Le CPT a échoué. Une analyse de Roberson Alphonse pour Le Nouvelliste.
La coalition au pouvoir depuis 18 mois n’a atteint aucun des objectifs de la transition : rétablissement de la sécurité, référendum constitutionnel et élections générales pour renouveler le personnel politique. La situation générale du pays s’est considérablement dégradée.
Près de 10 000 morts ont été dénombrés durant l’ère du CPT. Au total, plus de 16 000 personnes ont été tuées dans les violences des gangs armés en Haïti, depuis le 1er janvier 2022 à date avait confié en octobre 2025 le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Turk. Au cours de cette période, quelque 7 mille blessés ont été enregistrés, avait-il ajouté.
La liste des territoires abandonnés s’est allongée. La tragédie des violées, des déplacés, des déscolarisés, des désespérés est immense. La destruction de propriétés, d’actifs mobiliers et immobiliers, de petites, moyennes et de grandes entreprises se chiffre en milliards de dollars. La septième année de récession économique s’est traduite en appauvrissement et dépôt de bilans pour beaucoup d’entreprises.
Des alliés et opposants de feu président Jovenel Moïse, joyeux drilles, se sont retrouvés dans ce CPT. Le dépeçage de l’Etat, le partage des avantages et privilèges, l’octroi de bail et concessions un zeste scandaleux se sont poursuivis. Les pyromanes, témoins ou artisans de l’hyper armement des gangs, de la corruption décomplexée, ont enfilé leurs costumes de pompiers. Avec l’onction d’acteurs de la communauté internationale, grands opérateurs lors des discussions politiques de la Jamaïque pour décider de la gouvernance après le renvoi du Premier ministre Ariel Henry.
Le CPT, solidaire, unis dans un pacte de corruption après les trois inculpations dans le scandale de la BNC, a été toléré par la communauté internationale. Les éléments de langage évasif d’entités de la communauté internationale pour évoquer la corruption, le déficit de crédibilité de l’exécutif n’ont pas été suivi d’effet. Un blanc-seing a été donné à des indélicats. Tout au moins.
Des diplomates se sont accommodés de la situation, fréquentés des infréquentables. On a voulu préserver la transition, éviter une brutale sortie de piste. Dans les faits, des pays amis d’Haïti, inconfortables certes, ont néanmoins fourni une caution morale au pire, ont détourné le regard des actes de ces membres du CPT et ont accepté les salades d’autres conseillers présidents prompts à se référer à l’accord du 3 avril 2024 qui ne dispose d’aucun mécanisme pour remplacer les trois membres votants du CPT inculpés dans le scandale de corruption de la BNC.
Certains de ces conseillers présidentiels, qui ont fait alliance avec les inculpés, qui ont exercé des pressions pour révoquer le directeur général de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC), sont les mêmes à avoir violé l’accord du 3 avril 2024. Le ver était dans le fruit. Prétendre le contraire a toujours été d’une dangereuse cécité politique.
Mais en ces temps de grands dangers, en ces temps de lutte pour le pouvoir, des grandes manipulations, de travestissement de tout, même des évidences, il faut se redire quelques vérités. Simplement. Sèchement.
Le CPT — large coalition de représentants des partis politique et des organisations de la société civile — est d’abord responsable de son échec et des conséquences de cet échec pour des millions d’Haïtiennes et de Haïtiens. Les postures nationalistes peuvent tromper certains mais pas tous. Les délations, bonnes à savoir, n’offrent parfois que des portraits orientés de la réalité des pratiques des uns et des autres.
D’un autre côté, la communauté internationale, a un degré moindre, est co-responsable de l’échec du CPT. En partie à cause de son entêtement à recycler des éléments d’une représentation politique et économique profondément corrompus et médiocres. Les formules autant que les hommes sont à l’origine de nos errements, ratés et souffrances.
Qu’on se le dise, notre Premier ministre n’est ni un chef de guerre comme Churchill ni un réformateur. Le génie et l’expérimenté de la gestion de la chose publique qu’il n’est pas, s’est vu obliger de composer avec un gouvernement dont il n’a pas choisi les membres.
Lequel gouvernement qui compte dans ses rangs une poignée de canards boiteux, d’illustres incompétents, des anonymes et des porteurs de portefeuilles dont le seul mérite est d’être entièrement dévoué à la défense des avantages au profit de leurs clans clans ou « secteurs ». Le tribalisme politique dans un gouvernement censé être au service de la « République ». Là encore, le ver était dans le fruit.
Entre-temps, au moment où le CPT écrit les dernières pages de son histoire, la lutte pour le pouvoir entre des avares, des corrompus présumés qui veulent échapper à la justice et à toute inquisition sur la nature de leur enrichissement, le pays est une nouvelle fois exposé à des dangers.
Des dangers
Le premier est le schisme fort probable entre la présidence et le gouvernement. Les clans, fort probablement, vont se livrer une bataille de tranchées à travers leurs alliés. Mais le plus grand danger est l’oubli de notre situation et statut. Haïti est un État failli en processus de désintégration avancé fraîchement replacer sous l’égide du chapitre 7 de la charte de l’ONU. Haïti est sous surveillance. Et il est légitime d’avoir des craintes par rapport aux conséquences sur le plan sécuritaire d’une bataille politique dont le seul objectif est la prise du pouvoir. Pour le pouvoir. Pour défendre des intérêts de clans et avoir, en plus, un brevet d’impunité en poche après le 7 février 2026.
Des diplomates hyper sollicités, dont l’appui est souvent recherché, doivent sûrement partager leur surprise de la posture antiblanc et nationaliste de beaucoup d’acteurs politiques. Ils doivent ruminer la décision scandaleuse et inopportune d’accepter l’entrée au CPT d’anarchistes, de casseurs ayant noué des alliances avec les gangs pour renverser le Premier ministre Ariel Henry.
Avant le déploiement de la force de suppression des gangs au milieu du printemps prochain dans le meilleur des cas, il est juste d’agir pour la préservation de la stabilité. Il est censé éviter les aventures susceptibles de créer un vacuum potentiellement dangereux. Le pays ne peut pas revivre le choc d’après le départ du PM Ariel Henry ni prétendre que la bataille pour renverser Garry Conille n’avait pas fait assez de dégâts.
A ce stade, Haïti a des choix à faire. Le pays peut risquer l’aventure avec des politiques dont on connaît les pratiques et les motivations. L’on peut risquer un isolement qui ne dira pas son nom ou planifier dès aujourd’hui l’après CPT et la mise en place d’un gouvernement sur d’autres bases et avec des compétences et des énergies dédiées à la mission de sauvetage national. Nous vivons un temps de tous les dangers.
Source : Le Nouvelliste
Lien : https://lenouvelliste.com/article/262028/le-temps-de-tous-les-dangers


























