Opinion. Nouvelle-Calédonie :  vers la fin du leurre constitutionnel de l’indivisibilité de la République ?

PAR DIDIER DESTOUCHES*

En soutenant récemment un mémoire sur l’histoire du droit à la différenciation dans le cadre d’une habilitation à diriger des recherches à l’université des Antilles, j’imaginais déjà à quel point l’actualité Outre-mer viendrait rapidement (et à nouveau) conforter certaines conclusions relatives à la tendance historique au fédéralisme de l’État français.

L’apport principal de notre recherche montrait ainsi de façon inédite que malgré le socle idéologique et constitutionnel d’unité et d’indivisibilité de l’État, en place depuis la Révolution de 1789, la différenciation était et demeure le véritable rhizome politique du statut et du régime juridique des Outre-mer dans le droit français.

Différentes, les terres dites d’Outre-mer ont en effet toujours été traitées constitutionnellement de façon particulière en fonction d’une dynamique politique et économique variante mais d’abord conçue par l’État, mais aussi de critères d’identification politico-culturels locaux.

L’histoire constitutionnelle des Outre-mer est fondamentalement marquée par l’ambivalence : entre inclusion proclamée et exclusion concrète, entre citoyenneté juridique et domination administrative, entre départementalisation égalitaire et maintien de hiérarchies héritées de l’ordre colonial.

La problématique du droit à la différenciation doit au regard du cas actuel calédonien, être particulièrement appréhendée sous l’angle de la théorie politique. L’une des réflexions saillantes qui en est issue est : L’indivisibilité de la République française peut-elle autoriser à rompre l’unité de la loi  en faveur d’une double citoyenneté et d’un avatar français du fédéralisme ?

À cette question, la réponse de principe était (hypocritement) non et c’est justement pour cette raison qu’une révision constitutionnelle au sujet de la Nouvelle Calédonie (comme pour les autres Outre-mer) est au-delà d’un référendum local, nécessaire. Toutefois, créer une brèche dans le principe d’indivisibilité n’est pas sans conséquence sur l’identité d’une République qui s’est construite dessus depuis 1792…

L’une des innovations récentes de la politique de différenciation, et la plus marquante fût la signature d’un accord entre le gouvernement et les élus locaux pour la mise en place d’une « collectivité européenne d’Alsace » et qui n’était principalement motivée que par « un désir d’Alsace ». L’on peut d’ailleurs comprendre ce dernier tant la suppression de la région Alsace en 2015 pouvait sembler inopportune.

Toutefois, loin d’être l’instrument pragmatique d’une décentralisation de projet prônée au départ par Emmanuel Macron, le droit à la différenciation apparaît ici comme l’outil permettant de répondre à des aspirations avant tout identitaires. Les projets en cours concernant la Bretagne ou la Savoie et surtout la Nouvelle-Calédonie, l’importance du principe dans les négociations entreprises avec les nationalistes corses, témoignent de cette volonté étatique de reconnaissance politique et constitutionnelle des identités territoriales, et par conséquent d’aveu d’échec de la politique d’assimilation républicaine.

C’est la victoire de la décolonisation par le droit… oui mais « à la différenciation ». Celui-ci lie donc reconnaissance de l’identité et de l’existence d’un peuple calédonien aux côtés du peuple français (avec une citoyenneté calédonienne), établissement d’un statut singulier (celui d’État sui généris pour la Kanaky dôté d’une existence internationale) et délégation de nombreuses compétences particulières (celles d’un État indépendant, mais garant des intérêts de l’État français et incorporé à la Constitution française). La Nouvelle-Calédonie/ Kanaky pourrait-elle devenir entièrement souveraine suite à cet accord et au référendum à venir ? Un État est considéré comme pleinement souverain « quand il obtient ce que les juristes appellent ‘la compétence de la compétence’, et donc quand il peut choisir d’exercer ses compétences comme il le souhaite ».

Certes, l’accord de Bégival précise en page 3 que « le Congrès de la Nouvelle-Calédonie pourra adopter une résolution à la majorité qualifiée de trente-six membres, demandant que soient transférées à la Nouvelle-Calédonie des compétences de nature régalienne » (comme celle de la justice par exemple, apanage des États fédéraux classiques). C’est donc très probable et la porte est grande ouverte.

L’idée d’une réponse institutionnelle à la Commonwealth britannique, aux aspirations identitaires calédoniennes s’incarnant avec cet accord dans la future création d’un statut sui généris inédit et unique, selon le professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien, au sein du droit constitutionnel pour la Nouvelle-Calédonie ; n’est pas neuve. Elle a en effet longtemps été regardée avec bienveillance voire soutenue par les constitutionnalistes ultra-marins, tout comme par des recherches en science politique.

La vie politique française paraît toutefois avoir, en la matière et comme souvent, des décennies de retard sur la recherche internationale et les constats dressés par la science politique comparative. L’on sait en effet à présent que répondre aux revendications identitaires par des évolutions institutionnelles ne conduit finalement qu’à les exacerber et les encourager. Le droit à la différenciation, véritable excroissance constitutionnelle historique en France, inaugure depuis tantôt une « décentralisation asymétrique » qui tend à encourager les forces centrifuges sur l’ensemble du territoire (Outre-mer compris).

Toute identité politique est le produit d’une action politique. Donner du pouvoir politique à des entités territoriales infra-étatiques, les conduit à réifier une identité selon le constitutionnaliste Benjamin Morel. Les recherches récentes tendent aujourd’hui à considérer l’échec de l’adaptation et à consacrer une nouvelle théorie, celle de l’empowerment local.

L’autonomie régionale en France a toujours conduit les groupes ethno-régionalistes à conforter leur position et à radicaliser leurs positions, tout en entraînant l’adhésion d’une partie du personnel politique issu des formations classiques et de l’opinion, avec pour conséquence l’émergence croisée d’une dynamique autonomiste ou sécessionniste, génératrice de crise puis de « re-contractualisation » dans la relation avec l’État central affectant fortement son caractère unitaire qui n’est en réalité qu’un véritable leurre historico-juridique.

Maître de conférence HDR à l’université des Antilles, membre du CREDDI

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