Opinion. Le SMGEAG, le syndicat mort-né

PAR LAURENCE MAQUIABA*

De près ou de loin, tous ceux qui ont participé à la mise en place du SMGEAG déclarent la même chose : « ce syndicat était mort-né ».
La méthode qui a conduit à la loi créant le SMGEAG, la mise en oeuvre de sa création, la gestion des ressources humaines sont le reflet à la fois de la négation de la responsabilité des élus et du refus de la prise de responsabilité de ces mêmes élus.

1 – LA LOI N°2021-513 DU 29 AVRIL 2021 RÉNOVANT LA GOUVERNANCE DES SERVICES PUBLICS D’EAU POTABLE ET D’ASSAINISSEMENT EN GUADELOUPE : DÉMONSTRATION DE NÉGATION DU PRINCIPE DE LIBRE ADMINISTRATION DES COLLECTIVITÉS.
La libre administration est un principe constitutionnel français, inscrit à l’article 72 de la Constitution, qui garantit aux collectivités territoriales (communes, départements, régions, collectivités dites d’outre-mer…) une certaine autonomie dans la gestion de leurs affaires : « les collectivités territoriales s’administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ».

Ce principe permet aux collectivités de s’organiser suivant leurs priorités et de choisir leur mode de gestion. L’Etat, lui, détermine les compétences et exerce un contrôle de légalité a posteriori.

Dans un audit de l‘IGEDD (l’Inspection Générale de l’Environnement et du Développement durable — sous l’égide du ministre en charge de l’environnement) il est clairement indiqué « qu’un projet de statuts de syndicat mixte ouvert a été proposé aux collectivités par le préfet le 18 septembre 2015 ». Ce qui montre la volonté de l’Etat de prendre la main sur le dossier de l’eau et imposer le regroupement des différents acteurs.

Cette stratégie a conduit à la dissolution du SIAEG sans que les causes profondes de sa déroute n’aient été analysées : les conditions de la DSP (délégation de service public) accordée à la multinationale qui n’ont pas été communiquées aux élus, la méconnaissance du réseau, les dysfonctionnements répétés des usines de traitement des eaux usées, les grands comptes (pour la plupart des collectivités) qui ne paient pas le service rendu, les responsabilités de l’Etat en charge de la construction et l’entretien des infrastructures de l’eau, via notamment la DDE (Direction Départementale de l’Équipement) des années 60 jusqu’aux années 2000, le gaspillage et les détournements … la liste est longue.

Cependant, il faut souligner qu’il n’y a que pour les collectivités dites d’outre-mer que l’Etat fait du chantage pour le financement des investissements nécessaires. Ainsi l’Etat impose que les collectivités se regroupent dans une entité commune pour financer la réfection du réseau.
Une position qui méconnait le principe de la libre administration et qui est une rupture de l’égalité des citoyens dont les besoins ne sont pris en compte que si leurs élus se soumettent à l’injonction de l’Etat représenté par le Préfet ? Un chantage d’autant plus scandaleux que l’eau est une ressource vitale.

Les multiples rencontres, les Commissions territoriales de l’action publique (CTAP), les annonces tonitruantes de Plan Marshall n’ayant pas réussi à faire obtempérer les élus, le Préfet Philipe GUSTIN sonne donc le glas du SIAEG avec 37 millions d’euros de dettes (dont une partie est constituée de dettes de certaines collectivités pour lesquelles le Trésorier Payeur Général n’a pas exécuté les commandements de payer). Dès ce moment, certains élus expriment des doutes sur la méthode utilisée, craignant qu’elle ne conduise à une gestion de l’eau exogène où les guadeloupéens n’auraient pas leur mot à dire.

En outrepassant les compétences des collectivités, l’Etat, avec le soutien de deux parlementaires guadeloupéens, a donc entrepris d’arriver à ses fins en faisant voter à l’Assemblée Nationale cette loi qui impose désormais à toutes les autorités organisatrices de se rassembler au sein du nouveau syndicat : le SMGEAG.

Ce mastodonte aurait pu être une bonne nouvelle, car il est constitué sans reprendre les dettes du défunt SIAEG, il prévoit une gouvernance à 4 avec l’Etat, les EPCI, le Conseil Régional, le Conseil Départemental mais les causes du précédent échec n’ayant pas été analysées, c’est une nouvelle catastrophe, qui a ruiné les régies qui fonctionnaient et qui n’en finit pas de s’enfoncer.

2 – UN ETAT POINTÉ DU DOIGT RÉGULIÈREMENT QUI SE DÉFAUSSE DE SES PROPRES RESPONSABILITÉS.

Evidemment, malgré la création de ce syndicat unique, l’Etat n’a pas investi massivement pour le remplacement du réseau qu’il a lui-même installé dans les années 60 dans un matériau inadapté à nos conditions tropicales. La cartographie du réseau est parcellaire, ce qui freine l’avancée des travaux, l’explosion démographique n’avait pas été prise en compte, il y a beaucoup de branchements sauvages.

Malgré cela, les préfets successifs se permettent de faire régulièrement la leçon aux élus sur leur inconstance sans que ces derniers ne soient gênés. Des ministres se permettent de suggérer de faire bouillir l’eau sans aucun remous sérieux. À les écouter, la Guadeloupe semble un pays étranger, déjà géré exclusivement par des autorités locales. Un pays où il n’y a pas de contrôle de légalité, sans contrôle judiciaire des tribunaux.

