Une lettre ouverte au président du Conseil régional, président du Congrès des élus départementaux, régionaux et des maires pour six mois a été publiée par Victorin Lurel, sénateur – conseiller régional « Péyi Gwadloup », lundi 21 juillet 2025. Que veut Victorin Lurel ? Enfoncer un coin de plus dans la relation politique entre Ary Chalus et Guy Losbar ? Sans doute, mais pas seulement… Le farouche opposant à la Région donne des conseils à son adversaire de toujours.
« Monsieur le président,
Depuis le 1er juillet et pour six mois, vous êtes le président en exercice du Congrès des élus départementaux, régionaux et des maires de Guadeloupe. A ce titre, il vous revient désormais de donner une suite aux travaux et aux résolutions des XVIIIè et XIXè congrès organisés en
juin 2024 et juin 2025 par votre homologue du Conseil départemental.
Et vous héritez, Monsieur le président, d’une situation en vérité pour le moins complexe, pour ne pas dire bloquée, qui appelle de ma part des propositions concrètes pour éviter l’impasse ; une impasse qui condamnerait la Guadeloupe à des années d’immobilisme institutionnel.
Par-delà l’unanimité organisée, réclamée et proclamée par le président Guy Losbar sur les résolutions de ces deux Congrès, chacun sait qu’il n’y a pas aujourd’hui de consensus politique autour du projet de collectivité unique dans l’article 74, dont les contours ont été dessinés en
2024, puis approfondis en juin dernier. Et chacun constate qu’il y a un désaccord profond quant à la méthode employée pour l’élaborer comme sur le fond de certaines orientations.
Lors du XVIIIè Congrès de 2024, les élus des groupes minoritaires du Département et de la Région – « Gwadloup Plurielle Solidaire » et « Péyi Gwadloup » dont je suis – avaient fait le choix d’interpeller solennellement à la tribune l’ensemble des congressistes, et, au-delà, les citoyennes et citoyens guadeloupéens, pour les alerter sur les risques que prenaient le président du Département et sa majorité à vouloir passer en force et à oublier qu’un consensus ne se décrète pas, mais qu’il se construit.
Faute d’être entendus, nous avions décidé de ne pas participer aux travaux et nous n’avons pu que réitérer ce pas de côté il y a un mois, dès lors que le président du Département n’a pas donné le moindre signe d’un changement de méthode.
Vous-même, qui aviez pourtant critiqué notre départ en juin 2024, en êtes arrivé au même constat et avez suivi notre exemple.
Je tiens à saluer le courage et le réalisme dont vous avez fait preuve en faisant vôtre nos réserves et nos critiques, en particulier celles sur le manque de concertation avec les forces vives du pays que nous avons illustré en invitant les acteurs économiques à dialoguer avec nous et celles sur le mépris démocratique affiché à l’encontre des minorités.
A la lumière de nos multiples prises de paroles et de nos écrits, chacun peut constater que nous sommes loin d’être les indécrottables partisans du statu quo que certains cherchent à vilipender.
Pour preuve : nous n’avons cessé de faire des propositions pour que l’évolution de la gouvernance de la Guadeloupe aille dans le sens de ses intérêts, pour qu’elle soit à la fois réaliste dans ses objectifs, adaptée à une stratégie de développement et, surtout, qu’elle ait une chance d’être acceptée par une majorité des électrices et des électeurs au moment de l’incontournable consultation populaire.
La crise de confiance et le manque d’efficacité des politiques sont tels que rien ne serait pire que d’aller une nouvelle fois à l’échec sur un projet qui ne serait guidé que par l’idéologie ou – pire – par l’ambition d’asseoir l’hégémonie d’un homme ou d’un parti sur la vie politique locale.
Mais chacune de nos propositions a systématiquement été écartée.
Ainsi, depuis le Congrès de juin 2019, nous proposons d’explorer la voie de la révision constitutionnelle pour faire évoluer notre gouvernance en sortant de l’opposition article 73/article 74. C’est l’option suivie par la Guyane et la Martinique encore aujourd’hui. Cela a été écarté.
Nous proposions, là encore dès 2019, de travailler à réorganiser les compétences entre la Région et le Département pour créer rapidement des blocs homogènes – toutes les routes à la Région, par exemple ; toutes les constructions scolaires (lycées, collèges) au Département – et ainsi améliorer la lisibilité de l’action publique.
Cela a été écarté jusqu’à ce que le président du Département, lors du dernier congrès, trouve opportun de confier une mission sur cette
thématique à deux élus socialistes alors même que c’était tout l’objet de la « gouvernance concertée » que vous aviez promise aux élections de 2021 avec votre homologue du Département.
De même, je vous proposais, le 5 juin 2024 dans un courrier transmis par ailleurs à l’ensemble des congressistes, un projet de résolution détaillé offrant à la Guadeloupe un cadre constitutionnel plus souple donnant corps à ses aspirations institutionnelles afin d’alimenter une
position de l’ensemble des élus de l’archipel et d’ouvrir, le cas échéant, les discussions avec l’État et les autres territoires intéressés qui pourraient s’inscrire dans notre démarche.
