La chlordécone au tribunal

Petite avancée dans le dossier de la chlordécone et ses effets néfastes sur la santé de la population de Guadeloupe et Martinique. Le 21 janvier, à la demande de deux juges d’instruction parisiennes, Me Harry Durimel, avocat des parties civiles, dont la Confédération Générale du Travail de la Guadeloupe (CGTG), devrait être entendu. Audition par visioconférence. 

Jusqu’en 1992, malgré que, vingt ans plus tôt, les Américains qui l’avaient inventé ne s’en servaient plus sur le territoire national, réservant sa production à l’exportation, les planteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique ont utilisé, en épandage, de la chlordécone. Sous différents noms, qui passaient mieux. C’est qu’il fallait masquer une molécule aux effets néfastes —connus depuis 1974— sur la santé des êtres humains sous des noms d’emprunt.

Vingt ans de silences
complices

L’épandage de la molécule a empoisonné les gens et les sols. Photo DR

Et puis, en 1992, enfin, après de nombreux rapports de chercheurs qui ont mis avec insistance l’accent sur de possibles effets néfastes de cette chlordécone sur la santé, le Gouvernement français a interdit son utilisation, sans dérogation cette fois-ci.

Pendant vingt ans, on avait empoisonné « légalement », avec l’aval des autorités, les gens et les sols où la molécule, dégoulinant des bananiers, s’était infiltrée, atteignant la nappe phréatique.

Il y a plus de quinze ans, l’Union de Producteurs Agricoles de Guadeloupe (UPG) et l’Union Régionale des Consommateurs (UGC) déposaient plainte auprès du procureur. Plainte avec constitution de partie civile puisqu’elles défendaient des victimes de l’épandage de ce produit phytosanitaire sur les bananeraies.

Elles arguaient de morts suspectes, de cancers de la prostate et présentaient des résultats d’études sur la prévalence de cancers de la prostate dans nos régions et de bébés prématurés dans une proportion plus importante que la moyenne nationale.

Une Guadeloupe
empoisonnée
en toute discrétion

Il y a dix ans, des interdictions ont été prises, par arrêtés préfectoraux, pour interdire la consommation du poisson pêché dans toutes les rivières de la Basse-Terre, puis sur toutes les côtes, de petit-Bourg à Vieux-Habitants. Poisson, coquillages, fruits de mer. Bourrés de chordécone. 

Les trois organisations (CGTG, UPG et UGC) seront représentées, lors de la visioconférence le 21 janvier, par trois avocats, dont Harry Durimel.

« Nous sommes tous concernés par ce scandale qui fait des ravages au sein de la population de Guadeloupe et de Martinique », affirme la CGTG.

Qui poursuit : « Tout le monde reconnait qu’il y a eu un empoisonnement, mais curieusement, à ce jour, personne n’a été ni inquiété, ni mis en examen, a fortiori inquiété. »

« Il nous importe, conclut la CGTG, de tout faire pour qu’enfin les coupables soient connus de tous, ainsi que leurs complices au premier rang desquels l’Etat, soient condamnés à la hauteur du crime qu’ils ont commis. »

Un président qui fustigeait
les puissances d’argent
et des ministres complaisants

Revenons au début des années 1980. Le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu président. Le premier président de la République socialiste en France. Qui a fustigé les puissances d’argent durant sa campagne.

La première dérogation, puis la deuxième, puis la troisième, seront données par ses ministres de l’Agriculture. Edith Cresson, Michel Rocard, Henri Nallet, Louis Mermaz, Jean-Pierre Soisson, ont eu à connaître le dossier ou à donner une dérogation ; ils l’ont fait, sans barguigner, pour faire plaisir aux grands planteurs de bananes qui faisaient du lobbying à Paris.

Ils ont cédé, malgré la dangerosité de la chlordécone, pour faire droit aux demandes incessantes des élus locaux, présidents d’assemblées, en Guadeloupe comme en Martinique, mais aussi sénateurs et députés. Parce que ceux-ci étaient de leur mouvance ou apparentés. En l’occurrence, dans ce dossier, affidés. Liés pour la mauvaise cause.

Ils sont silencieux,
sous leurs pierres tombales

Que risquent-ils ? Rien. Certains sont morts, certains sont vieux et infirmes. Et puis l’Etat veille qui temporise en attendant que vieux, après avoir été infirmes ou malades, les anciens ouvriers de la banane qui ont épandu la chlordécone soient partis. Et que s’éteignent les plaintes.

C’est l’Etat, entité intemporelle, éternelle, que visent les plaintes. L’Etat ne risque pas de disparaitre. Mais, l’Etat a les moyens de faire durer les instances judiciaires. Même s’il existe, en France, une stricte séparation des pouvoirs. Et que le ministre de la Justice ne donne pas d’ordre d’enrôlement aux procureurs…

En attendant, le 21 janvier, la CGTG invite à venir manifester sous les fenêtres du tribunal. Dans une petite pièce de ce trinunal, loin au fond des couloirs, entouré de ses confrères, Me Harry Durimel répondra aux interrogations des deux juges d’instruction parisiens…

André-Jean VIDAL

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