Une nouvelle promotion de 90 récipiendaires a pris part à la traditionnelle cérémonie de collation de grade organisée par la Faculté de médecine et de pharmacie de l’Université d’État d’Haïti, samedi 21 juin 2025 à l’hôtel Montana.
La cérémonie, d’une solennité assez rare pour être soulignée, s’est déroulée à pas feutrés entre la résilience remarquable des gradués et l’incertitude multiforme qui plane sur l’avenir des professionnels en Haïti.
Ouverture officielle du doyen après la rentrée protocolaire, exécution de l’hymne national et de celui de la Faculté de médecine avec la même vigueur, la première partie de la cérémonie, qui a commencé avec quelques minutes de retard, s’est déroulée comme sur des roulettes. Le tout agrémenté par des envolées lyriques d’un maître de cérémonie, le Dr Djoudli Noël, à la hauteur de l’événement.
À travers l’historicité, Richardson Salomon, un gradué, a mis en exergue toutes les difficultés du pays dans le secteur de la formation. La période estudiantine qui devrait être jalonnée de bons souvenirs et des difficultés académiques mués en objet de fierté le jour de la graduation a été marquée au fer rouge par les tragédies de ces 10 dernières années.
« D’abord la mort de Anne Sherca Florvil, héroïne éponyme de la promotion, des suites d’une maladie courageusement supportée… puis celle plus tragique de Osny Zidor tuée d’une balle perdue en 5e année dans un bus à Bois-Verna tandis qu’elle était en route pour se rendre en cours », a déploré Richardson Salomon dans son discours. Et de rappeler qu’entre grèves internes, des problèmes à l’hôpital général, le « peyi lòk » et autres affres de l’insécurité En Haïti, « cette promotion a dû attendre trois années pour boucler une année académique donc neuf ans pour des études qui devaient durer sept ans (2016-2025). »
En dépit de tout, ils ont tenu au cours de cette cérémonie a honoré des professeurs qui ont marqué agréablement cette promotion par leur charisme et leur professionnalisme.
Il s’agit des Drs Louis-Franck Télémaque, Jean Hénold Buteau, Evans Vladimir Larsen, Rodolphe Paul et Ritza Germain.
Après les plaques décernées aux professeurs, le corps décanal de la Faculté de médecine et de pharmacie représenté par les Drs Bernard Pierre, Gérald Jonacé, Eliode Pierre, a honoré les 10 premiers lauréats. Parmi eux, les trois premières sont des femmes (Sterline Vertilus, 1ère, Danaé Ashlynn Noël, 2ème, Ruth Shamma Duclair, 3ème).
Dans son discours de circonstance, Sterline Vertilus, première lauréate de la promotion, est revenue sur les difficultés de ce parcours académique
« Devenir médecin dans notre pays ne relève pas seulement d’un parcours académique ; c’est un véritable engagement humain, un serment intime fait à la vie, à la souffrance humaine, et à notre société. Cette mission, nous l’avons choisie, ou peut-être qu’elle nous a choisis, mais quoi qu’il en soit, nous l’avons embrassée avec conviction, même lorsque l’incertitude et la fatigue tentaient de nous en détourner. »
Elle pense déjà aux étapes suivantes avec toute l’incertitude qui caractérise l’avenir d’un professionnel en Haïti.
« Aujourd’hui, pourtant, n’est pas une ligne d’arrivée. Il ne s’agit pas d’un aboutissement, mais d’un passage. Car le plus grand défi commence maintenant.
Nous entrons dans une société éprouvée, fragilisée par les crises, les violences, les inégalités et l’exil. Mais au lieu de nous effrayer, cette réalité doit nous appeler. Notre profession est plus que jamais essentielle. Elle est attendue, sollicitée, espérée. Dans un contexte où la vie semble parfois perdre de sa valeur, nous devons incarner l’inverse : la protection de la dignité, de l’espoir et de l’humain. »
Pour sa part, le président de la promotion, Carl Emmanuel César, fait entrer la cérémonie dans un contexte plus global par rapport à la situation chaotique que vit Haïti et les Haïtiens d’ici et d’ailleurs.
« Dans cette salle, je sais combien nous sommes frustrés, en colère et apeurés par la situation d’instabilité totale de notre pays . Et nous revivons les pires moments de l’histoire de la première République Noire.
Humiliés à travers le monde, on nous pourchasse comme des démons. Malgré tout (…) Nous sommes conscients que nous avons une responsabilité, celle de contribuer activement au développement de notre nation. Nous devons être des acteurs de changement, des agents de progrès, des porteurs d’espoir pour les générations futures. Nous devons mettre nos compétences au service de notre communauté, et faire preuve d’un engagement sans faille pour bâtir un avenir meilleur pour Haïti », a-t-il poursuivi.