A mes yeux, seule une révision de la Constitution serait en effet de nature à favoriser une meilleure prise en compte de notre situation spécifique et singulière, tant au niveau de la responsabilité politique dans l’exercice des compétences, que de l’organisation administrative et territoriale, notamment dans les domaines de la politique publique de l’emploi, du développement économique et humain, de la fiscalité, du foncier, de l’urbanisme et de l’environnement. Cette proposition n’a même pas été examinée.
Enfin, aucune de nos réserves sur le mode de scrutin ou sur le nombre d’élus n’a été retenue.
Tout comme personne n’a partagé notre étonnement de voir subitement apparaître un avant-projet de loi organique en une centaine d’articles, élaboré à votre initiative, qui – malgré sa richesse – n’a finalement jamais été débattu au fond. Ni dans le cadre du conseil régional. Ni en commission ad hoc.
Monsieur le président, dans le temps de votre présidence du Congrès, il vous appartient d’incarner un changement de méthode. Les enjeux sont trop importants, je le redis, pour que la poursuite d’une mauvaise méthode nous conduise à un véritable échec qui sera la meilleure
garantie du maintien du statu quo que nul n’estime souhaitable.
Votre décision d’organiser des forums pour retrouver les voies de la concertation est louable. Il en faudra. Mais, cela ne sera pas suffisant car, comme j’ai eu souvent à le dire, les questions institutionnelles ou statutaires n’appellent pas nécessairement l’unanimisme car chaque force politique peut légitimement défendre ses propres options en ces matières et a vocation à les exposer librement aux électrices et aux électeurs. C’est la démocratie.
C’est surtout la voie inspirante et apaisée suivie, mutatis mutandis, tant par les élus corses, que guyanais ou calédoniens.
Et l’une des failles du processus en cours, c’est précisément que ni la majorité régionale, ni la majorité départementale actuelles, n’ont été élues pour changer les institutions ou le statut de la Guadeloupe sur la mandature 2021-2028.
Cela ne figurait ni dans le programme de Guy Losbar et du GUSR aux élections départementales, ni dans le vôtre aux élections régionales.
Et il serait d’autant plus hasardeux pour ces deux majorités de vouloir faire prévaloir en force leurs options qu’elles sont issues d’élections où la participation a été nettement plus faible que d’ordinaire à la suite de la crise sanitaire.
C’est pourquoi, au-delà de la concertation que vous souhaitez relancer, il vous incombe de donner des garanties démocratiques au processus actuel. La meilleure des onctions démocratiques serait assurément que chaque parti ou groupe politique aille aux élections de
2028 en affichant cette fois son projet institutionnel et statutaire.
Les majorités élues pourraient ainsi, enfin, se prévaloir d’un mandat pour agir. Mais si, d’ici là, il s’agit de poursuivre le processus engagé en le corrigeant de ses failles et de ses biais, vous disposez de plusieurs leviers pour ce faire.
Je vous propose d’abord de vous appuyer sur une « convention citoyenne » à la manière de celle qui s’est penchée au niveau national sur le climat avec des citoyens tirés au sort pour se saisir et travailler sur l’ensemble des propositions qui sont aujourd’hui sur la table.
Car il faut reconnaître que les forums organisés jusqu’ici drainent pour la plupart un public de volontaires où l’on retrouve souvent les mêmes personnes. Ce serait un exemple inédit en Guadeloupe mais parfaitement adapté à la nécessité d’instaurer une démocratie délibérative à
même de se pencher sur les questions de gouvernance qui sont éminemment démocratiques.
Cette convention citoyenne pourrait aboutir à retenir plusieurs propositions d’architecture institutionnelle et/ou statutaire.
Je vous propose ensuite d’étudier avec l’ensemble des maires de l’archipel les modalités d’organisation d’un référendum d’initiative locale en deux tours qui précèderait utilement la consultation référendaire officielle.
Ce référendum local « à blanc » dans toutes les communes pourrait soumettre les propositions retenues par la convention citoyenne et permettrait de donner des indications précieuses sur les options préférées des citoyennes et des citoyens guadeloupéens.
Ainsi le choix ne serait pas de répondre « oui » ou « non » à un projet unique, mais d’établir un choix préférentiel dans un premier tour et d’aboutir à un choix final entre deux options que les citoyens auraient à départager.
Je vous propose enfin, Monsieur le président, d’assumer de prendre le temps pour mettre en place ces processus démocratiques innovants. Compte tenu de l’instabilité politique au niveau national et du contexte budgétaire et financier de la France, rien ne presse d’aboutir dans les
deux ans comme le propose votre homologue du Département.
Se donner le temps, c’est acter l’impasse du processus actuel en ne soumettant pas les résolutions du dernier congrès aux élus régionaux.
Si tel était votre choix courageux, je le défendrais car il permettait « d’élargir le champ des possibles » comme le proposaient les socialistes dans leur contribution de juin 2023 au XVIIe Congrès.
Telles sont les propositions que je souhaitais vous formuler au travers de cette lettre ouverte qui vise à sortir de la fatalité du statu quo.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le président, l’expression de ma parfaite considération. »
Victorin Lurel