Opinion. L’avenir de la Guadeloupe est suspendu à la  mutation en cours qui va changer la face du monde

PAR JEAN-MARIE NOL*

La France entre dans une zone de turbulences démographiques, économiques et technologiques dont les conséquences redessineront en profondeur l’ensemble de sa structure sociétale et son modèle économique et social.

Déjà, l’on peut noter que en 2025 la France a détruit 100 000 emplois dans le secteur privé. Ce basculement de l’emploi, que la Cour des comptes qualifie désormais de « contrainte systémique », s’annonce comme l’un des défis les plus structurants des dix prochaines années. Son effet ne restera évidemment pas cantonné à l’Hexagone : les Outre-mer, et particulièrement la Guadeloupe, fortement dépendants des transferts nationaux, vivront de plein fouet ces mutations. C’est donc l’avenir français dans son ensemble qu’il faut comprendre pour anticiper celui du territoire guadeloupéen.

Le premier bouleversement est démographique. La France vieillit rapidement et fait désormais face à une chute de la natalité qui efface l’avantage démographique dont elle se prévalait encore il y a une décennie. L’indice de fécondité, qui atteignait 2,07 enfants par femme en 1978, est tombé à 1,62 en 2024.

Le solde naturel est devenu négatif, faute de naissances suffisantes pour compenser les décès. La population française devrait culminer à 70 millions autour de 2040, avant de redescendre progressivement à 68 millions en 2050. Dans le même temps, les plus de 75 ans passeront de 7,3 à 11,2 millions, tandis que la population active (20-64 ans) chutera de 38 à 34,6 millions, soit seulement la moitié de la population totale.

Ce bouleversement pèse directement sur les finances publiques. La France a construit son modèle social sur une base simple : ce sont les travailleurs qui financent les retraités, les dépenses de santé, la solidarité nationale. Mais quand les actifs se raréfient et les retraités deviennent majoritaires, l’équilibre se fissure. Le vieillissement entraîne déjà une hausse massive des dépenses de santé et de retraite, et cette hausse n’a pas encore atteint son maximum.

Même en tenant compte de la baisse prévisible des dépenses liées à l’éducation et à la politique familiale, la part des dépenses publiques pourrait grimper à 60,8 % du PIB en 2050. Dans une économie où la croissance sera ralentie par une productivité en berne, le financement de la protection sociale deviendra un casse-tête majeur. La Cour des comptes le souligne sans détour : l’anticipation politique a été inexistante. Les textes consacrés à l’avenir budgétaire du pays évoquent les enjeux démographiques dans seulement… 0,05 % des occurrences.

Pierre Moscovici le président de la Cour des Comptes résume la situation d’une formule lapidaire : la démographie est « l’éléphant dans la pièce ».

C’est là exactement le même cas de figure en Guadeloupe.

Dans ce contexte, certains avancent que l’immigration pourrait compenser la baisse de la population active. La Cour des comptes tempère ce raisonnement : si l’immigration apporte de la main-d’œuvre, son impact sur les finances publiques reste neutre, faute d’intégration complète au marché du travail. Elle ne constitue donc ni une alternative, ni une solution miracle. Elle peut accompagner l’ajustement, mais elle ne peut ni inverser la tendance démographique, ni financer durablement le modèle social français.

À ce paysage déjà tendu s’ajoute une révolution technologique dont la vitesse dépasse les capacités d’adaptation traditionnelles. La robotisation et l’intelligence artificielle n’appartiennent plus au domaine de la prospective : elles s’imposent dans l’industrie mondiale, comme en témoignent les « dark factories » chinoises, ces usines sans lumière et presque sans ouvriers où plus de 800 robots produisent des véhicules électriques dans une obscurité quasi totale. Une Dark Factory, ou “usine noire”, est un site de production entièrement automatisé, conçu pour fonctionner sans intervention humaine continue.

Sans opérateurs présents, plus besoin d’éclairage ni climatisation : les robots travaillent littéralement dans le noir 7 jours sur 7 et 24 h sur 24. Dans ces infrastructures futuristes, l’humain ne fait plus que surveiller les machines, intervenant en cas de panne. Le coût du travail humain étant jugé trop élevé et trop sujet à l’erreur, les robots prennent le relais. Aucun humanoïde n’est encore autonome. Tous sont partiellement télécommandés, corrigés par des opérateurs humains. Mais chaque chute, chaque essai, alimente les algorithmes d’apprentissage. 2025 n’est pas l’année des robots parfaits, mais celle du coup d’envoi.

