Haïti. Contrat du gouvernement avec une société militaire privée : neuf sénateurs américains demandent des comptes

Un peu plus d’une semaine après la mission du Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé à Washington, d’influents sénateurs américains ont envoyé une lettre au secrétaire d’État Marco Rubio, à la secrétaire à la Sécurité intérieure Kristi Noem pour demander des informations sur le contrat d’une société militaire privée américaine avec le gouvernement de transition et de possibles violations de la loi Leahy.

« Selon des informations récentes, une société militaire privée américaine (MC) mène des opérations armées en Haïti dans le cadre d’un contrat officiel avec le gouvernement de transition du pays. Ces informations soulèvent des questions urgentes concernant le respect des lois américaines sur l’exportation d’armes, le risque de complicité des États-Unis dans des violations flagrantes des droits humains et les contradictions fondamentales de la politique étrangère et d’immigration actuelle des États-Unis à l’égard d’Haïti », peut-on lire dans cette lettre en date du 24 juillet 2025.

« Le New York Times rapporte que le gouvernement de transition haïtien a conclu un contrat avec une société militaire privée américaine dirigée par Erik Prince, fondateur de Blackwater Worldwide, pour fournir des drones armés, des armes et environ 150 mercenaires américains afin de mener des opérations armées contre les gangs à Port-au-Prince. »

« Des sources publiques, a poursuivi la lettre de ces neuf sénateurs démocrates, confirment que des armes ont déjà été expédiées et que des forces paramilitaires seront déployées cet été. De telles opérations risquent de compromettre la légitimité et l’efficacité de la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS) sanctionnée par l’ONU et soutenue par les États-Unis, qui vise à stabiliser Haïti grâce à un cadre multilatéral transparent et responsable », ont affirmé les signataires de cette lettre, soulignant que « cette évolution soulève des questions quant à la transparence, la légalité et la cohérence politique du contrôle des exportations d’armes américaines. »

« Erik Prince, fondateur de Blackwater Worldwide, une société militaire privée américaine dont les contractants ont été responsables du massacre de civils en 2007 sur la place Nisour à Bagdad, en Irak, où ils ont tué 17 civils irakiens, dont des enfants, et blessé des dizaines d’autres*. Cette atrocité est devenue le symbole des dangers que représentent les acteurs privés non responsables opérant dans les zones de conflit », ont écrit ces sénateurs Américains.

« En vertu de la loi sur le contrôle des exportations d’armes (AECA) et des réglementations sur le trafic international d’armes  (ITAR), il est interdit aux citoyens américains d’exporter des articles de défense ou de fournir des services militaires à des entités étrangères sans l’autorisation préalable du Département d’État », ont écrit les signataires de cette correspondance.

« En mars 2025, le président Trump a abrogé la politique de transfert d’armes conventionnelles (CAT) de l’administration Biden (Mémorandum de sécurité nationale n° 18, 2023) et, en mai, il a publié un décret ordonnant aux départements de la Défense et d’État de reprendre la mise en œuvre de la politique CAT élaborée au cours de son premier mandat (Mémorandum présidentiel de sécurité nationale n° 10, 2018), qui demande aux agences d’examiner si ces transferts risquent de compromettre la paix internationale et de contribuer à des violations des droits humains », selon les signataires de cette lettre.

« Dans ce cas, les opérations de drones armés, les livraisons d’armes et le déploiement de mercenaires américains constituent sans aucun doute des activités nécessitant des licences d’exportation. Si ces licences étaient accordées, leur approbation semblerait incompatible avec les critères relatifs aux droits de l’homme de la NSPM-10. Si aucune licence n’était accordée, ces activités pourraient alors être menées en violation de la législation américaine », selon les signataires de cette correspondance.

« En outre, en vertu de la loi Leahy, les États-Unis ne peuvent fournir d’aide en matière de sécurité à des unités des forces de sécurité étrangères impliquées de manière crédible dans des violations flagrantes des droits humains », ont affirmé ces neuf sénateurs américains.

