Politique. Les Haïtiens sur le grill, les chefs font passer le temps

Le président du CPT, Laurent St Cyr, a redit la volonté politique de l’équipe au pouvoir d’atteindre les objectifs de la transition.

Le président du CPT, Laurent St Cyr, a redit la volonté politique de l’équipe au pouvoir d’atteindre les objectifs de la transition.  » La volonté politique est là. Cependant, la situation sécuritaire, telle que nous la connaissons aujourd’hui, demeure le principal obstacle à la concrétisation de notre objectif : assurer une transition pacifique du pouvoir par les élections et rétablir pleinement l’ordre constitutionnel », a dit Laurent St Cyr. Mais Haïti a besoin d’aide, a-t-il une nouvelle fois insisté, lors d’une réunion du conseil de sécurité de l’ONU sur le processus politique, la mission de suppression des gangs, en remplacement de la MMAS. Le CEP a déjà recruté 70 % de son personnel, a-t-il ajouté, 22 septembre, comme pour mettre en avant la volonté de remettre le pouvoir a des élus, le 7 février 2026.

Cependant le président Laurent St Cyr n’a pas dit spécifiquement si le référendum et les élections seront réalisées ou non dans les prochaines semaines en vue de remettre le pouvoir a des élus le 7 février 2026, conformément à l’accord du 3 avril 2024. A 20 semaines et deux jours de la fin de son mandat, l’exécutif joue à l’autruche. Le conseil fait semblant d’ignorer l’éléphant dans la salle, l’impossibilité pour des raisons techniques, logistiques et sécuritaires d’organiser des consultations populaires dans les prochaines semaines.

Le CPT, entre-temps, savoure ses dernières semaines, effectue des nominations tandis que les Américains sont à la manœuvre, bien conscients des difficultés et contradictions au Conseil de sécurité pour obtenir l’autorisation de la mission de suppression des gangs, en dépit de l’appui exprimé par l’OEA, la Caricom et d’autres partenaires. « Certains pourraient encore tenter d’empêcher son adoption ou de ralentir notre réponse alors qu’Haïti en a besoin », a déclaré Christopher Landau, le secrétaire d’Etat adjoint des USA. « Il est temps d’agir, et les États-Unis demandent à tous leurs partenaires de se joindre à eux pour faire pression en faveur de cette résolution cruciale », a-t-il dit.

Le temps, les sanctions et la balkanisation d’Haïti

Encore une fois, la population d’Haïti doit prendre son mal en patience mais surtout subir l’épreuve du temps. La mission multinationale d’appui à la sécurité en Haïti (MMAS), autorisée par la résolution 2699 du conseil de sécurité, le 2 octobre 2023, après presqu’un an après la demande faite par le Premier ministre Ariel Henry. Le Premier ministre Henry, lâché par l’administration Biden qui avait dégainé l’arme des sanctions contre des personnes responsables de la violence, d’instabilité et de la corruption en Haïti, a chuté alors que Viv Ansan m mettait la zone métropolitaine a feu et à sang. Entre février et mai 2024, Viv Ansan m a massacre environ une dizaine de policiers dont 6, le 29 févier 2024, au sous-commissariat de Bon Repos, incendie des commissariats de police, attaque les prisons civiles de Port-au-Prince et de Croix-des-Bouquets, provoquant l’évasion de de 5250 détenus et consolide ses positions dans la zone métropolitaine et dans l’Artibonite.

Le Premier ministre Ariel Henry, maintenu en dehors du pays, était renvoyé, dans la solitude des chefs déchus, à l’analyse de ses ratés et manquements. Ce n’est que huit mois après, soit le 25 juin 2024, que le premier contingent de policiers kényans a débarqué sur le tarmac de l’aéroport international Toussaint Louverture, utilisable grâce à la force de persuasion de l’armée de l’air des USA. Aucun bandit n’a osé tirer sur des avions Hercule C-130 de la US Air Force. L’effectif de la MMAS, contrairement aux engagements pris par des pays membres de l’ONU, n’a jamais atteint les 2,500 membres.

La MMAS n’a pas reçu non plus l’ensemble d’équipements escomptés. C’est sur le théâtre d’opération que la vérité des faiblesses tactiques, techniques comme l’inadaptation de certains véhicules blindés au « terrain Haitien » a éclaté. Pour accommoder la MMAS, le département de la défense des USA a engagé des contractuels pour la construction de la base de la mission et pour la fourniture d’autres services aux troupes. Les USA, a rappelé récemment le chargé d’affaires Henry Wooster, « ont fourni un apport financier et en nature de 835 millions de dollars à la MMAS ».

18 mois et plus de 7 000 morts après cet « appui opérationnel » à la Police nationale d’Haïti « pour renforcer ses capacités par la planification d’opérations communes pour lutter contre les bandes et à améliorer les conditions de sécurité dans le pays », l’on s’apprête à tourner la page de la MMAS, remplacer la MMAS par une force de suppression des gangs d’un effectif escompte de 5500 personnes.

