Le préfet tient à souligner : « Plus de 100 millions d’euros dépensés sans compter ce qu’ont mis la Région, le Département… et on ne voit pas encore tous les effets, parce que cela ne peut pas être rapide. Le réseau, je le rappelle, c’est 3 000 kilomètres de canalisations. Ça va être long et douloureux. Ça va coûter très cher, parce vous devrez payer l’eau, ça va coûter cher aussi aux collectivités. »

Dominique Virassamy, président de Sauvez nos entreprises guadeloupéennes (SNEG) : « Il y a une population qui n’est jamais prise en compte, c’est celle des entreprises. L’eau nous est indispensable. Quand il n’y a pas d’eau, l’entreprise ferme et elle continue de payer ses charges. En 2019, les entreprises ont supporté 12 jours de coupures d’eau, aujourd’hui plus de 80. »

Thierry Devimeux : « Je comprends très bien ce problème. Les coupures d’eau handicapent les activités économiques. Je signale aussi qu’en 2024, il y a eu 26 jours d’école perdus parce qu’il n’y avait pas d’eau. Presqu’un mois sur une année scolaire. C’est aussi insupportable pour notre jeunesse. »

Néanmoins, le préfet de Région relève quelques « petites lumières vertes dans cet océan de lumières rouges. »

  • La mise en place d’une régie aux côtés du SMGEAG à compter du 1er janvier 2°26. « Il aura fallu quatre ans pour en arriver là. »
  • Le syndicat s’entoure d’expertises extérieures de très haut-niveau « payées à 100% par l’Etat. »
  • Le syndicat a pris l’attache d’un cabinet d’avocats spécialisés pour écrire les statuts de la régie.

140 à 160 millions par an

Plus tard, quelqu’un va demander pourquoi on ne fait pas une opération d’ensemble, en citant Chicago, aux Etats-Unis, qui a refait tout son réseau obsolète en peu de temps…

Thierry Devimeux : « Ils devaient avoir les fonds… »

Dans la salle :

Le même intervenant, qui soutient qu’il « ne remet pas en cause les compétences des entreprises locales », demande : « Pourquoi ne fait-on pas venir des entreprises d’ailleurs, qui ont les techniciens et le matériel qu’il faut pour changer les 3 000 kilomètres du réseau ? »

Thierry Devimeux : « Ce n’est pas une question de technicité des entreprises locales mais une question financière. Il faudrait mettre 140 à 160 millions chaque année pour faire avancer le dossier. »

« Sur 100 litres qui sortent de l’usine, il y en a 30 qui arrivent aux robinets des Guadeloupéens et que seulement 16 sont payés par ces mêmes Guadeloupéens », précise le préfet.

Quelqu’un propose « un plan Marshall* de l’eau. » Le préfet aime bien cette idée.

Quelqu’un d’autre : « On a beaucoup dépensé mais il n’y a pas eu de réel contrôle pour savoir où est allé réellement cet argent. »

Thierry Devimeux : « Historiquement, ce n’est pas l’Etat qui a fait des erreurs. Depuis la mise en place du réseau, il y a bien longtemps, on n’a pas entretenu le réseau, on n’a pas mis l’argent qu’il aurait fallu mettre pour entretenir ce réseau. »

La solution Gustin : en six mois, 10 000 fuites colmatées

Thierry Le Lay, président de l’association des résidents de Bas-du-Fort, ancien sous-préfet de Pointe-à-Pitre et la Grande-Terre. Avec ses amis et d’autres, il a déposé près d’un millier de plaintes auprès de la procureure de Pointe-à-Pitre, rappelle-t-il.

Thierry Le Lay :

« Nous avons besoin de retrouver la confiance. » Il rappelle ensuite ce qu’avait fait un préfet de Guadeloupe, actuel directeur de cabinet du Premier ministre, Philippe Gustin.

« Le préfet Gustin avait fait venir des renforts de spécialistes. En six mois, avec les techniciens locaux, ils avaient colmaté plus de 10 000 fuites et les Guadeloupéens avaient eu de l’eau au robinet. Pourquoi ne pas refaire une opération de ce type ? »

Thierry Devimeux : « C’est une très bonne idée. C’est effectivement une piste à suivre. »

Le préfet de Région appelle les Guadeloupéens, les usagers de l’eau quels qu’ils soient — Il y a des collectivités, des grands groupes économiques qui sont mauvais payeurs — à payer leurs factures d’eau et d’assainissement. « Il y a 160 000 personnes qui ne paient pas d’eau, or les tours d’eau concernent 60 000 personnes. Il y a des gens qui n’ont pas de problèmes, qui ont de l’eau au robinet et qui ne paient pas… »

L’assainissement plus grave que l’eau potable

Autre thématique, l’assainissement.

« Il y a 129 stations d’épuration d’eau. Pas une ne fonctionne. Or, le problème de l’assainissement est encore plus grave que celui de l’eau potable. »

Pourquoi ? Parce que tout part à la mer, en polluants les sols… Avec les conséquences qu’on connaît : sols pollués, coraux irrémédiablement détruits…

« Il faut que le syndicat respecte l’environnement », lance Yann Céranton.  

Dominique Virassamy met au débat le problème des châteaux d’eau jamais entretenus… Autre scandale.

Les discussions vont se poursuivre encore et encore. C’est un débat sans fin.

André-Jean Vidal
aj.vidal@karibinfo.com

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