Opinion. Les impacts prévisibles du changement climatique sur l’économie de la Guadeloupe : à quoi nous attendre dans les prochaines années ?

PAR JEAN-MARIE NOL*

L’économie guadeloupéenne, déjà vulnérable en raison de son insularité, de sa dépendance aux importations et de la fragilité de ses infrastructures, se trouve aujourd’hui interrogée de façon pressante à l’heure de la revendication d’autonomie face à la révolution technologique de l’intelligence artificielle et surtout au changement climatique.

Les projections scientifiques sont claires : la région Caraïbe est un « hot-spot » du réchauffement planétaire, subissant des effets plus rapides et plus intenses que la moyenne mondiale.

En Guadeloupe, la hausse des températures a déjà atteint +1,82 °C entre 2000-2024, dépassant largement la moyenne mondiale de +1,59 °C. Si la tendance se poursuit, les prévisions annoncent une augmentation supplémentaire de +1,5 à +2 °C d’ici 2050.

Ces bouleversements thermiques s’accompagnent de phénomènes extrêmes plus fréquents : vagues de chaleur multipliées par quatre depuis 1950, cyclones plus violents, sécheresses prolongées et inondations destructrices.

L’impact économique de cette dérive climatique se lit déjà dans les bilans financiers mondiaux. Les pertes liées aux événements météorologiques extrêmes dans l’Union européenne ont dépassé 487 milliards d’euros en quatre décennies.

À l’échelle mondiale, les modèles économiques anticipent jusqu’à 50 % de perte de PIB d’ici 2050 si aucune réduction significative des émissions n’est engagée. Pour la Guadeloupe, où l’économie repose sur un équilibre fragile entre tourisme, agriculture, pêche et services, un tel choc aurait des conséquences systémiques.

Les dommages directs sur les infrastructures —batiments, routes, ponts, ports, réseaux électriques — exigeraient des investissements colossaux pour être réparés, souvent dans un contexte budgétaire contraint de l’État et des collectivités locales . Les interruptions d’activité liées aux cyclones ou aux inondations entraîneraient des fermetures temporaires, voire définitives, d’entreprises, fragilisant un tissu économique déjà marqué par le chômage structurel.

Le secteur agricole, pilier historique et identitaire de l’archipel, serait parmi les plus touchés. Les sécheresses prolongées, l’irrégularité des pluies et l’augmentation des températures affecteraient directement les rendements de la canne à sucre, de la banane ,du melon et des cultures vivrières, avec un risque d’insécurité alimentaire accru et une dépendance renforcée aux importations. Les pertes agricoles ne se traduiraient pas seulement en termes de volumes, mais aussi par la dégradation de la qualité des produits, mettant en péril leur compétitivité sur les marchés d’exportation. Les pêcheurs, eux, devraient affronter le déplacement des espèces marines vers des eaux plus profondes ou plus froides, entraînant des coûts plus élevés et une baisse des captures.

Le tourisme, autre pilier économique, ne serait pas épargné. Si certaines périodes plus chaudes pourraient rallonger la saison touristique, la multiplication des phénomènes extrêmes et la dégradation des paysages côtiers en raison de l’arrivée massive de sargasses , de l’érosion et de la montée du niveau de la mer réduiraient l’attractivité globale. Les plages emblématiques, menacées par la pollution des sargasses et de la submersion marine réduisant le trait de côte , pourraient perdre leur rôle d’aimant économique, tandis que la perception accrue du risque climatique par les visiteurs entraînerait une baisse des réservations. Les investissements hôteliers, déjà fragiles, deviendraient beaucoup plus risqués et donc plus rares.

Les effets sociaux seraient tout aussi déterminants. Les interruptions de services essentiels comme l’eau et l’électricité, déjà mises à l’épreuve par les cyclones, deviendraient plus fréquentes et plus longues, pénalisant à la fois les ménages et les entreprises. L’augmentation des prix de l’eau, de l’énergie et des denrées importées exercerait une pression sur le pouvoir d’achat, renforçant les inégalités et alimentant le risque de tensions sociales.

Le scénario d’un effondrement économique local, même partiel, ne serait pas à écarter : troubles sociaux, volatilité des investissements, désengagement des assurances, accroissement des migrations internes vers la France hexagonale et perte de confiance dans les institutions pourraient constituer un cercle vicieux difficile à briser.

Pour éviter ce futur sombre, la réflexion prospective et l’adaptation deviennent une urgence stratégique. Les choix politiques, économiques et techniques qui seront faits au cours de la prochaine décennie détermineront la capacité de la Guadeloupe à résister ou à s’effondrer face aux chocs climatiques.

Cela implique de renforcer les infrastructures pour les rendre résilientes aux cyclones et aux inondations, de diversifier l’économie pour limiter la dépendance à quelques secteurs vulnérables, et de développer des systèmes agricoles adaptés aux nouvelles contraintes hydriques. Les solutions passent également par une gestion rationnelle de l’eau, la protection et la restauration des écosystèmes côtiers, ainsi qu’un investissement massif dans la prévention et l’éducation des populations aux risques climatiques.

La réalité est que le changement climatique n’est pas un horizon lointain, mais un présent qui s’accélère.

En Guadeloupe, il ne s’agit plus seulement de s’inquiéter de la hausse des températures ou de l’intensification des cyclones, mais de comprendre que ces phénomènes se traduiront immanquablement par des coûts économiques et sociaux massifs. La question n’est plus de savoir si ces impacts vont survenir, mais à quel point nous serons prêts à y faire face.

Or, dans ce contexte, le débat actuel sur un changement statutaire vers plus d’autonomie doit être abordé avec une extrême prudence. En réduisant de fait les transferts publics en provenance de la France hexagonale, un tel choix d’autonomie pourrait priver la Guadeloupe de ressources financières cruciales pour financer les plans d’adaptation, les réparations post-catastrophes et les politiques de résilience.

Une autonomie mal préparée risquerait d’aggraver la vulnérabilité économique et sociale de l’archipel au moment même où les défis climatiques atteindraient leur paroxysme. La combinaison d’un affaiblissement des liens financiers avec l’Hexagone et d’une intensification des chocs climatiques pourrait placer la Guadeloupe face à un risque historique : celui de devoir affronter seule, avec des moyens financiers très limités, une crise multiforme qui ne connaît ni frontières ni répit.

Face au double piège du climat et de l’autonomie mal préparée avec un engagement vers l’article 74 , et sans vision prospective de l’avenir la Guadeloupe risque de se retrouver totalement désemparée et isolée, à découvert, face à l’intensité de la tempête économique et financière qui se dessine pour la décennie actuelle.

 » Pa konet mové davwa sa ki an bèk aw’ pa ta’w, sa ki an fal aw’ sé ta’w.

« traduction littérale : Ce qu’on ne connait pas est mauvais, car ce qui est dans ton bec n’est pas à toi, ce qui est dans ton ventre est à toi. moralité : Il faut savoir attendre avant de croire que tout est déjà acquis et crier victoire.

*Economiste et chroniqueur 

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