Après cinq années à la tête de l’académie, la rectrice Christine Gangloff-Ziegler a quitté ses fonctions. Pendant le temps de sa mission, le baromètre mis en place pour identifier les causes des – nombreuses – fermetures de classe servira de modèle à d’autres académies. En Guyane, et ailleurs.
Au bilan de votre mission en Guadeloupe, quelle l’action restera la plus emblématique ?
Christine Gangloff-Ziegler : Depuis mon arrivée, en 2020, nous avons passé des périodes parfois assez difficiles avec le Covid, les émeutes et d’autres événements qui ont affecté la scolarité des élèves. Pour assurer l’égalité des chances à l’ensemble des élèves, nous avons travaillé sur plusieurs axes, notamment la préservation du temps scolaire, qui a été mon cheval de bataille. En 2020, j’avais trouvé tellement incroyable l’alerte de parents de Sainte-Rose qui m’avaient fait remarquer que, depuis le début de l’année, leurs enfants avaient perdu 20 % du temps de classe, que j’ai voulu mettre en place un baromètre des jours de classe dans le 1e degré pour établir un suivi de la situation.
Qu’a apporté cet outil ?
Cela a permis d’identifier toutes les causes de fermeture et de voir quelles solutions pouvaient être apportées. Entre 2021 et 2022, nous avions en moyenne 7 % de perte de jours de classe. L’année suivante, nous sommes passés à 5 %, puis à 4 %, l’année d’après. Depuis la rentrée de septembre 2024, nous sommes à 2 % d’absence. L’identification des principales causes de fermeture : manque d’eau, dératisation, mouvements sociaux de l’Education nationale, dans les collectivités ou des parents d’élèves, événements climatiques…, mais aussi les non-remplacements d’enseignants absents, ont permis d’atteindre cette baisse significative. D’une école à l’autre, la situation est différente. Quand il y a une école qui a 15 % de jours de fermeture de classe, c’est prioritairement sur cette école qu’on doit travailler en direct avec les acteurs pour trouver des solutions adaptées.
Parmi les solutions apportées, l’installation de citernes par les collectivités avec le soutien de l’Etat, constitue une avancée majeure. Le fait que les établissements soient équipés de citernes permet de gagner en autonomie et évite de demander aux parents de venir chercher les enfants.
Nous avons vraiment travaillé main dans la main avec les collectivités pour faire de ce baromètre un instrument de prise de conscience par la population en Guadeloupe de ce que représentait cette perte de temps de classe. C’est l’occasion de rappeler à chacun qu’une perte d’une semaine de classe, c’est 3 % de l’année. Être absent une semaine, ce n’est jamais neutre sur la totalité d’une scolarité : quand on décide de partir en croisière en janvier, en pleine période scolaire, de partir plus tôt en vacances ou de revenir plus tard, ou encore qu’on a du mal à réveiller son enfant donc, il ne va pas à l’école, ce sont des pertes importantes.
La Guyane est en train de s’inspirer de notre baromètre des jours de classe. Cet outil est aussi très observé, au national, par l’Inspection générale, qui trouve intéressant qu’on puisse l’utiliser comme un outil de pilotage.
Nous sommes aussi en train d’expérimenter un deuxième baromètre qui est celui de l’absentéisme.


