Opinion. Crise économique et financière : qui, en France et surtout aux Antilles, peut encore la nier ?

PAR JEAN-MARIE NOL*

Jean-Marie Nol publie régulièrement des chroniques économiques sur des médias antillais.

Les idées reçues ont la vie dure, surtout lorsqu’elles sont entretenues par des discours politiques.  Aujourd’hui pourtant, il y a le feu au lac sur la question de la dette publique et aussi privé en France. C’est une ère pleine de dangers qui s’ouvre pour les finances publiques françaises et par voie collatérale pour l’équilibre budgétaire des collectivités locales de Guadeloupe et Martinique.

Et l’inquiétude est grande pour 2023 !

Pour avoir depuis plusieurs années abordé et travaillé sur les thématiques de la dette et des déficits, ainsi que des conséquences probables de cette crise pour la Guadeloupe, nous avons décidé aujourd’hui de prendre du recul et du repos, mais néanmoins souhaitons soumettre à la sagacité des intellectuels Guadeloupéens et surtout Martiniquais, quelques morceaux choisis à partir d’une revue de presse de l’actualité économique. Donc pour ce faire et clarifier le débat, donnons la parole à plus experts que nous.

Pour commencer, notre décryptage de l’actualité économique et financière, nous allons nous intéresser à un article de BFMTV business, qui annonce que Bruno Le Maire et Gabriel Attal veulent accélérer le désendettement de la France et plus rapidement que prévu. Et ce à cause de la remontée des taux d’intérêt, parce que la France n’a plus les moyens de s’endetter.

« C’est une ère pleine de dangers qui s’ouvre pour les finances publiques françaises. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, et Gabriel Attal, ministre chargé des comptes publics, ont présenté cette semaine des objectifs de réduction drastique du déficit et de la dette plus ambitieux que prévu initialement par le gouvernement, car la charge de la dette  française s’envole (Pour information, ce qu’on appelle la charge de la dette correspond à l’ensemble des intérêts que l’Etat s’engage à payer lorsqu’il emprunte de l’argent sur les marchés financiers, en plus du remboursement à une échéance précise du montant emprunté qu’on appelle le « principal ».) »

En 2027, la charge de la dette sera le premier poste de dépenses de l’Etat, à 71 milliards d’euros. A titre de comparaison, la France va dépenser cette année 44 milliards dans sa défense et 60 milliards dans l’éducation nationale.

Doucement mais sûrement, la dette française est donc déjà en train de s’emballer. Elle augmente de près de 15 millions d’euros par heure ! Et la charge de la dette va augmenter de 55% sur le quinquennat. Résultat, les ministres n’hésitent plus à employer les mots qui fâchent.

« La France doit reprendre le contrôle de sa dette », ont soutenu, en chœur, Bruno Le Maire et Gabriel Attal. »….

De fait, l’Élysée voudrait de façon urgente rassurer les agences de notation qui vont toutes travailler sur les comptes de la France et rendre leurs conclusions.

De fait, Emmanuel Macron a demandé en urgence à Matignon d’envoyer une lettre de cadrage aux ministres pour qu’ils s’engagent à réduire drastiquement les dépenses publiques de fonctionnement…

Et ça y est, comme annoncé dans mes précédents articles : on entre maintenant dans le dur, alors les Guadeloupéens et Martiniquais ont tout intérêt à attacher leurs ceintures, car ça va secouer sec et dur en 2024.

Pa konet mové !

Ainsi cette semaine, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, prévient du risque d’une période de « plus grande instabilité » et de « chocs répétés » dans les années à venir.

Et pour Agnès verdier-Molinié, directrice de la Fondation iFRAP, il faut sortir de ce piège du déni de réalité qui mine  l’économie et la démocratie française. Le constat est édifiant : la France est le pays le plus taxé de la zone euro – presque 1 200 milliards de prélèvements obligatoires par an –, mais nos services publics s’effondrent les uns après les autres.

Malgré des dépenses qui ne cessent d’augmenter, l’hôpital n’est plus que l’ombre de lui-même, l’école de la République s’enfonce un peu plus chaque année, les transports publics dysfonctionnent en permanence, la justice et la police sont débordées, les prisons saturées… Tout craque de partout en dépit des milliards injectés.

Le système semble devenu incontrôlable : la puissance publique est endettée à hauteur de 3 000 milliards d’euros et continue à dépenser sans compter et sans contrôle. Nos institutions ne nous protègent ni de l’excès d’impôts ni de l’excès de dépenses inutiles et la qualité des services publics baisse. Où passe donc l’argent dit magique ?

Quoiqu’il en soit, l’agence de notation Moody’s devrait annoncer ce soir ou demain son actualisation de la note française. Puis ce sera au tour de Fitch et de Standard & Poor’s début juin.

Quel est l’impact de la note donnée par les agences de notation sur les taux d’intérêt auquel la France emprunte ?

Si la note actuelle Aa2 est dégradée, la France va devoir emprunter à des taux d’intérêts plus élevés que par le passé, et cela va immanquablement accélérer la crise de la dette publique.

