Haïti. Dr Marie Nancy Charles Larco : soigner, acte de résistance

Médecin, interniste, spécialiste en endocrinologie et en diabétologie, directrice exécutive de la Fondation haïtienne de diabète et de maladies cardio-vasculaires (FHADIMAC), le Dr Marie Nancy Charles Larco compte une trentaine d’années de carrière dans la médecine en Haïti.

Particulièrement affectée par la situation sociopolitique du pays, elle se réfugie derrière son devoir de soigner ses compatriotes à chaque fois que les événements tendent à devenir insoutenables. Plus qu’une simple profession, la médecine est devenue pour elle, comme tant d’autres, un acte de résistance.

On n’énumère plus les raisons qui poussent un professionnel, toutes catégories confondues, à quitter le pays ces dernières années. Beaucoup de médecins, grandes victimes de l’insécurité, partent à un rythme vertigineux. D’autres s’inventent une raison de rester. Se donnent de nouvelles missions. Se réinventent dans cette Haïti en pleine mutation. Le Dr Marie Nancy Charles Larco fait partie de celles qui croient avoir une mission bien trop importante pour abandonner en chemin, celle de soigner les autres.

Ayant fait ses études classiques à l’institut Sainte-Rose de Lima à Port-au-Prince, le Dr Nancy Charles Larco semble hériter d’une vie dans laquelle tout était tracé. Elle n’hésite pas à s’en enorgueillir par moments. « Oui, je pense que la carrière de mon père a influencé la mienne. J’en suis très fière. Ce n’est pas une mauvaise chose de suivre la trace de son père, surtout quand celui-ci est un modèle », revendique-t-elle.

Son père, feu Dr René Charles, avait étudié la médecine à l’Université d’État d’Haïti avant de partir à New York au Mount-Sinaï hospital et à Rochester University en vue de poursuivre sa formation académique. Là-bas, il avait fait une spécialisation en hématologie et en endocrinologie.

En 1973, le Dr René Charles a créé l’Association haïtienne de diabète qui, bousculée par les exigences de son succès, allait devenir la Fondation haïtienne de diabète et de maladies cardio-vasculaires (FHADIMAC).

Marie Nancy Larco est entrée à la faculté de médecine de l’Université d’État d’Haïti en 1981, à seulement 17 ans. « Parmi toutes les professions, je trouve que c’est la médecine qui permet le plus d’aider les autres. Et la médecine interne permet de faire la liaison entre les différents systèmes. C’est ce qui m’a poussé à faire choix de la médecine, puis de la médecine interne », explique-t-elle sans jamais nier l’influence d’un père, médecin, qu’elle aime et respecte religieusement. Durant ses heures libres à la faculté de médecine, elle s’est adonnée au violon qu’elle pratiquait régulièrement à l’orchestre philharmonique Sainte-Trinité. « Aujourd’hui encore, la musique reste une passion pour moi; je continue de jouer», confie-t-elle.

Après la médecine, Marie Nancy Larco s’est spécialisée en médecine interne à l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti, puis s’est envolée pour Montpellier, en France. Elle y a fait une sous-spécialité en diabétologie et endocrinologie. « L’hôpital dans lequel j’ai fait ma spécialisation en France m’avait offert la possibilité de rester travailler, mais j’ai refusé. Je savais que mon pays avait besoin de mes compétences et qu’en Haïti la médecine aurait un sens plus large qu’elle ne l’aurait eu en France à cette époque. Comme on dit, là-bas j’aurais été un numéro, un diabétologue parmi tant d’autres. En Haïti, je suis le Dr Marie Nancy Charles Larco », soutient-elle.

De retour en Haïti, Mme Larco a partagé sa vie entre la FHADIMAC, fondée par son père, la pratique privée et l’enseignement. Au fil des années, elle sera plus connue pour sa fonction à la FHADIMAC que dans sa pratique privée. Dans des facultés, elle a mis en place une formation en diabétologie au service de tous les étudiants en médecine, gratuitement. La FHADIMAC se spécialise dans la formation, l’éducation ainsi que la prise en charge intégrée des patients. C’est une association à but non lucratif, reconnue d’utilité publique.

