Haïti. Que sont devenus les territoires perdus de la République ?

Dans la soirée du dimanche 11 au lundi 12 mai 2025, à Mirebalais, commune du département du Centre, l’ambiance était festive. En réalité, il n’y aurait rien à signaler au sujet d’une débauche de joie nocturne si la ville de Mirebalais n’était pas sous le contrôle des bandits armés de la coalition criminelle « Viv ansanm » et si cette activité n’était pas une célébration de leur victoire sur les autorités de la commune.

Les extraits de vidéos diffusés sur internet offrent un constat clair et net de cette festivité. Des centaines de gens massés dans la cour de ce qui était, il y a quelques semaines la gare routière de Mirebalais, ont dansé au son du rara.

Sur l’extrait visionné, les feux d’artifice ne cessent d’illuminer les cieux de la ville. Des sources ont rapporté le départ de plusieurs autobus en direction de Mirebalais en cours de journée de dimanche, en prélude aux festivités.

Fin mars 2025, les gangs « 400 Mawozo » et « Taliban » aux soldes de Lanmò San Jou et de Jeff Gwo Lwa, respectivement, lancent des attaques conjointes sur Mirebalais. Les membres de brigades d’autodéfense et les policiers de la commune leur imposent une opposition farouche.

Après des jours de combat, la résistance s’affaiblit, les bandits redoublent d’ardeur, la ville de Mirebalais tombe et vient allonger la longue liste des communes qui échappent au contrôle de l’État. 

Dans la ville, les bandits criminels ne tardent pas à imposer leurs lois. Ils s’attaquent d’abord au commissariat et à la prison de la commune puis aux autres institutions et résidences privées de la ville. Sur les réseaux sociaux, les nouveaux maîtres des lieux ne manquent pas d’exposer leurs actes de terreur.

Et comme si contrôler la ville de Mirebalais ne leur était pas suffisant, ils s’attaquent à la commune limitrophe de Saut-d’Eau. La même politique y est appliquée : meurtres et incendies sont leurs modes opératoires.

Mirebalais et Saut-d’Eau sont totalement sous le contrôle des bandits. Les autobus qui passaient par la commune pour se rendre dans l’Artibonite ou dans le Nord ne peuvent plus y accéder. Les informations concernant l’état de la ville ne sont diffusées que par les bandits eux-mêmes.

Les quartiers de Solino, Nazon et une partie de Delmas ont eux aussi connu cette tragédie. Après avoir résisté pendant plusieurs jours, ils tombent aux mains des gangs. Aujourd’hui, vidés de leurs habitants, ces quartiers ne sont qu’un tas de ruines où personne n’ose s’aventurer.  

Il n’y a pas que la région métropolitaine à subir les attaques des bandits, la commune de Petite-Rivière de l’Artibonite, dans le département de l’Artibonite a connu l’horreur en ce début de ce mois de mai à la suite des attaques des bandits. Le 30 avril, les bandits de l’organisation criminelle « Gran Grif » de Savien ont attaqué cette commune. Des morts et des blessés ont été signalés. La population pour échapper aux bandits a été contrainte de rejoindre d’autres communes, telles que Verrettes ou Saint-Marc à la nage, en traversant le fleuve de l’Artibonite.

Croix-des-Bouquets et Carrefour :
deux territoires perdus, deux modèles
différents de contrôle

Le 29 février 2024, quelques jours après l’annonce de la reconstitution de la coalition criminelle « Viv ansanm », l’aile nord de la commune de la Croix-des-Bouquets subit les attaques des bandits. Le sous-commissariat de Bon-Repos, en sous-effectif, est pris d’assaut ; cinq des six policiers qui gardaient l’espace sont lynchés. Les jours qui suivent, à la Croix-des-Bouquets, le centre-ville est attaqué. La prison civile de la commune, l’une des deux plus importantes du pays, est prise pour cible. Les prisonniers sont relâchés.

Le sous-commissariat de la Croix-des-Bouquets, les locaux de la mairie et des principales banques commerciales de la place sont vandalisés et incendiés. Aujourd’hui, Croix-des-Bouquets est dirigée par les bandits qui dictent leurs règles. Ils contrôlent les entrées et les sorties de la ville et vont jusqu’à racketter ceux qui vendent au marché et les chauffeurs qui empruntent les rues de la ville.

Carrefour, commune située au Sud de la capitale du pays, est, elle aussi, contrôlée par les gangs. À l’inverse de la Croix-des-Bouquets, la prise de contrôle de Carrefour s’est faite de manière moins sanglante.

