Le système carcéral haïtien connaît sa descente aux enfers suite aux invasions répétées de plusieurs prisons tant dans la capitale que dans certaines villes de province. Pour un système carcéral qui était déjà affaibli, la situation s’est empirée avec la réduction progressive des centres de détention. Seulement 14 espaces carcéraux sur 24 sont opérationnels pour l’instant, a fait savoir Marie Yolène Gilles de la Fondasyon Je Klere (FJKL).
Intervenant à l’émission Panel Magik, le vendredi 22 août 2025, la responsable de la FJKL a peint un tableau alarmant de la situation des prisonniers en particulier et de la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) en général. Au total, 10 espaces carcéraux parmi les 24 que comptent les 18 juridictions de prisons du pays sont devenus dysfonctionnels. Ils ont été soit rasés, soit désaffectés, a rapporté Marie Yolène Gilles sur les ondes de Magik 9, citant à titre d’exemple les prisons civiles de la Croix-des-Bouquets, de Mirebalais, de l’Arcahaie et le pénitencier national.
Parallèlement, des espaces qui n’étaient pas construits à cette fin deviennent peu à peu des prisons, a fait remarquer Mme Gilles. À Port-au-Prince, les différents commissariats de la région métropolitaine sont transformés en des espaces d’incarcération, souligne-t-elle. À Gonaïves, un espace a été transformé en prison suite à un aménagement et une intervention de la DAP. « Certains prisonniers sont gardés dans des espaces VIP à la DCPJ, à Vivy Mitchel et à Canapé-Vert », a rapporté la représentante de la FJKL, alertant sur une situation dangereuse par le fait que dans ces espaces VIP, l’agent qui surveille partage le même espace que le prisonnier.
Certaines prisons, servant de tampon à celles qui sont inopérantes, sont devenues surpeuplées. C’est le cas de celle de Delmas qui servait dans le temps pour incarcérer des garçons mineurs. Aujourd’hui, elle sert d’alternative à la prison civile de la Croix-des-Bouquets, au pénitencier national ainsi qu’à d’autres prisons qui sont dysfonctionnelles. Même cas de figure pour la prison de Petit-Goâve qui sert de tampon à celle de Carrefour, a rapporté Marie Yolène Gilles, soulignant que ces prisons n’étaient pas construites pour recevoir toutes ces personnes.
Une surpopulation carcérale
Avec 10 territoires perdus dans les 18 juridictions de prisons du pays, cela a créé une surpopulation carcérale et une promiscuité dans les prisons, a déploré Mme Gilles. Au total 7 178 personnes occupent les espaces carcéraux dont 349 femmes, 234 garçons mineurs, 24 filles mineures. Parmi eux, 5 843 sont en détention préventive prolongée. Seulement 1 335 sont condamnés. Une situation alarmante pour les détenus qui vivent dans des conditions infrahumaines, a fait remarquer la militante des droits humains, pointant du doigt les dirigeants qui n’ont aucun plan pour améliorer les conditions des prisonniers.
Alors que les prisonniers devraient être séparés par 4.50 mètres carrés dans chaque cellule selon les principes de détention établis par l’ONU, les prisonniers en Haïti vivent dans une promiscuité telle qu’ils s’organisent pour dormir à tour de rôle. Selon les règlements fixés par l’administration pénitentiaire, un agent doit avoir quatre détenus sous sa surveillance tandis que la réalité dans les prisons montrent qu’un agent a plus de 10 détenus à sa charge. Certains prisonniers, pour prêter main forte, arrivent même à jouer le rôle d’agents, ayant sous leur responsabilité des clés de la prison. Ils contrôlent l’ouverture et la fermeture des cellules à leur gré, a rapporté Mme Gilles.
« Depuis la sortie de la 30e promotion de la Police nationale d’Haïti, la Direction administrative pénitentiaire n’a trouvé aucun agent de plus. L’institution pénitentiaire vieillit, elle n’est pas renouvelée », a regretté Mme Gilles, précisant que le système carcéral fait face à un manque d’agents, qualifiés seulement 700 agents disponibles pour la population carcérale.
Ajouter à cela, Marie Yolène Gilles alerte sur un manque de professionnels de santé dans les prisons dans un contexte où la santé de plusieurs prisonniers se dégrade, causant à plusieurs reprises leur mort. « La direction administrative pénitentiaire compte seulement trois médecins pour les 18 juridictions. Pour les 14 prisons opérationnelles, la totalité des médecins sont concentrés à Port-au-Prince, plus précisément à Delmas. D’autres centres ont des infirmiers, mais pas tous. Pour cette année, plus de 60 personnes sont déjà mortes dans les prisons à cause de la dégradation de leur état de santé qui est causée parfois par un manque d’alimentation », a déploré Mme Gilles.
Plus d’un an après l’invasion du plus grand centre carcéral du pays, Marie Yolène Gilles dit ne voir aucun espoir pour sa reconstruction. Par ailleurs, elle sollicite une réforme en profondeur dans la gestion des prisons dans le pays qui sont toujours traitées en parents pauvres.
Source : Le Nouvelliste