Elle a reçu plus d’une dizaine de prix et de distinctions tout au long de son existence, dont le prix Dr Leon Audain en 1997 (la plus haute distinction de l’Association médicale haïtienne); la distinction Sir Philippe Sherlock distinguished Award par UDOP Comity (Jamaïque) for outstanding services to the medical science in Haiti and the Caribbean en 2023, prix décerné par la Fédération internationale de diabète à Dubai pour l’accomplissement d’un travail exceptionnel en temps de crise en 2011, et le plus récent prix du « Centenaire de l’Insuline » par la Fédération internationale de diabète à Lisbonne, Portugal en 2022.

Année après année, le passage de témoin entre père et fille au service d’une cause noble se fait comme un bon atterrissage. On ne s’en rend même pas compte. Le Dr Marie Nancy Charles Larco est arrivée à s’imposer dans cette fondation par sa compétence, son altruisme et sa discipline. Elle a commencé comme volontaire à la FHADIMAC tandis qu’elle était encore étudiante; elle a gravi tous les échelons, occupant le poste de superviseur de clinique médicale jusqu’à en devenir la directrice exécutive en 2010.

Au moment de s’investir dans cette fonction, elle avait un rêve nourri pendant des années par son père, qu’elle voulait réaliser : mettre en place un centre de maladies cardio-vasculaires de référence en Haïti. À ce propos, elle ne veut pas parler de regret, mais de frustration.

« Je suis frustrée de n’avoir pas pu mettre en place ce centre de référence. Le pays en a vraiment besoin. J’en ai parlé à tous les décideurs; à une époque j’ai été même au Palais national pour présenter le projet. Le plus frustrant dans cette histoire, c’est une organisation non gouvernementale qui avait refusé de financer mon projet en Haïti et qui, quelques années plus tard, allait m’appeler pour implémenter ce même projet dans un autre pays », se désole-t-elle. « Cependant, ajoute-t-elle, je suis croyante. Je sais que si c’est la volonté de Dieu, cela arrivera un jour. »

Aujourd’hui, plus que la frustration de ce centre qui peine à voir le jour, c’est la situation sécuritaire qui ronge le pays qui menace la survie de la FHADIMAC.

Des employés s’en vont, les patients ont du mal à se déplacer, les donations se raréfient, des gens meurent dans la foulée. « Les problèmes sont nombreux. Les patients arrivent à la FHADIMAC dans une phase avancée parce qu’ils ont du mal à se déplacer à cause de la situation sécuritaire. Certains patients ne peuvent pas venir faire les suivis, notamment les pansements qui doivent être faits tous les 2 à 3 jours à la clinique des pieds. D’autres ne peuvent pas venir prendre l’insuline qu’on offre gratuitement à la FHADIMAC », énumère le Dr Charles Larco.

À ce titre, elle a en travers de la gorge la situation d’une petite fille diabétique suivie à la FHADIMAC depuis deux ans qui, par rapport à la situation sur la route de Martissant, ne pouvait plus venir à la fondation. Elle est tombée dans le coma et est décédée dans la foulée. « Ce sont des situations qui peuvent vous décourager », ajoute le Dr Charles Larco.

En guise de réconfort, elle se souvient d’une fillette originaire de Miragoâne sauvée de justesse par la FHADIMAC après le séisme de 2021 qui a frappé le grand Sud. « Elle est diabétique, mais l’insuline qu’elle recevait à Miragoâne avait expiré. Elle était à l’article de la mort quand une mission de la FHADIMAC est arrivée dans la zone. On a fait la prise en charge et elle a été stabilisée », se réjouit-elle.

Malgré la volatilité de la situation sécuritaire du pays, le Dr Marie Nancy Charles Larco croit que sa place est en Haïti, dans sa fondation, afin de continuer à faire de son mieux comme c’est le cas depuis plus de 30 ans. Elle ne fait pas partie de ceux qui envisagent la vie sous d’autres cieux. Elle continue d’avancer contre vents et marées en étant consciente de la gravité de la situation. Elle se lève chaque jour en ayant la ferme conviction de jouer sa partition, d’apporter sa modeste contribution. Dans le milieu médical, tout le monde sait que la prise en charge du diabète perdra plus qu’une goutte dans un océan si elle devrait s’arrêter. Si la FHADIMAC devrait fermer ses portes.Voilà  sa source de motivation. Ne pas abandonner ses patients. Soigner les autres en dépit des difficultés. Elle se sert de l’adage du prix Nobel de littérature, Romain Rolland : « Même sans espoir, la lutte est encore un espoir. »

Source : Le nouvelliste

Lien : https://lenouvelliste.com/article/241862/dr-marie-nancy-charles-larco-soigner-jusquau-bout-du-sacerdoce

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