Opinion. L’avenir de la Guadeloupe s’écrit aujourd’hui en pointillé avec le projet de budget 2026 : en conséquence des temps difficiles en perspective pour les guadeloupéens ?

PAR JEAN-MARIE NOL*

L’avenir de la Guadeloupe s’écrit aujourd’hui dans une zone grise, presque en pointillé, à mesure que se précise le projet de budget 2026, présenté à Paris comme l’un des plus contraints depuis plusieurs décennies.

Pour l’archipel, déjà confronté à une fragilité économique structurelle et à un modèle de dépendance financière profondément enraciné, la perspective est lourde de conséquences. Car derrière les chiffres, les rapports et les discours institutionnels, une réalité s’impose avec une netteté croissante : la France, étranglée par sa dette, devrait entrer prochainement dans une ère de rigueur dont l’outre-mer risque de faire les frais plus brutalement que tout autre territoire.

Les fondamentaux sont connus mais rarement pleinement assumés : les collectivités guadeloupéennes peinent à équilibrer leurs budgets, accumulent les dettes et dépendent d’un État qui, lui-même, voit ses marges de manœuvre se réduire à grande vitesse. Dans un monde secoué par des crises financières récurrentes, et alors même que le FMI constate une résorption des risques à court terme mais une aggravation préoccupante des vulnérabilités à moyen terme, notamment la question de la dette privée, imaginer que la Guadeloupe pourrait soudain s’autosuffire relève de l’illusion. Avec un tissu économique étroit, une base fiscale limitée et une dépendance extrême aux flux de transferts publics, l’archipel reste exposé à un choc budgétaire qu’il n’aura pas les moyens d’amortir.

À l’échelle nationale française , le diagnostic est sans appel. L’édition 2025 de l’enquête Fractures françaises dresse le portrait d’un pays submergé par un empilement de crises – économiques, sociales, identitaires, environnementales, géopolitiques et même institutionnelles – formant une sorte d’instabilité chronique où l’opinion semble rétive à l’effort et aux sacrifices, car attachée au maintien d’un modèle social devenu pourtant financièrement intenable. Mais les faits sont têtus : un État en déficit permanent qui ne réduit pas ses dettes finit par ne plus pouvoir financer ses dépenses essentielles. La France ne peut se permettre ni le défaut, ni l’inaction, ni l’esquive politique.

Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, l’a rappelé avec une clarté inhabituelle : partir de 5,4 % de déficit public en 2024 et atteindre 3 % en 2029 est une obligation autant européenne qu’économique. Stabiliser la dette n’est possible qu’à cette condition, et cela nécessite une réduction immédiate et significative du déficit. Le chemin, dit-il, doit être parcouru par quart chaque année. Or, dès 2025, les cibles ne seront probablement pas atteintes. Cette situation rend la France vulnérable : elle est devenue la lanterne rouge en Europe, étant le pays qui paie le plus cher pour se refinancer. Les intérêts de la dette étranglent déjà les marges de manœuvre de l’État et étouffent sa capacité à investir dans l’avenir.

La France doit réduire son déficit de 120 milliards d’euros pour stabiliser sa dette. L’ampleur historique de cet effort se traduira inévitablement, selon une note du think tank Terra Nova, par la hausse d’un impôt comme la TVA touchant tous les Français. C’est un effort de 3.000 à 4.000 euros par ménage et par an » : et c’est pourquoi le redressement budgétaire n’épargnera personne et certainement pas l’outre-mer. Vu l’état catastrophique des finances publiques, tous les Français vont devoir passer à la caisse. C’est la conclusion sans fard de cette note de Terra Nova publiée ce lundi et signée par Guillaume Hannezo, professeur associé à l’Ecole normale supérieure et ancien conseiller économique de François Mitterrand.

Le signal le plus inquiétant est sans doute celui-ci : en 2025, pour la première fois de son histoire, la France consacrera davantage d’argent au paiement des intérêts de la dette (66 milliards d’euros) qu’au financement de l’enseignement scolaire (64,3 milliards). Une bascule symbolique, mais surtout stratégique. En 2029, la charge pourrait atteindre 107 milliards, soit l’équivalent cumulé de budgets entiers consacrés à l’éducation, à la recherche, à l’enseignement supérieur et à la transition écologique. C’est toute la hiérarchie des priorités publiques qui se trouve inversée. Et lorsque l’État doit arbitrer, l’outre-mer apparaît trop souvent comme une variable d’ajustement.