En quoi consiste-t-il ?
Au-delà des fermetures de classes pour des causes collectives, ce deuxième baromètre nous permet de suivre le parcours de l’élève pour avoir une vision sur le temps de scolarité globale de l’enfant.
Les premiers chiffres indiquent, pour le moment, une moyenne de 7 % d’absentéisme. Il y a parfois des élèves qui ont des niveaux d’apprentissage très bas parce qu’ils ont été très peu présents à l’école.
Cela explique-t-il la baisse du niveau des élèves au sein de l’académie ?
Il n’y a pas de baisse. Nous sommes plutôt en progression pour rattraper les niveaux nationaux : les équipes ont réalisé un travail très important et c’est un point de satisfaction. Les absences individuelles peuvent être un des éléments d’explication du « décrochage » par rapport au national, en sachant que les cinq académies d’Outre-Mer sont en dessous du niveau national. La troisième étape de cette réflexion sera d’évaluer l’impact de la non-scolarisation sur les résultats des élèves.
Les premiers chiffres pour Saint-Martin montrent que les élèves qui sont le plus souvent absents ont aussi les résultats les plus difficiles.
Des mouvements sociaux au manque d’eau, comment préserver l’école qui devient le réceptacle des maux de la société, particulièrement de la violence ?
L’école représente ¼ de la société avec 83 000 élèves, plus de 10 000 personnels, sans inclure les parents. L’impact d’une éducation dans une société est énorme. Dès qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas à l’école, il y a une répercussion sur l’exercice de l’activité professionnelle des parents, et sur les entreprises. L’éducation a un rôle structurant au-delà même de son rôle fondamental qui est de permettre aux enfants d’apprendre et de les porter pour leur avenir.
Concernant la violence, d’une certaine manière, l’école est aussi à l’image de la société. Ce n’est pas juste un phénomène qui touche uniquement la Guadeloupe ou la France. Il faut que tout le monde travaille sur ces questions ensemble. Il faut déjà considérer que la question de l’éducation est centrale : on va à l’école tous les jours. Et, tout le monde fait ce qu’il faut pour que les enfants aillent à l’école tous les jours : l’école doit être sanctuarisée.



Il faut aussi que les parents retrouvent leur autorité vis-à-vis des enfants. L’autorité, c’est le cadre défini par le parent : l’enfant doit apprendre que lorsqu’on dit « non », c’est « non ». Le cadre est rassurant pour l’enfant : tant qu’il n’a pas de limite, il ira chaque fois de plus en plus loin, au point que certaines situations deviennent intenables, même pour les parents, qui sont totalement dépassés par leurs enfants.
Il faut que les parents se rendent compte que la relation humaine est plus importante que les réseaux sociaux. Cela aiderait pour deux points majeurs. D’abord, la socialisation : un enfant à qui on ne parle pas est un enfant totalement désocialisé ; nous avons des élèves de Maternelle qui sont « ingérables ». L’autre aspect, c’est le niveau de lexique : nous avons des enfants qui ont un vocabulaire extrêmement pauvre parce qu’ils ont très peu parler avec leurs parents. C’est aussi le rôle de la famille de parler avec l’enfant pour qu’ils comprennent le sens des mots.
C’est un enjeu fondamental et qui n’est pas difficile à faire : il faut juste se dire qu’il y a un moment où on peut être sur son téléphone, et un autre moment, qu’on consacre à sa famille. Et, ne pas considérer que le téléphone est le gardien de l’enfant à qui on va le donner pour être tranquille.
Que fait l’Education pour combler ces lacunes ?
Nous intervenons en remédiation, mais quand les enfants sont déjà socialisés, ont déjà un bon niveau de vocabulaire, l’Education aura d’autant plus de facilités à leur faire acquérir de nouvelles connaissances aux enfants. Parfois, on part de très bas dans le niveau de connaissances des élèves.
Dans tous les domaines, il est important que chacun fasse sa part. Ce n’est qu’à cette condition que nous amènerons les enfants au meilleur niveau.
Le groupe scolaire de Bois-Sec, à Goyave, que vous avez inauguré, illustre, selon vous, un modèle de l’école de demain. Pourquoi ?

En Guadeloupe, il va falloir travailler main dans la main avec les collectivités pour définir ce que sera le paysage scolaire dans 5 ou 10 ans… À terme, il faut faire en sorte que les écoles soient sécurisées, qu’elles soient aux normes anticycloniques, antisismiques, loin des sargasses, desservies par les transports, avec la restauration scolaire…, que ce soit des écoles numériques, et qu’elles soient suffisamment grandes pour accueillir une animation pédagogique importante. C’est le cas au groupe scolaire de Bois-Sec.
Mieux les bâtiments sont armés, plus vite on peut reprendre l’activité, ce qui est fondamental. En cas de séisme, vu l’état de certaines écoles, on risque d’avoir des dégâts considérables.
Entretien : Cécilia Larney