Il existe beaucoup de marqueurs de la décadence d’Haïti.
Il ne s’agit pas de comparaisons nostalgiques d’époques pour prêter des attraits au passé et regretter un soi-disant bon vieux temps, qui jamais n’a été satisfaisant ou conforme, tant notre République a été rarement au rendez-vous ou à la hauteur de l’idéal qui a prévalu à sa création.
La presse, comme le grand public, avant ce 24 juin 2025, ne voyait pas d’enjeux particuliers ni ne sentait de périls dans l’organisation d’un Conseil des ministres dont l’objet est d’adopter des décrets ou des résolutions, le Budget de la République, procéder à des nominations de grands commis et permettre la coordination de l’action gouvernementale.
Le Nouvelliste, après les péripéties, menaces, craintes, correspondances qui ont précédé l’organisation du Conseil des ministres hallucinant du 24 juin dernier, a approché des anciens ministres afin de permettre à ses lecteurs de savoir comment, avant, les conseils des ministres étaient organisés et comment chacun tenait son rôle.
Le Conseil des ministres du mardi 24 juin a été expédié en 25 minutes, le temps pour le CPT et le Gouvernement d’adopter les projets de décrets révisant ceux du 11 mars 2020 portant Code pénal et Code de procédure pénale, et le projet de Décret référendaire 2025.
En recoupant les entretiens avec des ministres qui ont participé à des Conseils des ministres présidés par Jean-Claude Duvalier, René Préval, Jovenel Moïse, Ariel Henry, aucun n’a le souvenir d’un Conseil des ministres ayant duré moins de deux heures, même quand un seul point figurait à l’ordre du jour. Certains conseils duraient quelquefois plus de cinq heures. Même les conseils de Gouvernement, qui, eux, sont présidés par le Premier ministre, ne durent jamais si peu de temps.
Selon ces ministres, il ne s’agissait pas d’étirer le temps, mais de vraiment travailler et permettre à chacun de s’exprimer, d’écouter les divergences et les opinions. Le Conseil des ministres ordinaire, toujours selon les ministres qui nous ont parlé, se tient habituellement les mercredis, mais le chef de l’État ou le Premier ministre, dans le cas du docteur Ariel Henry, peut décider de le convoquer un autre jour, ou au besoin. Outre l’adoption de décrets, de lois, de nominations, le président interroge ou entend des ministres pour s’enquérir de l’avancement de certains dossiers et projets.
Le chef de l’État accepte que des ministres demandent des éclaircissements à leurs collègues lors des discussions en cours. Un ancien ministre de Jean-Claude Duvalier explique la pression extraordinaire qui pesait sur lui et ses collègues et même qu’une fois un ministre a craqué parce que le président lui avait dit de but en blanc n’avoir pas compris son explication sur un projet dont il avait la gouvernance. La pression était encore montée d’un cran quand, après 1983, la Première dame prenait part au Conseil des ministres.
Le Président Aristide écoutait patiemment les ministres, acceptait les interactions et s’assurait que tout ce qu’il avait ordonné dans les précédentes rencontres était exécuté. Le président René Préval n’aimait pas les longues réunions et interdisait certaines fois l’entrée du Conseil aux ministres retardataires. Michel Martelly écoutait, il interrogeait et avait toujours un mot, une anecdote à partager avec le Premier ministre et les ministres.
Jovenel Moise parlait plus qu’il ne laissait s’exprimer le Premier ministre et les ministres. Un de ses ministres raconte que le président avait systématiquement refusé d’accorder la parole à une ministre qu’on l’avait forcé à accepter dans le Gouvernement, elle n’y avait pas fait long feu.
Au-delà des anecdotes, des tempéraments propres à chaque chef d’État ou Premier ministre, le Conseil des ministres est un lieu convivial et respecte un certain nombre de codes.
À la fin d’un Conseil des ministres, en général, le président, le Premier ministre, les secrétaires généraux partagent un repas. Si le président, le Premier ministre, est retenu et doit être en retard d’une heure ou plus, le Protocole invite l’assemblée à passer à table en attendant qu’il arrive pour présider la séance. Quand il y a des décrets ou des résolutions à approuver, les textes sont transmis une semaine à l’avance aux ministres ; ils sont passés au crible lors de la réunion et le Secrétaire général du Conseil des ministres prend note des différentes interventions susceptibles de bonifier le texte. Un texte qui concerne la justice est défendu par le ministre de la Justice. Un texte qui concerne les finances est défendu par le ministre des Finances etc.
Les concernés mettent en contexte, justifient et convainquent que tel texte fera avancer l’État et la population dans le domaine concerné. Le président et le Premier ministre s’attendent à ce que les ministres aient lu le texte et donne une opinion. Le président peut solliciter une opinion même du ou de la ministre dont le secteur qu’il, elle dirige, est très éloigné du décret en discussion qui va être approuvé par le Conseil des ministres et publié au journal officiel de la République ou transmis au Parlement, quand cette entité existe.
Le Conseil des ministres ne s’expédie pas. Quand le président ou le Premier ministre ne dispose pas du temps nécessaire, il, elle le renvoie. Le Conseil des ministres, s’il doit se faire in extremis, met tout ce qui ne le concerne pas en arrêt et peut se prolonger très tard si les circonstances l’exigent. Depuis la pandémie de Covid 19, certains Conseils des ministres se sont tenus en ligne. Même dans ce format moins chaleureux, les Conseils durent deux à trois heures.
Les décisions de Conseil des ministres ne peuvent en aucun cas être contestées ou ignorées par un ministre. Il peut faire valoir son opinion pendant la séance, se plier à la décision de la majorité, se taire ensuite ou démissionner.
Le Conseil des ministres du 24 juin va-t-il créer un précédent ? C’est malheureux et dommageable qu’il se soit tenu dans ces conditions répondent les anciens ministres. Ils espèrent néanmoins que non.
Source : le Nouvelliste
Lien : https://lenouvelliste.com/article/257693/le-conseil-des-ministres-et-ses-codes