Cet étouffement budgétaire trouve sa source dans une structure de dépense publique dont la dérive est désormais incontrôlée. Sur les 1 600 milliards d’euros dépensés chaque année, plus de la moitié – 888 milliards – est absorbée par la protection sociale. Le vieillissement démographique, combiné à un système de retraite et de santé très généreux, alimente une dynamique explosive : 324 milliards pour la santé, 400 milliards pour les retraites. Ces masses financières profitent majoritairement aux générations les plus âgées, tandis que les dispositifs destinés à la jeunesse stagnent ou régressent. Les budgets qui devraient préparer l’avenir – service civique, mentorat, pass culture ou sport, contrats d’engagement – sont sacrifiés pour maintenir des prestations dont le coût électoral d’une réforme semble trop élevé.

Cette logique porte un nom : une fuite en avant générationnelle. Plus des deux tiers de la dette publique – environ 2 000 milliards d’euros – correspondent à des prestations sociales déjà consommées, payées à crédit. Les jeunes, en France comme en Guadeloupe, n’en ont pas bénéficié et devront pourtant les rembourser. L’injustice est flagrante. Un jeune sur six est aujourd’hui NEET, ni en formation, ni en emploi, ni en études. Un sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. L’archipel n’échappe pas à cette dynamique ; elle y est même aggravée par les difficultés structurelles du marché du travail, le coût de la vie, la fragilité de l’appareil productif et l’absence d’opportunités professionnelles durables.

Dans ce contexte, l’adoption du budget de la Sécurité sociale, loin d’être un signal de redressement, ajoute encore 24 milliards de dette supplémentaire. Le déficit restera supérieur à 19 milliards d’euros prévu en 2026. Malgré les mises en garde de la Cour des comptes et des institutions européennes, l’État creuse un gouffre dont les conséquences frapperont d’abord les territoires les plus dépendants des transferts publics, dont la Guadeloupe fait partie.

L’illusion selon laquelle un déficit annuel proche de 5 % pourrait être maintenu indéfiniment est dangereuse. Les taux d’intérêt ne reviendront probablement pas aux niveaux exceptionnellement bas de la décennie passée. Le risque est désormais celui d’une spirale où le coût de la dette absorbe l’essentiel des ressources publiques, privant le pays de tout levier d’action. Pour les outre-mer, cela signifie moins d’investissements dans l’éducation, la formation, le logement, l’innovation, les infrastructures et l’adaptation climatique, pourtant indispensables pour affronter les mutations à venir.

La Guadeloupe se trouve donc face à une double contrainte : un État affaibli, incapable de maintenir le niveau de soutien financier auquel l’archipel a été habitué, et une économie locale insuffisamment robuste pour amortir seule le choc. À long terme, le coût de l’inaction sera infiniment plus élevé que celui de l’investissement. Miser sur la jeunesse, repenser les priorités budgétaires, moderniser les politiques publiques, cesser de sacrifier l’avenir au présent : ce sont là les choix nécessaires, mais encore largement différés.

L’histoire jugera sévèrement cette incapacité à regarder la réalité en face. Une nation qui ne prépare pas sa jeunesse renonce volontairement à son avenir. Une région qui ne construit pas son modèle économique autour de la formation, de la diversification agricole voire énergétique et de l’innovation se condamne à la stagnation. Le véritable enjeu pour la Guadeloupe n’est donc ni seulement institutionnel ni strictement budgétaire : il est stratégique. Il s’agit de bâtir, enfin, un modèle économique de production résilient, capable de promouvoir la production locale et supporter les mutations technologiques, démographiques et environnementales du siècle. Un modèle qui renforce les compétences, valorise les talents locaux, stabilise l’économie, modernise la gouvernance et réduit la dépendance aux importations et transferts publics.

L’heure n’est plus aux slogans mais aux décisions courageuses, car le budget 2026 n’est pas une alerte isolée : c’est l’annonce d’un changement d’ère. Et la Guadeloupe, plus que jamais, devra décider si elle veut subir cette nouvelle réalité ou s’y préparer lucidement.

“Le pessimiste se plaint du vent, l’optimiste espère qu’il va changer, le réaliste ajuste ses voiles.” …De William Arthur Ward

*Economiste et juriste en droit public 

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