« Si la loi Leahy ne s’applique pas directement aux sociétés militaires privées (SMP) américaines, elle s’applique en revanche aux forces de sécurité étrangères ou aux acteurs qui coordonnent leurs actions avec celles-ci ou reçoivent leur soutien. La Police nationale haïtienne (PNH), qui bénéficierait d’une aide américaine, a un passé bien documenté en matière de violations et d’abus des droits humains, y compris des allégations crédibles d’exécutions extrajudiciaires », ont affirmé les neuf sénateurs américains. « Si des unités de la PNH opèrent en coordination avec une SMP américaine, cela pourrait exposer l’aide américaine en matière de sécurité à des violations indirectes de la loi Leahy », ont fait remarquer les signataires de cette lettre.

« Afin de nous aider à mieux comprendre la politique américaine en matière d’armes conventionnelles à l’égard d’Haïti, veuillez répondre par écrit aux questions suivantes avant le 15 août 2025 :

1. Des entreprises militaires privées américaines ont-elles demandé ou obtenu des licences d’exportation pour des articles de défense ou des services militaires fournis en Haïti ? Si oui, veuillez les identifier et fournir des copies des licences d’exportation.

2. Ces licences ont-elles été examinées au regard de la section 3(d) du NSPM-10 concernant les risques pour la paix internationale et les droits de l’homme ? Si oui, veuillez fournir les résultats de cet examen. Si non, pourquoi ?

Une évaluation interinstitutionnelle a-t-elle été menée afin de déterminer si les activités de ces sociétés militaires privées américaines pourraient nuire à la mission de soutien multinational en matière de sécurité (MSS) ? Si oui, veuillez fournir les résultats de cette évaluation. Si non, pourquoi ? Le Département d’État a-t-il évalué si ces activités sont compatibles avec la mission MSS de l’ONU, font double emploi avec celle-ci ou sont en conflit avec elle ? Si oui, veuillez fournir les résultats de cette évaluation. Si non, pourquoi ?

4. Les unités de la police nationale haïtienne qui bénéficieraient d’une aide américaine en matière de sécurité ont-elles été soumises à un contrôle en vertu de la loi Leahy ? Si oui, veuillez fournir les résultats de ce contrôle. Si non, pourquoi ?

5. Comment expliquer la contradiction entre le soutien du Département d’État aux opérations armées de stabilisation en Haïti et la décision du DHS de mettre fin aux protections accordées au titre du TPS ?

6. Comment l’administration concilie-t-elle la justification sécuritaire de l’inclusion d’Haïti dans l’interdiction de voyager avec son évaluation simultanée selon laquelle le statut TPS d’Haïti devrait être supprimé parce que les Haïtiens peuvent rentrer chez eux en toute sécurité ? », ont demandé les signataires de cette lettre.

« À l’heure où la politique étrangère américaine envers Haïti est de plus en plus incohérente, sapant les efforts multilatéraux, ignorant les préoccupations en matière de droits humains et poursuivant les expulsions malgré l’escalade de la violence, le déploiement incontrôlé d’une société militaire privée américaine ayant des antécédents inquiétants en matière de violations des droits humains représente une menace urgente pour les obligations légales, la crédibilité et les responsabilités des États-Unis en matière de protection des populations vulnérables », ont affirmé les signataires de cette lettre.

Ces sénateurs américains ont évoqué l’aggravation de la situation en Haïti. « Selon des rapports récents de l’ONU, plus de 1,3 million de personnes ont été déplacées en Haïti, dont plus de la moitié sont des enfants. Près de la moitié de la population est confrontée à une insécurité alimentaire critique, et 42 % des établissements de santé de Port-au-Prince ne sont pas opérationnels en raison de la violence. Les responsables de l’ONU ont averti que Port-au-Prince pourrait tomber entièrement aux mains de groupes armés criminels sans une intervention urgente », peut-on dans cette lettre.

Source : Le Nouvelliste

Lien : https://lenouvelliste.com/article/258460/contrat-du-gouvernement-haitien-avec-une-societe-militaire-privee-neuf-senateurs-americains-demandent-des-comptes

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