Il s’appelle Wesley Saintilnord. Originaire de Ouanaminthe, ville qui s’est fait connaître du monde entier grâce à la prouesse collective des Haïtiens ayant construit un canal d’irrigation en 2023. Saintilnord excelle dans un domaine où peu d’Haïtiens évoluent : la biochimie cellulaire et moléculaire.
Le 24 juin 2024, un communiqué du Fonds commémoratif Jane Coffin Childs pour la recherche médicale (Fonds JCC) a annoncé la liste de ses boursiers pour l’année 2025. Parmi eux : Wesley Saintilnord. De Ouanaminthe aux plus grandes universités des États-Unis, retour sur le parcours exceptionnel de ce fils d’Haïti, qui contribue activement au développement de la science.
Ce vendredi 4 juillet, il est 11 heures à Port-au-Prince, une heure de moins à Saint-Louis, dans le Missouri, État du Midwest des États-Unis où réside Wesley Saintilnord. En temps normal, à cette heure, il serait dans son laboratoire à poursuivre ses recherches. Mais ce matin-là, il nous consacre un peu de son précieux temps pour parler de son parcours.
En effet, à la suite de l’annonce du Fonds JCC, nous avons pris contact avec lui pour une entrevue. Sans tarder, il nous a répondu favorablement, et un créneau a été fixé. Pendant plus de trois quarts d’heure, Wesley Saintilnord nous a plongé dans son enfance à Ouanaminthe, son parcours scolaire, son arrivée aux États-Unis et l‘évolution de ses travaux de recherche.
Né en Haïti, Wesley Saintilnord grandit dans une famille modeste, entouré de ses parents, de ses frères, sœurs et d’autres proches. Son enfance, bien que simple, n’a rien à envier aux plus heureuses. C’est dans ce cadre qu’il apprend ses premières leçons de vie, notamment l’importance de la générosité.
Quand vient l’âge de la scolarisation, il est inscrit dans un collège privé de sa ville, Vision Nouvelle. Il y est rapidement remarqué pour son intelligence. « À l’école, j’étais toujours attentif et j’ai bénéficié du soutien de tous. On m’a toujours appris que l’école était ma meilleure option », confie-t-il.
Après avoir terminé le premier cycle fondamental, il change d’école. Sur l’insistance de Luma Démétrius, ancien directeur de son établissement, il intègre l’Institution Univers de Ouanaminthe, fondée par un Haïtiano-Américain. Lors du concours d’admission, il se classe parmi les meilleurs. En 9e année fondamentale, il termine parmi les deux lauréats de sa classe et part pour un séjour aux États-Unis durant les vacances estivales, où il apprend l’anglais. À son retour en Haïti, il continue d’exceller.
En 2012, aux examens du baccalauréat, il est sacré lauréat du département du Nord-Est et figure parmi les lauréats nationaux. Cette performance lui ouvre les portes des universités américaines.
De Ouanaminthe aux universités américaines
Après ses études classiques, la famille Willard, qui l’avait accueilli dans le New Jersey quatre ans plus tôt l’aide à retourner aux États-Unis pour poursuivre ses études universitaires. « J’ai étudié pendant deux ans à New Jersey avant d’intégrer Berea College, grâce à une bourse complète », confie-t-il, précisant que cet établissement est l’un des plus sélectifs du pays.
C’est à Berea College que Wesley découvre la recherche scientifique. Poussé par sa curiosité, il développe une passion pour la génétique. Il entame ses premières recherches, obtient sa licence, puis intègre l’Université du Kentucky pour approfondir ses travaux. Il s’intéresse alors à l’épigénétique. Sous la supervision du Dr. Yvonne Fondufe-Mittendorf et au sein de l’Institut Van Andel, il mène des recherches qui lui permettent de démontrer, dans sa thèse intitulée « Régulateurs émergents de la chromatine en réponse à une exposition aux métaux lourds », que « l’exposition au cadmium modifie le nombre de gènes activés pendant le développement des spermatozoïdes en affectant la méthylation de l’ADN ».

Dans un autre travail, il découvre que certaines variantes d’une protéine histone associées au cancer resserrent l’enveloppement de l’ADN, modifiant ainsi l’expression des gènes. Ces recherches montrent comment « certaines expositions environnementales et altérations de la chromatine liées au cancer peuvent reprogrammer l’expression des gènes via des mécanismes épigénétiques ».