L’on ne sait pas si la mission de suppression des gangs sera ratifiée et combien de temps cela prendra. Mais il est évident que le temps perdu, gaspillé, est synonyme de morts, de destructions en Haïti. L’on sait cette fois, parallèlement à la « fatigue d’Haïti », qu’il y a d’autres points chauds, d’autres conflits en cours et des conflits potentiels en perspective. L’Otan montre ses muscles face aux incursions d’aéronefs et de drones russes en Pologne, l’attroupement de forces militaires américaines non loin du Venezuela, la mobilisation de l’armée Vénézuélienne suscite des inquiétudes quant a l’immense d’un conflit arme entre Washington et Caracas ; l’appui des principales capitales occidentales, sauf Washington a la reconnaissance de l’Etat Palestinien, l’obstination de Benjamin Netanyahu a annexe la Palestine sont autant de dossier qui peuvent éclipser Haïti, ses besoins et sa tragédie. Il faut donc sur le plan diplomatique des actions rapides et des décisions en faveur de Port-au-Prince.   

Comme pour Ariel Henry, il ne serait pas surprenant que le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé attire la foudre de la colère d’hommes d’affaires et de politiques sanctionnés par les USA. « Nous avons révoqué le statut de résident américain pour les personnes ayant travaillé avec des chefs de gangs haïtiens ou soutenu leurs activités criminelles », avait indiqué dans une vidéo Henry Wooster, le chargé d’affaires. « Si vous supportez des organisations violentes, vous ne serez pas autorisé à rester aux USA, y compris les membres de votre famille. L’époque de l’impunité est désormais terminée. Si vous entravez la sécurité ou le processus de transition politique d’Haïti, attendez-vous à des conséquences », a indiqué M. Wooster.

Il faudra attendre et voir si l’histoire, dans des conditions presque similaires à février 2024, va se répéter ou non dans les prochaines semaines. Les USA à la carotte et un petit bâton, pas encore la force de suppression des gangs de 5500 hommes souhaitée.

Ce pays balkanisé

Entre-temps, alors que le CPT et le PM Alix Didier Fils-Aimé jouent gros sur la PNH, sur la compagnie militaire privée, le rapport de force n’est pas inversé sur le terrain. En plus des massacres, des gangs, dans l’Artibonite, exposent leurs arsenaux. « Un large éventail d’armes à feu et de munitions est utilisé par les gangs criminels en Haïti. Il s’agit notamment de fusils d’assaut AKM et AR-15, tels que l’AK-308, le FN FAL, le Galil, le H&K G3, le BM59 Beretta et les fusils VZ58, selon les rapports présentés par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) au Conseil de sécurité des Nations unies. Plus récemment, les médias ont également fait état du trafic vers Haïti du fusil anti matériel Barrett M82 de calibre 5013. L’acquisition de fusils et de munitions de plus en plus gros calibre est préoccupante car des rapports antérieurs ont fait état d’un nombre croissant d’armes de 7,62 x 39 mm, 7,62 x 51 mm et 12,7 x 99 mm en Haïti, susceptibles d’infliger un plus grand nombre de victimes et d’entraîner davantage de meurtres et de blessures graves. Les experts estiment que le nombre d’armes à feu en circulation illicite dans le pays se situe entre 270 000 et 500 000. La majorité des armes en circulation seraient illégales et se trouveraient principalement entre les mains de criminels, mais aussi d’autres acteurs privés, y compris des sociétés de sécurité privées. L’utilisation de ces armes à feu a alimenté un cycle destructeur de violence en Haïti, entraînant de graves violations des droits de l’homme. La prolifération et l’utilisation d’armes et de munitions, y compris par les gangs, ont un impact significatif sur la jouissance des droits civils et politiques ainsi que des droits économiques, sociaux et culturels », peut-on dans un rapport du Haut- commissariat des nations-unies pour les droits humains sur la situation en Haiti 29 février-4 avril 2025.

« Selon l’ONUDC, malgré le renforcement de l’embargo sur les armes, le trafic d’armes et de munitions persiste et la violence armée continue d’augmenter, les gangs en Haïti obtenant des armes à feu et des munitions de plus en plus puissantes. En septembre 2024, les rapports du Groupe d’experts de l’ONU sur Haïti, établi conformément à la résolution du Conseil de sécurité S/RES/2653 (2022), ont indiqué que le renforcement de l’embargo restait faible, avec des violations régulières. Le trafic d’armes et de munitions en Haïti est lié à des dynamiques régionales et sous régionales, où les armes à feu illicites sont une préoccupation croissante. Le trafic d’armes et de munitions est souvent lié à d’autres activités des gangs, telles que le trafic de drogue, alimentant l’insécurité et la violence dans la région. Les routes de trafic vers les gangs en Haïti traversent plusieurs pays de la région des Amériques, notamment la Colombie, la République dominicaine, les États-Unis, les Bahamas et les îles Turques-et-Caïques. Selon l’ONUDC, il existe un flux persistant d’armes à feu en provenance des États Unis, en particulier de la Floride, vers Haïti. Les armes sont fréquemment acquises par le biais d’achats en « nom de paille » dans des États des États-Unis ayant des lois sur les armes plus souples et moins de restrictions d’achat. Une fois acquises, les armes à feu et les munitions sont transportées vers la Floride où elles sont dissimulées et expédiées vers Haïti. Les envois peuvent être assemblés et livrés dans des containers directement depuis les ports du sud de la Floride, les objets étant cachés dans des produits de consommation, des équipements électroniques, des doublures de vêtements, des produits alimentaires congelés, voire même dans la coque de cargos. Une faille administrative permet aux cargaisons avec des manifestes manuscrits d’une valeur inférieure à 2 500 $ de passer outre l’inspection. Les contrôles à l’exportation sont rares, la grande majorité des containers en provenance du sud de la Floride à destination d’Haïti restant non inspectés », selon ce rapport.