Faisant office de parrain de la promotion, le ministre de la Santé publique et de la Population, le Dr Bertrand Sinal, n’a pas pu cacher ses émotions. « C’est pour moi un moment fort d’émotions de me tenir devant vous aujourd’hui, pour être le premier témoin de ce grand moment d’espoir pour nous tous et pour le pays. Je vous en remercie. Et je vous félicite aussi pour le choix de la marraine, Dr Guirlaine Raymond, une grande personnalité ayant servi le pays au plus haut niveau dans le monde académique comme dans celui de la santé publique. Ce jour marque une étape importante, solennelle et profondément symbolique ; car, vous n’êtes plus des étudiants en médecine, vous êtes désormais les gardiens de la santé, les défenseurs de la vie, les bâtisseurs de la confiance entre la science, l’éthique et l’humanité. »
Puisant dans son expérience personnelle de Port-Salut à l’École latino-américaine de médecine à Cuba, le Dr Bertrand Sinal invite les nouveaux gradués à se mettre au service de la population avec humilité et humanité.
Conscient des défis liés à la formation médicale en Haïti, il a pris l’engagement de résoudre l’épineux problème de permis d’exercice pour les étudiants issus de la FMP.
« Vous n’avez pas à payer de l’irresponsabilité de l’État qui n’arrive pas à vous donner de diplôme à temps malgré la complétude de votre dossier académique et qui vous prive par voie de conséquence des opportunités offertes sur le marché du travail. Le processus de recrutement de généralistes et de spécialistes lancé par le ministère de la Santé publique et de la Population ne se fera pas sans les gradués de la FMP », a-t-il martelé.
Il a rappelé également le soutien apporté par les étudiants et résidents de l’UEH lors du séisme dévastateur d’août 2021 dans le grand Sud.
« Vous avez répondu à l’appel en moins de 24h et vous étiez prêts à partir sans contrepartie. Vous avez évité des imputations à l’emporte-pièce comme c’était le cas en 2010. »
« N’hésitez surtout pas à continuer à rêver, comme le Dr Hans Selye l’a enseigné et je cite : « Pour réaliser de grandes choses, il faut une grande capacité de rêver. Et aussi de la persévérance. J’ajouterais pour vous dire que vous êtes sur la bonne voie, vous avez la vision, vous faites déjà preuve de persévérance, il faut juste continuer et prendre des initiatives. Et moi comme votre parrain, pas seulement comme ministre, comme votre grand frère je serai toujours à vos côtés pour vous guider, pour vous orienter, et pour vous accompagner », a promis le Dr Bertrand Sinal.
Dans son allocution du jour, le doyen de la Faculté de médecine et de pharmacie de l’Université d’État d’Haïti, Dr Bernard Pierre, a comparé la situation des récipiendaires à l’épreuve de « mât suiffé ».
« Au pied du mât, on pense aux difficultés. Pendant la montée, on vit les difficultés. Parvenu au sommet de ce mât, on ne pense plus aux difficultés, mais on pense au panier avec les récompenses ».
Ne cachant pas sa fierté à l’endroit des gradués, le Dr Bernard Pierre a tenu à rappeler que la formation de ces médecins a été rendue possible grâce aux fonds de l’État alloués à l’université. « Ils ne pourront pas dire que le pays ne leur a rien offert », a-t-il fait remarquer.
« Cela doit créer chez eux un sentiment de dettes. Rendre à ce pays, ce qu’il leur a offert ».
« Organiser cette cérémonie (…), c’est dire à tout le monde que la vieille FMP est encore là avec une matrice féconde, qu’elle est courageuse, qu’elle est résiliente. Mais, cette faculté fière, courageuse et résiliente n’a plus de local. Chassée de la rue Oswald Durand, elle a perdu mobiliers, matériel et certains documents », s’est désolé le doyen avant de dire son espérance de retrouver son local et l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti, principal lieu de formation des étudiants.
Avant la prestation de serments et la remise de parchemins, la FMP a honoré des institutions bienfaitrices qui ont permis la continuité des activités académiques. Il s’agit de l’Association médicale haïtienne, l’Hôpital de Turgeau, l’Hôpital Saint Louis, l’Institut des hautes études administratives, l’Hôpital universitaire La Paix, l’Hôpital universitaire Justinien, l’Hôpital Eliazar Germain, l’Hôpital de Fermathe, les hôpitaux de l’organisation Nos Petits frères et sœurs…
Intervenant au nom du recteur de l’Université d’État d’Haïti, le professeur Bildadson Cadélu a rappelé les péripéties qu’ont rencontrées les nouveaux gradués tout au long de leur parcours académique.
« Votre courage mérite le respect de toute une génération », a souligné le professeur Bildadson Cadélus sous l’acclamation du public.
« (…) Depuis plus de 150 ans, les diplômés de la FMP sont présents partout, dans les villes comme dans les zones rurales; dans des hôpitaux publics, des dispensaires; dans des zones sans électricité comme dans les grands centres hospitalo-universitaires, et même hors du pays leur savoir-faire est reconnu, respecté, souvent sollicité. Ils soignent, ils forment, ils sauvent et cela malgré les manques, malgré les blessures du système, malgré la fatigue », a déclaré le professeur Cadélus, félicitant les diplômés, avant de nuancer en évoquant les dégâts provoqués dans le système par la fermeture de l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti et l’exode massif des professionnels de santé.
Source : Le Nouvelliste