Son doctorat obtenu en mars 2024, Wesley Saintilnord intègre un programme postdoctoral à Washington University à Saint-Louis, une institution prestigieuse et renommée dans le domaine de la recherche biomédicale. Dans ce cadre, il mène des recherches sur « le rôle fonctionnel des transcrits dérivés d’éléments transposables dans la progression du cancer ».
« Je m’intéresse aux éléments transposables, qui sont des séquences encore peu étudiées », explique-t-il. Ses nouvelles recherches visent à comprendre « comment les éléments transposables (ET), des séquences d’ADN capables de se déplacer dans le génome, exploitent des voies épigénétiques conduisant à leur réactivation anormale dans les cellules cancéreuses », contribuant ainsi à la reprogrammation des profils d’expression génétique.
Boursier du Fonds JCC : une reconnaissance supplémentaire
Le 24 juin 2025, Wesley Saintilnord figure sur la liste des 29 boursiers du Fonds JCC, sélectionnés parmi plusieurs centaines de candidats, le plus grand nombre de candidatures jamais reçu par le Fonds. Le comité scientifique, dans sa présentation, souligne qu’avec l’encadrement de son mentor Dr. Ting Wang, Saintilnord analysera comment les « cellules cancéreuses détournent les ET pour réguler les gènes, et comment les transcrits produits par ces ET stimulent la tumorigenèse ».
« Les recherches de Saintilnord apporteront des connaissances fondamentales sur la biologie des ET dans les cellules cancéreuses et pourraient déboucher sur de nouvelles stratégies thérapeutiques contre les programmes oncogènes médiés par ces éléments », lit-on dans le document du Fonds.
Interrogé sur ses sentiments à l’annonce de cette distinction, Wesley Saintilnord n’y revient pas toujours. « Moi, je classe cela dans le champ du surréel. Partir de Ouanaminthe, en Haïti, sans même avoir une certaine conception de ce qu’est la recherche, et arriver à être en compétition avec les chercheurs postdoctoraux les plus prometteurs, pour être sélectionné dans un groupe aussi restreint », témoigne-t-il. Il dit avoir accueilli la nouvelle avec joie et fierté.
« J’ai grandi en Haïti, je connais la réalité. Jamais je n’aurais imaginé en arriver là, dit Wesley Saintilnord. Je conseille aux jeunes de mon pays de faire preuve de sérieux et d’excellence dans tout ce qu’ils entreprennent. Avec du travail, de la rigueur et des personnes qui vous soutiennent, il est possible d’avancer. Ce parcours ne m’a jamais paru facile, mais il a toujours été clair que je devais faire ma part. Donnez toujours le meilleur de vous-mêmes, et vous serez récompensés », les conseille-t-il.
Aujourd’hui, Wesley Saintilnord poursuit ses travaux aux États-Unis, et passe ses journées entre le laboratoire de Washington University à Saint-Louis, la lecture d’articles scientifiques et la rédaction de rapports sur ses expériences. Même loin de sa terre natale, il reste attaché à Haïti, où vivent encore ses parents, ses frères et sœurs. Il les appelle régulièrement pour garder le lien et se ressourcer. « Haïti reste une source de force pour moi. Ma famille, mes racines, la langue, tout cela reste présent, même à distance », déclare-t-il.
Grâce à cette bourse postdoctorale, Wesley Saintilnord peut poursuivre ses recherches dans un environnement scientifique de haut niveau, avec un soutien dédié sur trois ans, et espérer contribuer à l’élaboration de traitements contre le cancer. Cette année, près de 8 millions de dollars seront répartis entre les institutions universitaires de ces boursiers du Fonds Jane Coffin Childs, qui recevront une allocation sur trois ans.
Créé en 1937 par la famille Childs en mémoire de Jane Coffin Childs, le Fonds JCC s’est donné pour mission de soutenir « la recherche sur les causes et traitements du cancer ». Cette mission s’est élargie pour inclure « la recherche scientifique fondamentale visant à mieux comprendre les maladies humaines et à en découvrir les remèdes ».