Quitter Port-au-Prince pour se rendre au Cap-Haïtien par voie aérienne afin de prendre un vol international s’est avéré un véritable parcours du combattant.
Entre un vol commercial en hélicoptère qui coûte un bras, soit 1 485 dollars américains le siège, et l’hélicoptère opéré gratuitement par la Protection civile, seule bouée de sauvetage, qui était hors de service pour cause de réparation, l’option de rejoindre la deuxième ville du pays par la route, en autobus, était la seule possible et imaginable.
Car, le vol charter en avion n’était pas disponible à ce moment-là. Avec la hantise de se faire attaquer à tout moment pendant le long trajet. Un cas de figure à ne pas exclure totalement tant les principaux axes routiers ne sont plus sûrs, et pour un voyageur qui emprunte la route nationale #1 pour la première fois depuis des années, le niveau de stress était à son paroxysme.
Bien qu’il soit de notoriété publique que la route nationale n°1 a retrouvé sa praticabilité, sous l’emprise totale des groupes armés, la désagréable impression de « se jeter dans la gueule du loup » était manifeste. En effet, le contrôle exercé par les gangs sur cet axe routier est absolu. Rien n’échappe à leur autorité. Aucune chose en particulier.
Le premier signe manifeste de ce contrôle exclusif des gangs réside dans le fait que la station d’autobus desservant le nord du pays a été une nouvelle fois transférée dans la commune de Delmas. À Delmas 33, pour être plus précis. Un des rares îlots encore sous contrôle étatique.
Les deux premières étapes du voyage, à savoir le règlement de la réservation la veille ainsi que l’embarquement, se sont déroulées sans incident. Il était nécessaire de se présenter à l’heure stipulée, en début de matinée, et de faire valider son billet par un contrôleur afin de pouvoir embarquer dans l’autobus.
L’augmentation exponentielle du coût du passage, résultant des nombreux péages imposés par les groupes armés qui exercent un contrôle sans faille sur la route nationale n°1, n’a pas altéré la détermination des voyageurs à rejoindre, coûte que coûte, la ville du Cap-Haïtien. En ce début de mois de mai 2025, il fallait débourser 6 500 gourdes pour se rendre au Cap-Haïtien en autobus. Qu’à cela ne tienne! Les passagers étaient résignés, mais pas abattus. La détermination se lisait sur leur visage.
Dès que l’autobus a quitté la station d’embarquement pour prendre la route menant à l’aéroport, dernier bastion encore sous contrôle étatique, le parcours a été ponctué de surprises. En parcourant les zones sous le contrôle des groupes armés, quiconque s’attendait à observer un paysage de désolation, avec des corps éparpillés dans les rues, il n’en était rien.
En revanche, l’observation était ordinaire, à Cité Soleil pour se rendre sur la route nationale #1 en ce mercredi matin, avec des écoliers sur le chemin de l’école portant des sacs à dos, des marchandes ambulantes le long de la route, et des chauffeurs de taxis-motos bayant aux corneilles à plusieurs carrefours. Un unique point commun à tout le parcours s’est manifesté de manière évidente tout au long de la route : l’absence totale de véhicules privés. Un grand nombre de camionnettes (taps-taps), plusieurs camions de marchandises ainsi que deux autobus battant pavillon distinct : Rotation et Grand Nord.
Dès que la route nationale n°1 a été empruntée, un vendeur d’occasion, communément désigné sous le terme d« agent marketing » dans le langage courant, est apparu de manière inattendue, tel un phénomène magique, et a commencé à saluer les passagers au nom du Christ, avant de débiter une série de consignes à observer : « lors du passage à travers les points de contrôle sous la surveillance des groupes armés, il est strictement prohibé de prendre des photographies ou de filmer à l’aide de son téléphone portable ». « Lorsque viendra le moment de l’intervention des points fixes établis par les brigades, au nombre de trois (deux situés à Arcahaie et un dans l’Artibonite), il sera impératif pour chacun de se présenter et de se soumettre à une vérification d’identité, en présentant une pièce d’identité, ainsi qu’à une fouille systématique des bagages ». Fait intéressant : l’un des membres d’une brigade, la mâchoire serrée et à peine articulant, sollicitait subrepticement un peu d’argent des passagers sous le fallacieux prétexte de procéder au nettoyage de la zone en prélude à la fête du Drapeau.
Un autre fait intéressant à noter : au moment de quitter la cité du drapeau, une patrouille policière a été tout de même observée prise en étau entre les gangs armés et les brigades. En guise de réponse ironique à cette présence policière inattendue, le conducteur de l’autobus n’a pas hésité à la saluer avec un usage ostentatoire du klaxon.
La pression s’est véritablement atténuée uniquement après notre arrivée aux Gonaïves, la cité de l’Indépendance. Les estomacs ont été dénoués uniquement lors de l’escale à Ennery, où l’autobus s’est arrêté afin de permettre à l’équipage de se restaurer et de se soulager la vessie.
À partir de ce moment, le voyage s’est poursuivi sans incidents notables. Néanmoins, lors de notre ascension du morne Puilboreau, une nouvelle épreuve s’est présentée à nous : l’état de la route menant au Cap-Haïtien est déplorable. À notre arrivée au Cap, un autre choc se manifeste : l’insalubrité de la deuxième ville du pays. La tenue de la ville laisse à désirer.
Les déchets sont omniprésents. Il semblerait que les services de voirie de la deuxième ville du pays aient depuis longtemps cessé leurs activités. Ce n’est qu’à l’arrivée à l’hôtel que le soulagement a été pleinement ressenti, en prévision du vol pour Miami prévu le lendemain.
Source : Le Nouvelliste