Pourquoi un verre d’eau suffit pour inonder la ville des Cayes et les villes côtières d’Haïti ?

La ville des Cayes : une ville construite sur des étangs et entre deux rivières…

Dans la ville des Cayes, c’est bien la population (ou une partie) qui n’est pas à sa place. Selon Michèle Oriol, sociologue, spécialiste en aménagement du territoire, ancienne secrétaire exécutive du Comité interministériel d’aménagement du territoire (CIAT), deux raisons expliquent que la ville des Cayes est constamment inondée à chaque goutte de pluie. La première, dit-elle, est historique. « Quand on regarde les cartes coloniales… on voit bien que la ville a été construite dans une zone marécageuse où il y avait beaucoup de petits étangs, entre deux rivières, qui sont quand même des rivières importantes, avec des débordements importants. D’entrée de jeu, on savait donc que la ville avait été construite dans une zone avec un risque d’inondation important. Ce qui est le cas de pratiquement de toutes les villes côtières d’Haïti », explique Michèle Oriol.

La deuxième raison des inondations constantes de la ville des Cayes, selon Mme Oriol, est géographique. « Quand on regarde la carte, le plan de la ville des Cayes, sa dimension réelle n’est pas dans son périmètre colonial. On voit très bien que, indépendamment de la Ravine du Sud et la rivière L’Islet, il y a une multitude de petits étangs. Deux rivières historiquement cartographiées, – la rivière Renaud et la rivière Chadeaudin, sur lesquelles avec les années on avait construit –, on voit bien que l’un des éléments les plus perturbants pour la ville des Cayes, c’est la ravine Madan Samedi pour laquelle aucune solution technique n’a été proposée jusqu’à maintenant. Ça fait toute une dynamique hydraulique extrêmement particulière qu’il faudrait prendre en compte… dans la gestion de ces rivières », explique Michèle Oriol.

Interdire des constructions dans certaines zones

Les derniers grands travaux de drainage sur la ville des Cayes remontent à la présidence d’Henri Namphy, soit près de 40 ans. Or, des constructions continuent de sortir de terre un peu partout dans la ville et aux alentours. Selon Michèle Oriol, des zones doivent être décrétées non aedificandi (pas de construction). « On peut le faire avec une politique souple, c’est-à-dire en interdisant de nouvelles constructions, en donnant du temps aux gens qui se trouvent dans les zones dangereuses de déménager », pense l’ancienne responsable du CIAT qui a mené une étude sur la ville des Cayes.

« Il faut donner une structure urbaine à toute la partie non coloniale de la ville qui représente dix fois aujourd’hui la superficie de la ville coloniale. Il y a vraiment un gros travail de restructuration à faire pour la ville des Cayes », avance Mme Oriol, qui observe une ville des Cayes qui subit la pression démographique (comme les autres villes du pays) à cause de l’insécurité à Port-au-Prince. « Au lieu de se diriger vers les montagnes, les gens font le contraire en continuant de construire sur l’eau », déplore la sociologue. Les autorités ne font pas mieux. Elles ne prennent aucune décision politique en ce sens.

« Les décideurs politiques ont souvent la tentation de rien faire que de prendre des mesures qu’ils pensent être impopulaires. Ils vont avoir plus de problèmes politiques après la catastrophe que s’ils avaient pris des mesures préventives », note Michèle Oriol. Selon elle, il y a un travail de libération des anciens systèmes de drainage de la ville, de Quatre-Chemins jusqu’à la mer qui doit être fait. « Des passages d’eau qu’il faut libérer, ça devrait être la première priorité avec la gestion de la ravine Madan Samedi », dit-elle.

Carence de compétences techniques au niveau de la mairie

Les mairies ont-elles les compétences techniques nécessaires pour penser l’aménagement de leur commune ? Absolument pas. « On a beaucoup discuté avec la mairie, mais la mairie comme la plupart des institutions technocratiques, sont dépourvues de personnel qualifié. Mais je pense qu’il y a eu au cours des vingt dernières années beaucoup de techniciens étrangers de bon niveau, qui ont fait l’effort de comprendre les problèmes urbains en Haïti, qui pourraient très utilement travailler avec les responsables haïtiens », a dit Michèle Oriol. Mais tout a un coût. Qui finance ? Comment financer les interventions ?

En effet, l’Union européenne devait financer les interventions sur la ville des Cayes après les études techniques du CIAT. Ce qui n’a pas été fait, selon Michèle Oriol. « L’Etat haïtien n’a pas les ressources propres pour financer ces interventions-là, indique la sociologue. Selon moi, il ne faudrait pas se reposer sur les financements étrangers, qui sont extrêmement contraignants, volatiles. Il y avait eu de grosses promesses de financement pour la ville des Cayes qui n’ont pas été tenues par l’Union européenne. Mais il y a quelque part je pense un travail d’assainissement des finances de la ville des Cayes, une réflexion sérieuse sur les impôts locaux qui devraient permettre au moins d’aborder un certain nombre de travaux. Il ne faut pas se laisser effrayer par le coût global, il faut faire des phases. »

La spécialiste en aménagement du territoire estime que pour la ville des Cayes, si on a un cadastre bien fait, que l’impôt foncier est clairement défini, ça peut faire des rentrées d’argent importantes au niveau de la mairie. « Il y d’autres taxes locales qui pourraient être mobilisées au lieu de payer des fonctionnaires à s’asseoir quelque part dans un bureau. Cet argent pourrait servir. Il ne faut pas bureaucratiser les opérations, engager beaucoup de gens pour ne rien faire », croit la sociologue, visiblement fatiguée de voir des autorités incompétentes diriger ce pays ou des institutions importantes.

Ici, on parle des problèmes urbains après chaque catastrophe. La dernière fois, c’était après le passage de l’ouragan Melissa qui a fait 43 morts au pays. « Après les inondations, une fois que le soleil est revenu, tout le monde a oublié les problèmes », fustige Michèle Oriol. L’aménagement du territoire est un sujet de long terme, dit-elle. « C’est un travail de très long terme. Il faut avoir de la patience pour construire ce qui est à construire en sachant que les résultats viendront dans cinq ans, dans 10 ans, dans 20 ans. Ce qui est souvent incompatible avec le temps politique où l’on cherche à avoir des résultats immédiats », explique la sociologue.

Outre la ville des Cayes, toutes les villes côtières du pays ont les mêmes problèmes, sinon avec quelques nuances. Le vrai problème : la maitrise de l’eau. « Toutes les villes côtières d’Haïti sont menacées ou concernées par les inondations, affirme l’ancienne secrétaire exécutive du CIAT. Au Cap-Haïtien, ce sont des détails techniques différents. C’est la structure du pays : des montagnes qui génèrent des rivières, qui vont nécessairement à la mer, et nous, on a construit les villes au bord de la mer. Aujourd’hui, ces villes se sont étendues de façon telle que le risque d’inondation est présent partout

Valéry Daudier (Le Nouvelliste)

Lien : https://lenouvelliste.com/article/261519/pourquoi-un-verre-deau-suffit-pour-inonder-la-ville-des-cayes-et-les-villes-cotieres-dhaiti

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