En effet, pour combler son déficit public et refinancer sa dette passée arrivant à échéance, la France emprunte chaque année un peu moins de 200 milliards d’euros sur les marchés à moyen et long terme (c’est-à-dire une dette à rembourser dans deux ans ou plus, parfois jusqu’à cinquante ans après l’émission des obligations).

Des taux d’intérêt plus élevés peuvent donc avoir un impact important sur les finances publiques : cette année, le budget de la charge de la dette — c’est-à-dire les intérêts versés aux créanciers — va ainsi atteindre quelque 50 milliards d’euros, soit le budget le plus élevé de l’État avec l’Education. D’où l’importance que peuvent avoir ces notes.

En effet, les marchés restent imprévisibles et on ne peut jamais prévoir d’où partira l’incendie. Et puis, en matière de dette souveraine, tout est question de comparaison, on jauge un pays sur ses fondamentaux mais aussi sur sa situation par rapport aux autres : et là, personne ne pourra le contester, la France décroche violemment.

Mais c’est l’économiste et écrivain Jacques Attali qui en parle le mieux, étant en rupture de ban avec le silence assourdissant de l’élite politique et économique.

Citons Jacques Attali :

…. « En France, le déni de réalité semble être le seul point commun de tous les acteurs de la vie publique : le président (qui a raison de dire que c’est son rôle de proposer des mesures impopulaires) refuse dans une posture politique de décrire la vraie réalité du pays aux français….Cela conduit le pays, dans son ensemble, à refuser de prendre acte du déclin …. ; cela conduit  aussi, par contre, le pays à refuser d’attacher de l’importance à sa situation budgétaire désastreuse (une dette publique au niveau jamais atteint de 115% du PIB) ; à ses retraites mal financées, à une industrie déclinante (elle ne représente plus qu’une part de son PIB inférieure à celle de l’Espagne, ou de l’Italie) ;  à une situation financière plus catastrophique que jamais, (avec des  déficits de son commerce extérieur et de ses paiements devenus structurels) ; au point que, sans la protection de l’euro, la France serait aujourd’hui dans la situation de l’Argentine, comme on le verra peut-être bientôt par la dégradation de sa notation. En agissant ainsi, la dette française augmentera, l’Europe se défera, les droits de l’homme reculeront, le climat de la planète se dégradera. Jusqu’à ce que la hausse des taux d’intérêt rende la France insolvable, que l’euro soit mis en cause, que la démocratie laisse la place à une dictature aux Etats-Unis ou dans un grand pays d’Europe, et que des centaines de millions de gens migrent pour fuir les dérèglements climatiques. Nier la réalité est la meilleure façon de laisser advenir le pire.  Rien n’est plus urgent que de regarder les enjeux en face. Et d’agir. »

Un autre économiste, Nicolas Baverez, n’est pas en reste sur l’inquiétant constat, et dresse un portrait glaçant de la déconstruction de l’éducation nationale en France : « L’effondrement du système éducatif contribue à expliquer le vertigineux décrochage de la France. La crise est devenue systémique. Elle se traduit en premier lieu par la chute des performances. La France ne cesse de reculer dans le classement Pisa, passant depuis 2000 des 15e et 11e rangs aux 23e et 25e en lecture et en mathématiques : plus de 40% des collégiens de sixième ne maîtrisent ni la lecture, ni l’écriture, ni le calcul. Elle touche aussi les enseignants, avec, d’un côté, la progression des démissions et la pénurie des recrutements, et, de l’autre, l’écroulement de leur niveau. Elle comporte une dimension sociétale, avec la montée des inégalités, mais aussi l’explosion de la violence dans les établissements scolaires, qu’il s’agisse de rixes entre élèves, de harcèlement ou d’agressions contre les professeurs, avec pour dernière illustration le meurtre d’une enseignante d’espagnol à Saint-Jean-de-Luz. Elle se transforme en faillite intellectuelle et morale avec la remise en cause de la famille … »

Et pourtant, il n’y a pas qu’en France  que la crise s’installe durablement dans  de nombreux domaines.

L’on note aussi une dégradation de la situation partout dans le monde à des degrés divers. L’inflation ne cesse de galoper et les prix de certains produits flambent plus que d’autres. Comment expliquer ces hausses ? Sont-elles toujours justifiées, surtout aux Antilles ?

En France, les problèmes de dettes et déficits, la stagnation des salaires, l’inflation record, les restrictions de crédits, la chute de la consommation des ménages viennent aujourd’hui considérablement redistribuer les cartes de notre société de consommation en Guadeloupe et Martinique.

L’on peut relever que déjà les Français sentent que les difficultés financières menacent de s’aggraver et donc épargnent à mort (La collecte cumulée du livret A depuis janvier s’élève ainsi à près de 20 milliards d’euros, un record pour le premier trimestre d’une année calendaire qui n’avait pas été battu depuis 2009) … Une épargne de précaution indispensable par la crise qui couvre sous les cendres … mais le hic c’est que les français trouvent dans l’excès une façon d’évacuer une vérité désagréable : la France travaille trop peu pour assurer le financement de son modèle social actuel, et le véritable danger à terme est bien la paresse, mais celle, intellectuelle, des marchands d’illusions adeptes du déni de réalité.

A pa tout chyen i japé pou ou viré dèyè gadé.

*Jean-Marie Nol est économiste

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