Cette logique, qui s’est diffusée massivement en Chine et au Japon , gagnera tôt ou tard l’Europe. En France, elle commence déjà à s’imposer dans des secteurs inattendus comme dans les collectivités locales : à Montceau-les-Mines, ce sont des robots qui se chargeront du nettoyage des bâtiments municipaux, et des voiries aux côtés d’équipes très réduites. Ce changement de paradigme de l’emploi qui permet de mieux simuler le changement à venir du management dans les collectivités locales et anticiper les événements du futur, comme la réduction du temps de travail et l’instauration d’un revenu universel de subsistance , à l’heure des grandes évolutions. du travail et de la technologie.

Par ailleurs, force est de souligner que lors du Forum d’investissement États-Unis-Arabie saoudite, Elon Musk a dessiné un futur où l’intelligence artificielle et la robotique bouleverseraient radicalement nos sociétés. Le milliardaire Elon Musk le patron de Tesla et de Space X prédit la fin de l’argent et du travail grâce à l’IA. Il est rejoint par Bill Gates le patron de Microsoft, selon qui l’intelligence artificielle pourrait mettre fin au travail humain dès 2035.

Cette transformation radicale pose une question fondamentale : dans une société vieillissante, avec une population active diminuée, l’automatisation sera-t-elle un problème ou une solution ? La réponse dépendra de la capacité du pays à adapter sa formation, ses protections sociales et son marché du travail. La productivité des seniors se stabilise après 45 ans, mais leur accès à la formation continue demeure très limité : seulement 35 % y ont accès, contre 57 % des 18-44 ans. Sans un effort massif pour moderniser les compétences, la France vieillissante risque d’être technologiquement dépassée, alors que les robots devraient justement compenser la baisse du nombre d’actifs.

Pour la Guadeloupe, toutes ces évolutions ne sont pas des signaux lointains : elles annoncent directement le futur du territoire avec en sus la problématique du changement climatique . Le dérèglement climatique avec des  catastrophes plus fréquentes, serait – il, le seul coupable, de cette future flambée des prix de nos assurances. Et  plus inquiétant encore, qu’en sera – t- il,  de ces territoires d’outre-mer « plus exposés aux risques(  cyclone, éruption volcanique, raz de marée, inondation,  et même sargasse..) » qui risquent de devenir « des territoires inassurables » avec toutes les conséquences économiques et financières prévisibles pour les entreprises et les particuliers ?

Pour le moment, L’archipel de la Guadeloupe dépend massivement de la solidarité nationale, de la dépense publique et de la redistribution sociale. Mais, si la France, confrontée à une démographie en déclin, à une contraction de la dépense publique, à une explosion des dépenses de vieillesse, aux affres du coût de plusieurs dizaines de milliards de la transition écologique dû au changement climatique, et aux limites de son modèle économique, est contrainte de réduire ou de réorganiser ses transferts financiers , alors la Guadeloupe ressentira immédiatement la brutalité du choc.

La contraction du nombre d’actifs en France signifie la contraction des cotisations, donc la fragilisation des retraites, des budgets étatiques, des subventions et des aides, autant de mécanismes essentiels au fonctionnement du territoire. Dans le même temps, la robotisation qui s’annonce pourrait bouleverser les secteurs économiques locaux, assécher certains emplois peu qualifiés et en créer d’autres, mais exigeant des compétences que l’île ne possède pas, et ne produit pas encore.

Ainsi, ce qui attend la France – vieillissement accéléré, tension extrême sur les finances publiques, robotisation généralisée, nécessité de réinventer la solidarité et d’adapter massivement la formation – attend aussi la Guadeloupe, avec une intensité démultipliée. Le territoire devra se préparer non seulement à suivre l’évolution française, mais à absorber ses répercussions.

Car lorsque la France tousse, la Guadeloupe s’enrhume. Et lorsque la France vieillira, robotisera et rationalisera ses dépenses, la Guadeloupe devra être prête à réinventer son propre modèle économique pour éviter d’être balayée par un mouvement historique qu’elle ne maîtrise pas.

Economiste et juriste en droit public*

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