Les réseaux de trafiquants d’armes restent très actifs. Les services d’enquête de la sécurité intérieure des États-Unis ont saisi cette année « plus de 23 000 armes et des stupéfiants destinés à Haïti ». Ces marchandises ont une valeur totale de plus d’un million de dollars américains, a indiqué un tweet de l’ambassade des USA, vendredi 19 septembre 2025. Ni le nombre de suspects objets d’enquête. « Il s’agit d’articles (items) saisis », a confié une source à l’ambassade.   Par ailleurs, la police et la justice avaient lancé une enquête contre des trafiquants d’armes à Belladère, l’un des points d’entrées d’armes et de munitions connecté aux gangs des 400 Mawozo. 

Des vérités à affronter

Entre-temps, l’on continue de  faire semblant que dans ce pays balkanisé, partagé entre groupes criminels et d’auto-défense sur armés, la PNH et la MMAS, en l’état, avec l’appui d’une poignée de membres d’une compagnie militaire privée, réglerait le problème de sécurité, libérer les quartiers, consolider les positions, assurer la libre circulation des personnes et des biens dans le pays.

Aujourd’hui plus qu’hier, et compte tenu des enjeux, l’on ne devrait pas passer de la MMAS à une mission de suppression de gangs sans autopsie de l’échec de la MMAS qui n’avait ni les hommes ni les moyens pour réussir sa mission. Il serait également contre productif de ne pas procéder à une profonde analyse de la PNH, pour mieux comprendre sa philosophie, son organisation, ses démons. Par rapport à la PNH, le courage commande cette évaluation rigoureuse et le courage des solutions pour redresser la barre. Son audit ne peut plus être différé. Il n’est plus possible de faire comme si, de prendre que les FAD’H ne sont pas en réalité une coquille vide, a un moment ou la balkanisation du territoire se poursuit.

Feindre d’ignorer l’éléphant dans la pièce, cette course à l’armement des gangs et des brigades d’autoprotection contre les gangs place Haïti, de manière durable, dans le cercle vicieux de la violence.

Cela dit, si l’on refuse de regarder l’avenir immédiat, avec les gens et la résolution nécessaire, d’analyser cette situation, l’on comptera d’autres morts, beaucoup d’autres morts. A un moment ou à un autre, des actions devront s’imposer à nous comme : un pacte inter-haïtien pour le désarmement, la justice et la paix, la poursuite dans l’indifférence générale de la tragédie Haïtienne ou la présence d’une force internationale de maintien de la paix, de suppression des gangs ou, pire, d’occupation.

Fantasme et réalité

La dernière est moins sûre. Haïti, contrairement aux fantasmes, n’a rien de connu et de désiré à donner ou à prendre. Nous n’avons pas encore découvert de gisements de terres rares, de gisements de pétrole exploitable, de gaz naturel… elatriye.

Alors que le temps passe, que l’échec du CPT renforce le fatalisme, on ne devrait pas continuer de prétendre que des problèmes complexes se résolvent par eux-mêmes. La propension des élites à mentir, à se mentir et à mentir au peuple est sans commune mesure. Comme sous le Premier ministre Ariel Henry, l’on promet une nouvelle mission et sanctionne. L’on vit des jours à haut risque.

A ce stade, il ne serait pas inutile de rappeler que ce CPT, impopulaire, est un bricolage qui tient en place grâce à l’équilibre précaire des intérêts dans les espaces de pouvoir. A la table du pouvoir, l’on sépare, continue de séparer postes et privilèges, ignorant le tic-tac. Le tic-tac du temps. De la précarité des conditions matérielles d’existence de la population, de cette économie qui survit grâce aux milliards des transfert sans contreparties de la diaspora, de la réduction des espaces de vies dans l’Ouest, dans l’Artibonite, le Centre et aujourd’hui aux portes du Nord-Ouest ; le tic-tac d’autres massacres, d’autres déflagrations.

Source : Le Nouvelliste

Lien : https://lenouvelliste.com/article/260089/les-haitiens-sur-le-grill-les-chefs-font-passer-le-temps

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