Avril 2024, le groupe criminel dirigé par Kris La, a attaqué le commissariat de Carrefour. Lors de cette attaque, des policiers et du personnel civil qui se trouvaient au commissariat sont enlevés puis relâchés. Depuis, le commissariat est délaissé. Les autres policiers qui habitaient la zone s’empressent de décamper et les bandits prennent le contrôle de la ville. Ils y circulent en toute liberté, sans être inquiétés par une quelconque force répressive.

Le 27 avril 2025, le chef de gang qui contrôle Carrefour lance un appel à la grève, pour exiger que l’État prenne ses responsabilités. Paradoxe ? Dans une note vocale, devenue virale, les propos du chef de gang sont clairs : toutes les institutions, à part les hôpitaux, doivent garder leurs portes fermées. Finalement, après deux jours de lockdown entre le 28 et le 29 avril, Kris La annonce la levée de la grève et fait du troisième jour, une journée consacrée à l’assainissement. Là encore, ses consignes sont suivies à la lettre.

À Carrefour, à part les postes de police, pratiquement toutes les autres institutions fonctionnent comme à l’ordinaire. Les bandits imposent leurs normes. Des frais sont prélevés sur les transferts provenant de l’étranger et sur certaines entreprises.

Les fronts oubliés – ou presque – de la République 

À côté des communes qui en ce mois de mai sont toujours contrôlés par les bandits, il y a celles qui ont été attaquées, vidées de leurs habitants, sans qu’il n’y ait aucune tentative de reprise de la part des autorités. Thomazeau, Ganthier et Gressier font partie de ces fronts oubliés ou presque de la République.

À Gressier par exemple, la commune est déserte, seuls les bandits y demeurent. Le 10 mai dernier, date qui marque la première année depuis la prise de la ville, des anciens résidents de Gressier, réfugiés dans les localités de La Colline se sont réunis pour discuter des perspectives d’avenir pour leur commune. À Gressier, aucune opération de police n’a été entreprise pour récupérer la zone.

La semaine dernière, a-t-on appris, les bandits ont lancé une offensive pour atteindre Léogâne, n’était la vigilance des brigades d’autodéfense et des policiers, ils seraient parvenus à leur objectif. Pour le moment, ils se sont repliés à Garde-Gendarme, où ils continuent de commettre leurs exactions.

Port-au-Prince au bord du précipice

Depuis 2021, et la chute de Martissant, Port-au-Prince, la capitale du pays, vacille sous la pression des gangs. Après avoir réussi à prendre le contrôle de plusieurs quartiers de la capitale, entre février et mai 2025, les bandits ont tour à tour lancé une nouvelle offensive sur Carrefour-Feuilles, qu’ils avaient déjà attaqué en 2023 ; ils ont marché sur d’autres quartiers et contrôlent à présent une large part de la commune. 

En mars dernier, lors d’une entrevue à Magik 9, l’agent exécutif intérimaire de cette commune a indiqué contrôler 12 sur les 38 km² de la commune. Aujourd’hui, l’aire contrôlée par l’administration communale se restreint. Avenue Christophe, Pacot, une partie de Turgeau et leurs environs viennent s’ajouter à la liste des territoires perdus.

Pour éviter un mauvais sort, certains bureaux de l’État localisés à Port-au-Prince, ont été relocalisés. Les conseillers présidentiels ne tentent plus de se rendre au Palais national et se terrent à Musseau, quartier où la primature est également logée. Certaines zones, comme Canapé-Vert ou Debussy, grâce aux brigades d’autodéfense résistent encore mais pour combien de temps ?

Entre-temps, les progrès en vue de la résolution de la crise sécuritaire restent peu visibles, voire inexistants. Les forces de l’ordre n’ont récupéré aucun territoire perdu depuis juin 2021; l’utilisation des drones kamikazes offre une opportunité mais les résultats restent limités. Alors qu’on parle de budget de guerre au Conseil présidentiel de transition (CPT), le pays ne dispose d’aucun plan de sécurité.

Ce dernier, selon des officiels du gouvernement, est à l’étude. Une autre possibilité souvent évoquée au cours des dernières semaines est le recours à des firmes privées de sécurité, mais pour l’instant rien n’est encore officiel.

En attendant, il y a une population qui espère retourner chez elle ou s’affranchir de l’emprise des bandits. Chaque jour qui passe est une éternité pour ces milliers de familles déplacées ou vivant dans les zones où les bandits règnent en maîtres et seigneurs.

Source : Le Nouvelliste (Avec les correspondants)

Lien : https://lenouvelliste.com/article/256168/que-sont-devenus-les-territoires-perdus-de-la-republique

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