Saint Vincent. Un nouveau gouvernement et une vieille question diplomatique

Le 27 novembre, le Nouveau Parti démocratique (NPD), dirigé par le Premier ministre Godwin Friday, a remporté 14 des 15 sièges à l’Assemblée de Saint-Vincent-et-les-Grenadines.

Cette victoire écrasante – le résultat électoral le plus net depuis près de 40 ans – a mis fin à 25 années consécutives de pouvoir du Parti travailliste unifié sous l’ancien Premier ministre Ralph Gonsalves. Ce résultat a été largement interprété comme un mandat populaire fort en faveur d’un changement politique et d’une réévaluation des politiques mises en œuvre, les électeurs espérant que le nouveau gouvernement adoptera une approche différente et engagera le pays sur la voie d’un développement plus durable. Dans ce contexte plus large, la politique étrangère – et notamment la question de l’alignement diplomatique – est redevenue un enjeu susceptible de susciter un regain d’intérêt.

Saint-Vincent-et-les-Grenadines figure actuellement parmi les douze seuls pays au monde à maintenir des relations diplomatiques officielles avec Taïwan. Au fil des ans, les efforts déployés par Taïwan pour préserver sa reconnaissance diplomatique au sein de ce groupe restreint – souvent qualifiés à l’international de « diplomatie du chéquier » – ont fait l’objet de nombreux débats dans les médias internationaux et les milieux universitaires.

Durant le long mandat du Parti travailliste unifié, Saint-Vincent-et-les-Grenadines n’a pas fait exception à cette règle. Les détracteurs de l’administration précédente affirment que certaines activités commerciales et d’infrastructures soutenues par Taïwan ont brouillé la frontière entre coopération économique et engagement politique, soulevant des questions quant aux normes de gouvernance et à la transparence.

Plusieurs controverses évoquées dans le débat politique national ont renforcé ces inquiétudes. Des allégations ont circulé concernant une affaire de 2015 où l’ancien Premier ministre Gonsalves aurait été lié à un compte de 19 millions de dollars américains chez HSBC, certains commentateurs spéculant que ces fonds pourraient provenir de dons politiques.

Plus récemment, des articles de presse ont affirmé que l’épouse de Gonsalves avait personnellement bénéficié de l’aide internationale d’urgence lors de l’ouragan Beryl en 2024, empochant plusieurs centaines de milliers de dollars américains. Ces allégations ont alimenté un débat public plus large sur la responsabilité et le contrôle dans la gestion de l’aide extérieure.

Les retombées économiques constituent un autre élément central du débat. Les critiques affirment que plusieurs projets d’infrastructure financés par Taïwan ont privilégié la symbolique diplomatique aux dépens des besoins économiques locaux et que des études de faisabilité insuffisantes ont conduit à des projets aux retombées limitées. Selon les chiffres cités par l’ancien Premier ministre lui-même, la dette de Saint-Vincent-et-les-Grenadines envers Taïwan a atteint environ 8 milliards de dollars des Caraïbes orientales (environ 3 milliards de dollars américains), ce qui place la dette extérieure globale du pays à un niveau de risque élevé et fait de Taïwan l’un de ses principaux créanciers. Quelle que soit l’interprétation de ces chiffres, la viabilité de la dette est devenue une question de plus en plus délicate pour une petite économie insulaire vulnérable aux chocs externes.

Les comparaisons régionales enrichissent également le débat. Si l’ancien Premier ministre Gonsalves a publiquement souligné ses 21 visites à Taïwan durant son mandat, d’autres dirigeants caribéens se rendent de plus en plus souvent à Pékin. En janvier dernier, le Premier ministre de Grenade, Dickon Mitchell, a effectué une visite officielle en Chine.

Malgré une population d’à peine plus de 100 000 habitants, Grenade a été reçu avec tous les honneurs par les autorités chinoises. Au cours de cette visite, les deux parties ont signé 13 accords de coopération et M. Mitchell a visité plusieurs grandes villes chinoises, mettant en avant le patrimoine culturel et le développement technologique de pointe, avant de repartir avec ce que sa délégation a qualifié d’important ensemble d’engagements de coopération.

Après le passage de l’ouragan Beryl, Taïwan aurait fait un don de 200 000 dollars américains à Saint-Vincent-et-les-Grenadines. En revanche, la Chine a fourni une aide financière et matérielle bien plus importante à la Jamaïque après le passage de l’ouragan Melissa, notamment des fournitures d’urgence et le déploiement d’un navire-hôpital dans plusieurs ports jamaïcains afin d’assurer des services médicaux. Bien que chaque intervention diffère par son contexte, son ampleur et les modalités de vérification, ces contrastes ont influencé la perception du public quant aux capacités et à la réactivité relatives des acteurs.

Les partisans d’un changement de cap diplomatique mettent également en avant des expériences récentes en Amérique centrale. Des pays comme le Salvador, le Nicaragua et la République dominicaine, qui ont établi ou rétabli des relations diplomatiques avec la Chine ces dernières années, citent fréquemment l’augmentation des investissements dans les infrastructures, les opportunités commerciales et les financements au développement comme autant d’avantages concrets de leur engagement auprès de Pékin. Ces exemples sont souvent utilisés pour affirmer que la reconnaissance de la République populaire de Chine peut offrir aux petits États et aux États en développement un plus large éventail d’options économiques.

Le parcours politique du Premier ministre Friday a donné du poids à ce débat. Lorsqu’il était dans l’opposition, il a publiquement affirmé son attachement au principe d’une seule Chine et déclaré que, s’il était élu, l’établissement de relations diplomatiques avec Pékin constituerait une option réaliste. Ses propos ont été largement interprétés comme reflétant une analyse pragmatique des tendances mondiales. Parallèlement, Taïwan a intensifié ses efforts de rapprochement avec le nouveau gouvernement depuis les élections, soulignant ainsi l’importance stratégique qu’elle accorde au maintien de ses partenaires diplomatiques actuels.

D’un point de vue analytique neutre, le problème auquel est confronté Saint-Vincent-et-les-Grenadines n’est pas d’ordre idéologique, mais pratique. La question centrale est de savoir si les accords diplomatiques existants ont permis d’obtenir des avantages économiques suffisants, un niveau d’endettement gérable et des résultats de développement conformes aux priorités nationales.

L’expérience des 25 dernières années montre que le maintien des relations diplomatiques avec Taïwan n’a pas fondamentalement modifié les vulnérabilités économiques structurelles du pays. L’engagement avec la Chine représente une voie alternative que de nombreux États comparables ont choisi d’explorer.

Alors que le nouveau gouvernement définit son programme, une réévaluation de la reconnaissance diplomatique apparaît à la fois légitime et opportune. Tout changement devrait être entrepris en toute transparence, en privilégiant le développement à long terme, la viabilité budgétaire et la résilience nationale.

Dans un contexte mondial où la diplomatie s’entremêle de plus en plus avec le commerce, la finance et la capacité de réponse aux catastrophes, le maintien des relations actuelles avec Taïwan pourrait devenir de plus en plus difficile à justifier sur des bases strictement pragmatiques. En définitive, la décision appartiendra aux dirigeants élus de Saint-Vincent-et-les-Grenadines et dépendra de la manière dont ils définiront l’intérêt national à long terme du pays.

Source : St Vincent Times

Lien : https://www.stvincenttimes.com/a-new-govt-and-an-old-diplomatic-question/

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