OPINION. Autonomie ou nouvel acte de décentralisation pour la Guadeloupe, telle est la question posée avec Naïma Moutchou au ministère des Outre-mer

PAR JEAN-MARIE NOL*

Avec la nomination de Naïma Moutchou au ministère des Outre-mer, c’est un signal fort qu’envoient Emmanuel Macron et Sébastien Lecornu : celui de l’ouverture d’un processus inédit, celui de l’autonomie de la Guadeloupe.

Dans un contexte politique explosif, où le nouveau Premier ministre peine déjà à éviter une censure parlementaire synonyme de dissolution, cette décision s’inscrit dans une recomposition politique incertaine, mais aussi dans une stratégie de rupture avec le vieux modèle institutionnel de la départementalisation.

Après les épisodes fugaces de Michel Barnier, François Bayrou et Sébastien Lecornu, c’est un pouvoir à bout de souffle qui tente de se réinventer. Ce Sébastien Lecornu bis, installé à Matignon, incarne moins un souffle nouveau qu’une continuité contrainte, dans un moment où l’État central vacille sous la pression conjuguée d’une gauche revancharde, d’une droite fracturée et d’un centre sans repères.

Dans la France d’aujourd’hui, la fracture entre les élites mondialisées et les classes moyennes reléguées s’est muée en abîme social et culturel. Les premières évoluent dans un univers globalisé, sans attaches territoriales, pendant que les secondes subissent le déclassement, la précarité et la perte de sens.

Emmanuel Macron, en fin stratège, a laissé s’installer un face-à-face mortifère entre technocratie libérale et populisme identitaire, faisant du duel avec le Rassemblement national le cœur battant de la vie politique française. Mais cette mise en scène secrète quoique démocratique dissimule mal la fatigue du corps social, la colère d’une classe populaire et moyenne qui ne se reconnaît plus ni dans les discours, ni dans les symboles d’un pays qu’elle estime trahi par ses élites.

La crise est autant économique que culturelle ; elle touche à la représentation même de la nation, à ce sentiment diffus que la France ne sait plus où elle va, ni pour qui elle agit.

Les politologues ne cessent d’alerter sur ce qu’ils appellent désormais « l’effondrement silencieux de l’autorité ». L’État peine à faire respecter la loi, la parole politique a perdu sa force performative, et les institutions ne sont plus que des coquilles vidées de sens.

Tous s’accordent à dire qu’il faudrait un choc d’autorité – moral, social, politique – pour redonner du crédit à la République. Mais cette autorité-là ne peut venir d’une rhétorique martiale ; elle suppose d’abord un retour à la cohérence, à l’exemplarité et à une véritable réconciliation entre la société et ceux qui prétendent la gouverner.

C’est dans ce paysage de crise systémique que la nomination de Naïma Moutchou prend tout son relief. Fille d’une famille modeste et illettrée d’origine marocaine, née en 1980 à Ermont, juriste aguerrie et avocate au barreau de Paris, elle s’est imposée par son parcours républicain exemplaire.

Mais, ce n’est ni son ancrage politique, plutôt situé à droite, ni son profil social qui expliquent sa nomination. C’est son rapport à la justice, à la rigueur institutionnelle, et à la capacité de mener à bien des réformes de structure dans un cadre légal complexe.

Car, la mission qui lui est confiée dépasse de loin la simple gestion administrative des Outre-mer : il s’agit, en réalité, de piloter l’ouverture du processus d’autonomie des territoires ultramarins, à commencer par la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique, qui se sont récemment prononcées en congrès pour un changement statutaire.

Derrière la formule technocratique d’« adaptation institutionnelle », le gouvernement acte en silence la fin d’un modèle : celui de l’assimilation et de la départementalisation. Ce système, hérité des lendemains de la Seconde Guerre mondiale, a longtemps servi de cadre protecteur à ces territoires, mais il ne répond plus ni aux attentes économiques ni aux aspirations politiques des élus et d’une fraction de la population.

Le malaise est ancien, profond, nourri par des décennies d’inégalités structurelles, de dépendance financière et d’une centralisation qui a étouffé toute initiative locale. Mais le temps des réformettes, celui des demi-mesures de décentralisation, est -il -pour autant révolu ? L’heure est à un changement de civilisation politique : penser la responsabilité locale, la maîtrise budgétaire et la souveraineté économique partagée.

Pourtant, cette dynamique d’autonomie, que certains présentent comme inéluctable, n’est pas dénuée d’alternatives. Le Premier ministre Sébastien Lecornu, conscient des tensions que pourrait susciter une mutation aussi radicale, vient d’adresser aux élus un courrier réaffirmant sa volonté d’engager un nouvel acte de décentralisation. Ce projet de loi, actuellement en préparation, vise à clarifier les compétences entre les différents niveaux de collectivités et à redonner un pouvoir réglementaire réel aux territoires.

Les champs prioritaires identifiés – santé, environnement, urbanisme, logement, transports, culture, tourisme et sport – esquissent un recentrage pragmatique de l’action publique locale. Lecornu insiste sur la nécessité d’une large concertation avec les élus, les associations, le Parlement et la société civile, dans l’objectif de construire un modèle renouvelé de gouvernance territoriale sans pour autant rompre avec l’unité républicaine. Cette approche, en apparence plus prudente, pourrait constituer une voie médiane entre le statu quo et l’autonomie pleine, une tentative de moderniser la décentralisation française en y intégrant les spécificités ultramarines.

Mais l’autonomie reste une idée fragile, menacée à la fois par les non-dits budgétaires et les résistances culturelles. La référence à l’article 74 de la Constitution, sur le modèle calédonien, fait rêver certains, mais demeure pour l’heure une chimère. Car, derrière les grands principes, se cachent des réalités complexes : dépendance financière à l’État, déséquilibre des recettes fiscales, et peur diffuse d’une rupture mal préparée. Pourtant, le statu quo n’est plus tenable. Les Outre-mer, et la Guadeloupe en particulier, ne peuvent plus vivre au rythme comptable de la métropole, sous peine de sombrer dans un déclin économique et social irréversible.

L’autonomie, si elle doit advenir, ne saurait être une fuite en avant idéologique. Elle doit être pensée comme un acte de maturité collective, un projet d’émancipation fondé sur la responsabilité, la dignité et la lucidité. Elle suppose une refondation économique préalable du modèle économique actuel , une nouvelle manière de produire, d’investir et de décider localement.

Car, si la France continentale chancelle sous le poids de ses contradictions politiques et sociales, la Guadeloupe, elle, n’a d’autre choix que d’inventer sa propre voie , même dans le cadre d’un prochain processus de décentralisation, voire d’autonomie qui semble avoir les faveurs des élus, mais aussi du gouvernement français.

Sa ki an bèk ou pa ta’w, sa ki an fal ou sé ta’w. – traduction littérale : Ce qui est dans ton bec n’est pas à toi, ce qui est dans ton ventre est à toi. – moralité : Il faut savoir attendre avant de crier victoire.

*Economiste et juriste en droit public

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