Les tribunaux de France décrétant quasi systématiquement des non-lieux pour les multiples plaintes des usagers visant à comprendre les responsabilités dans ce dossier. Des tribunaux qui n’ont instruit qu’une seule plainte : celle concernant la gestion du SIAEG de 2007 à 2014, sans recherche des responsabilités pour l’état désastreux du réseau et l’absence de maintenance révélée.

Les Guadeloupéens ne sont donc pas des citoyens comme les autres, car si c’était le cas, jamais une réponse telle : « c’est la compétence des élus locaux » n’aurait pu être une réponse recevable à une population qui reste parfois quelques semaines sans eau au robinet.

L’Etat s’extrait de sa propre responsabilité alors que même l’ONU s’inquiète de son incapacité à fournir aux citoyens guadeloupéens le minimum (ONU 2024). Si la gestion de l’organisation du service est de la responsabilité des élus, la mise en place du réseau, le choix de la Générale des Eaux pour l’affermage, l’opacité qui a régné, les opérations conjointes entre les organismes locaux et la DDE commandent que l’Etat mette en œuvre une politique de grands travaux pour le remplacement des réseaux, afin de réparer l’héritage qu’il a laissé.

De plus, la Guadeloupe n’est pas la seule dans cette situation. La Martinique dans une moindre mesure, la Guyane ou encore Mayotte subissent les mêmes affres. A moins de croire qu’il s’agit d’une incompétence congénitale qui frappe tous les élus des dits outremer, dès qu’il s’agit de gérer l’eau ?

Notre situation démontre tout simplement que nous ne sommes que des colonies où les droits de base ne sont pas respectés.

3 – DES ÉLUS INCAPABLES DE DÉPASSER LEURS CALENDRIERS ÉLECTORAUX POUR ENVISAGER L’INTÉRÊT COMMUN DES GUADELOUPÉENS.

La gabegie de la période Hernandez et le faste qui l’accompagnait a marqué les esprits. Les Guadeloupéens nourrissent une défiance envers leurs élus souvent accusés de détournements. En l’espèce, les élus regroupés dans le Conseil Syndical se sont engagés à agir bénévolement et ne pas recevoir de mandat du syndicat pour leur charge. Mais force est de constater qu’ils ne sont pas présents pour travailler sur le redressement de la situation.

Obnubilés par leur calendrier électoral, ils sont en service minimum quand ils ne sortent pas le martinet pour s’autoflageller : « nous ne sommes pas capables de gérer l’eau, nous ne pouvons pas demander plus de compétences ». Pire, certains ont trouvé dans les transferts de personnels, l’occasion d’alléger la masse salariale de leur collectivité en envoyant au SMGEAG des agents n’ayant aucune compétence dans les métiers de l’eau. Une véritable aubaine pour présenter des bilans à l’équilibre à l’approche des élections.

Le statut qui crée le SMGEAG est certes bancal mais force est de constater que nos élus ont fait preuve d’une apathie criminelle au vu de la situation :
– Pas de création d’une régie dédiée afin de permettre la gestion de la remise en état du réseau et la distribution par une direction opérationnelle dont c’est le métier. Au lieu de cela, ils ont accepté le rôle omnipotent du président du SMGEAG qui négocie tout : contrats des agents, financement, travaux.

–  Maltraitance des agents : les premiers mois ont vu un feuilleton aberrant mettant en scène des ressources humaines baladant les agents dans un flou délétère : perte du statut de fonctionnaire ou des acquis sociaux. Si aujourd’hui, les contrats négociés interrogent, les agents souffrent encore. Peu de visibilité sur les projets, sur le calendrier de travaux, sur le plan de formation pour faire face aux enjeux et surtout une difficulté à répondre concrètement aux demandes des clients.

–  Mise à l’écart de la Commission de surveillance représentant la voix des usagers. Si l’existence de cette commission a été l’occasion pour certains de louer le caractère novateur du syndicat, la réalité c’est que le statut du SMGEAG ne lui prévoit aucun moyen de travail, ni l’obligation de lui transmettre des éléments, ni sa participation au conseil syndical. Les représentants des usagers sont tout bonnement oubliés. Quatre ans après la naissance du SMGEAG-Titanic, les responsables politiques n’ont pas davantage de visibilité sur le réseau, la facturation est toujours problématique et le fonctionnement dispendieux.

Et quatre ans après, le fait d’utiliser le service de l’eau comme un argument électoral ne passe plus. C’est une violence de plus d’entendre ces polémiques à courte vue quand le liquide vital ne coule pas dans les robinets. Ces candidats se disqualifient eux-mêmes.

Les élus sont dans l’impossibilité d’être à la hauteur de la responsabilité confiée par leurs électeurs et de faire face ensemble à un Etat qui refuse de prendre sa part, notamment le remplacement des canalisations usées laissées en héritage. Il n’est pas trop tard pour agir enfin façon rationnelle et prévoir l’après SMGEAG. Définir une gestion opérationnelle claire, loin des enjeux politiciens, avec une projection réelle des travaux à réaliser, un investissement massif pour le traitement des eaux avant la catastrophe sanitaire annoncée.

Dans 20 ans, les mandats seront aux mains d’autres élus mais les Guadeloupéens paieront encore ces manquements désastreux.

*Membre ANG

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