Opinion. L’énorme risque systémique du changement climatique pour la Guadeloupe et la Martinique

PAR JEAN-MARIE NOL*

L’ouragan Melissa, le plus puissant jamais enregistré en Jamaïque, a ravagé l’île avec des rafales atteignant 300 km/h. Face à ces « dévastations inimaginables », causés par l’ouragan, tous les experts s’accordent à mettre en cause le changement climatique, et disent que la Guadeloupe ne sera certainement pas épargnée par ce genre de puissant phénomène météorologique.

Ouragan Melissa : dévastation « à des niveaux jamais vus » en Jamaïque, selon l’ONU. L’ouragan Melissa, qui vient de frapper la Jamaïque avec une violence inédite, résonne comme un sinistre avertissement pour la Guadeloupe et la Martinique. Les images de désolation, les villes englouties, les infrastructures anéanties, les populations sinistrées rappellent combien les territoires insulaires de la Caraïbe se trouvent désormais en première ligne face au dérèglement climatique.

Selon les scientifiques de l’Imperial College de Londres, un ouragan d’une telle intensité est aujourd’hui quatre fois plus probable qu’il ne l’était avant l’ère industrielle, en raison directe du réchauffement de la planète causé par les activités humaines. Ce constat glaçant illustre un bouleversement climatique dont les conséquences pourraient être dramatiques pour les Antilles françaises si une telle catastrophe venait à s’y reproduire.

La Guadeloupe et la Martinique, déjà exposées à des aléas climatiques extrêmes, doivent s’attendre à une intensification des cyclones dans les décennies à venir. La montée des températures océaniques alimente la puissance des tempêtes tropicales, augmente la vitesse des vents, et favorise des pluies torrentielles d’une ampleur inédite.

Le scénario jamaïcain n’a donc rien d’hypothétique : il préfigure les risques auxquels ces îles devront faire face dans un futur proche. Dans un territoire déjà fragilisé par la faiblesse des réseaux électriques, la vétusté de certaines infrastructures publiques ou hospitalières, et une urbanisation souvent anarchique, les conséquences d’un ouragan de catégorie 4 ou 5 seraient littéralement dévastatrices.

Routes, logements, écoles, zones industrielles ou touristiques seraient réduits à néant, plongeant l’économie locale dans un chaos dont elle aurait les plus grandes difficultés à se relever.

Le risque n’est pas seulement environnemental, il est aussi économique et financier. Il est bon de rappeler que dans le contexte actuel, la France s’enfonce dans une spirale budgétaire dangereuse. Sa dette dépasse 3 400 milliards d’euros, les dépenses publiques absorbent 57 % du PIB, et aucune trajectoire crédible de retour à l’équilibre des comptes ne semble se dessiner.

Dans un pays fracturé, désabusé et au bord d’une crise financière de la dette, penser qu’une Guadeloupe autonome pourrait tirer son épingle du jeu ,avec de nouvelles compétences élargies, relève du mirage politique. Un désastre de l’ampleur de Melissa coûterait plusieurs milliards d’euros de réparations et de reconstructions.

Or, les collectivités locales des Antilles françaises, déjà lourdement endettées, ne disposent pas de marges budgétaires suffisantes pour faire face à un tel choc. Leur dépendance à la solidarité nationale, par le biais de l’État et de la réassurance publique, reste aujourd’hui la clé de leur survie en cas de cataclysme.

Si demain la Guadeloupe ou la Martinique choisissaient la voie de l’autonomie institutionnelle, comme certains élus le suggèrent, cette protection financière pourrait s’amenuiser, voire disparaître. Les mécanismes d’aide d’urgence, de reconstruction ou d’indemnisation des sinistrés reposent en grande partie sur la solidarité nationale et sur la puissance budgétaire de la France métropolitaine.

En s’en affranchissant, ces territoires s’exposeraient à un risque financier considérable, car aucun budget autonome, fût-il optimisé fiscalement, ne pourrait absorber les conséquences économiques, financières et sociales d’un ouragan majeur.

Les entreprises locales, déjà fragilisées par des coûts d’exploitation élevés et une dépendance au marché hexagonal, seraient les premières victimes d’une telle catastrophe. Sans un soutien massif de l’État ou de l’Europe, nombre d’entre elles ne survivraient pas à l’interruption prolongée de leurs activités, à la destruction de leurs équipements ou à l’effondrement de leurs débouchés.

Le tissu économique antillais, composé majoritairement de petites et moyennes entreprises, ne dispose pas de réserves suffisantes pour affronter des pertes durables. Quant aux assureurs, ils pourraient se retrouver dans l’incapacité d’indemniser l’ensemble des sinistrés, tant les montants en jeu dépasseraient les capacités des dispositifs classiques de couverture. L’autonomie, dans ce contexte, ne serait pas seulement un risque politique, mais un danger économique et social d’une gravité extrême.

Le professeur Ralf Toumi, directeur du Grantham Institute à Londres, le souligne : la capacité des pays à s’adapter au changement climatique a ses limites. Pour les îles de la Caraïbe, ces limites sont déjà proches. Même si l’adaptation — par le renforcement des digues, la modernisation des réseaux, la reforestation ou la rénovation des bâtiments — est essentielle, elle ne saurait suffire face à la multiplication des phénomènes extrêmes.

La seule véritable solution reste la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre. Mais cette bataille, mondiale par nature, dépasse les compétences d’un territoire isolé. C’est pourquoi la solidarité nationale et européenne demeure un rempart vital, une ligne de défense qu’il serait suicidaire d’affaiblir par des choix institutionnels hasardeux.

L’ouragan Melissa n’est pas seulement une tragédie jamaïcaine : il est un signal d’alarme pour toute la Caraïbe. Il rappelle, avec la brutalité des vents à 250 km/h et la violence des vagues submergeant les côtes, que le changement climatique n’est plus une menace abstraite mais une réalité meurtrière.

Pour la Guadeloupe et la Martinique, la question n’est plus de savoir si un tel ouragan frappera, mais quand il le fera. Et, lorsque ce jour viendra, ces îles auront besoin d’un État fort, solidaire et capable de mobiliser des moyens à la hauteur de l’urgence.

L’autonomie, dans un tel contexte, ne serait pas un progrès, mais un saut dans l’inconnu — une prise de risque majeure pour des territoires déjà exposés à tous les vents de la révolte sociale.

*Economiste et juriste en droit public 

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