PAR LILIA BURUNCIUC*
Plus tôt cette année, j’ai rencontré une jeune diplômée qui avait passé tout l’été à chercher un emploi correspondant à sa formation, sans succès. Au fil des semaines et à mesure que ses options se réduisaient, elle a postulé dans une boucherie locale, espérant trouver un emploi. Mais, même là, elle a essuyé un refus : elle était « surqualifiée » pour emballer des cuisses de poulet.
Son histoire n’est pas unique. Dans plusieurs pays des Caraïbes, les jeunes découvrent que les diplômes universitaires, bien qu’essentiels, ne leur ouvrent pas toujours les portes qu’ils espéraient. Les entreprises, quant à elles, signalent des difficultés à pourvoir les postes, non pas par manque de candidatures, mais parce que de nombreux demandeurs d’emploi ne possèdent tout simplement pas les compétences techniques ou l’expérience requises. Ce décalage entre l’offre et la demande de compétences est l’un des freins à la croissance les plus persistants de la région.
À la Grenade et à Saint-Vincent-et-les Grenadines, par exemple, les entreprises classent systématiquement la pénurie de main-d’œuvre qualifiée parmi les deux principaux obstacles à l’activité économique. L’impact de cette pénurie est frappant : en 2020, 50 % des postes vacants à Saint-Vincent-et-les Grenadines nécessitant des travailleurs qualifiés sont restés vacants faute de candidats qualifiés.
À Sainte-Lucie voisine, 40 % des employeurs ont indiqué que les compétences et le niveau d’éducation des travailleurs nuisaient à la compétitivité du pays. Parallèlement, le problème dépasse les entreprises : 61 % des jeunes déclarent avoir des difficultés à trouver un emploi ou à gagner leur vie, souvent parce que leurs qualifications académiques ne correspondent pas aux exigences du marché du travail.
Les répercussions sont vastes. Le chômage des jeunes à la Grenade et à Sainte-Lucie dépasse 40 %, l’un des plus élevés des Caraïbes orientales. Parmi ceux qui trouvent un emploi, beaucoup occupent des postes pour lesquels ils sont sous-qualifiés – 57 % des travailleurs à Sainte-Lucie n’avaient pas les qualifications nécessaires en 2019 – ou qui ne permettent pas d’exploiter pleinement leur formation et leurs compétences.
Bien que ces emplois puissent offrir des revenus, ils peuvent également entraîner des inadéquations entre les capacités des travailleurs et les exigences du poste, ce qui frustre de nombreux jeunes et limite le potentiel des entreprises à fonctionner à pleine productivité.
Ces défis reflètent des problèmes structurels plus profonds, notamment une qualité insuffisante de l’éducation de base et une collaboration insuffisante entre les établissements d’enseignement supérieur et le secteur privé. Les établissements d’enseignement supérieur fonctionnent souvent isolément du secteur privé, laissant les étudiants titulaires de diplômes universitaires sans les compétences pratiques ou techniques recherchées par les employeurs.
Pour aggraver la situation, les Caraïbes orientales consacrent environ 14 % de leur budget de l’éducation à l’enseignement supérieur, contre 25 % en Amérique latine et 32 % dans les pays de l’OCDE. Avec des laboratoires obsolètes, des infrastructures numériques limitées et une faible capacité à soutenir une éducation inclusive, de nombreux établissements sont mal équipés pour préparer les étudiants aux exigences du marché du travail actuel.
Ces défis sont encore amplifiés par l’émigration de travailleurs hautement qualifiés, qui quittent souvent la région à la recherche de meilleures opportunités à l’étranger. Cette perte de talents réduit la disponibilité de professionnels qualifiés dans le pays et affaiblit le rendement des investissements publics dans l’éducation.
La pénurie de compétences n’affecte pas seulement les demandeurs d’emploi individuels ; elle fragilise l’économie dans son ensemble en freinant la productivité, en réduisant la compétitivité des entreprises et en limitant les possibilités d’innovation.
En partie à cause du manque de compétences, les entreprises des Caraïbes orientales n’investissent pas suffisamment dans les activités innovantes. Seulement 2,7 % des entreprises de la Grenade et 3,2 % de celles de Sainte-Lucie disposent de ressources humaines dédiées à la recherche et au développement.
Il est tout aussi important de favoriser une collaboration plus étroite entre les établissements d’enseignement et le secteur privé. Si certains établissements entretiennent déjà des partenariats, notamment dans le tourisme, il est nécessaire d’étendre ces efforts à un plus large éventail de secteurs.
Une collaboration plus approfondie et plus diversifiée peut contribuer à garantir l’adéquation des programmes de formation aux besoins changeants du secteur, encourager les possibilités d’apprentissage en milieu professionnel et soutenir les initiatives de recherche et développement qui favorisent l’innovation et la création d’emplois.
La Banque mondiale collabore avec les pays des Caraïbes pour soutenir ces objectifs. Le Projet Compétences et Innovation de l’OECO en est un exemple. Doté de 36 millions de dollars, ce projet vise à améliorer les compétences des jeunes, à favoriser la collaboration régionale et à consolider une culture de l’innovation.
En soutenant 40 000 jeunes grâce à des formations ciblées, en établissant des normes d’apprentissage communes et en encourageant les partenariats entre entreprises et établissements d’enseignement supérieur, l’initiative vise à bâtir un écosystème où l’innovation et le développement des compétences stimulent la croissance.
Au-delà des Caraïbes orientales, des pays comme le Guyana et le Belize intensifient également leurs efforts pour combler le déficit de compétences. Au Guyana, la Banque mondiale soutient l’investissement du gouvernement dans un large éventail de compétences nécessaires au développement de son économie en pleine expansion, en mettant l’accent sur l’enseignement et la formation techniques et professionnels.
Au Belize, où la participation des femmes au marché du travail reste nettement inférieure à celle des hommes, un projet à venir se concentrera sur le développement de la petite enfance et l’autonomisation des femmes, avec un volet dédié visant à accroître les opportunités d’emploi des femmes par le développement des compétences et le soutien aux entreprises des secteurs de l’éducation et de la santé.
Les Caraïbes recèlent un immense potentiel. Exploiter ce potentiel nécessitera un effort coordonné, un investissement à long terme et un engagement commun pour aligner les compétences sur les opportunités. Il est encourageant de constater que ce travail est déjà en cours.
Source : St Vincent Times
Lien : https://www.stvincenttimes.com/closing-the-skills-gap-to-create-more-jobs-in-the-caribbean/
*Lilia Burunciuc est directrice des opérations de la Banque mondiale pour les Caraïbes.