Hermann Estimphil, l’artisan qui fait porter le cuir « made in Haiti »

Hermann Estimphil fait figure de survivant dans l’artisanat du cuir en Haïti. Grand habitué d’Artisanat en Fête, Le Nouvelliste l’a rencontré autour de son métier lors de la 19e édition de la foire.

Fondateur de la compagnie Hermann Shoes, Hermann Estimphil, participe à Artisanat en Fête depuis 2012 et avec le temps il n’a pas renoncé à ce rendez-vous. Spécialisé dans la confection de souliers, sandales, sacs à main et ceintures, M. Estimphil pratique son métier avec la même patience et la même rigueur qu’il cultive depuis plus de quatre décennies. Un parcours forgé très tôt, à une époque où la cordonnerie occupait encore une place centrale dans la vie économique et sociale du pays.

Sa rencontre avec le métier remonte à 1979. Il n’était alors qu’écolier. Après les cours, le jeune Hermann se rendait à l’atelier de son frère aîné, spécialisé dans la fabrication de sandales. D’abord simple observateur, il se laisse peu à peu happer par le geste artisanal. La curiosité devient passion, la passion se transforme en apprentissage. Sous la direction de son frère, le jeune Hermann apprend à fabriquer des sandales, avant d’élargir progressivement son savoir-faire à la confection de souliers.

Conscient de la nécessité de se former, Herman Estimphil poursuit son apprentissage au centre de formation en cordonnerie de Delmas 6, une institution aujourd’hui disparue mais qui, à l’époque, jouait un rôle clé dans la transmission du métier. « C’est là que j’ai consolidé mes compétences et fait de la cordonnerie non seulement un art, mais une profession à part entière », a expliqué M. Estimphil. Depuis, il n’a jamais cessé d’exercer.

Nostalgique, Hermann Estimphil se souvient d’une époque où le métier avait encore la cote au pays. « Les artisans cordonniers étaient régulièrement sollicités pour chausser adultes et enfants, et malgré la présence de produits importés, une certaine volonté politique permettait encore de protéger la production locale. Mais cette dynamique s’est progressivement effritée. La friperie, les souliers de seconde ou de troisième main et l’absence de mesures de protection ont envahi le marché, fragilisant durablement le secteur », a-t-il déploré.

Selon M. Estimphil, à l’heure actuelle, la cordonnerie est un métier en voie de disparition en Haïti. « Beaucoup s’étonnent encore de rencontrer quelqu’un qui le pratique toujours », a témoigné Herman Estimphil, qui dit tenir bon. Par attachement, certes, mais aussi par dignité.

« C’est grâce à ce métier que j’ai gagné ma vie et élevé mes neuf enfants. Je compte parmi mes enfants un juriste, un sociologue…», dit-t-il avec fierté.

Aux difficultés structurelles qui menacent la pratique du métier s’ajoutent des contraintes conjoncturelles majeures. La fabrication de souliers et d’articles en cuir dépend de l’approvisionnement en matières premières, devenu complexe. Autrefois, Mariani constituait un marché réputé pour l’achat de cuir. Aujourd’hui, l’insécurité a fait fuir la majorité des fournisseurs. Les alternatives existent, mais elles sont limitées, tant en volume qu’en capacité de livraison. La rareté des matériaux entraîne une hausse des coûts, que l’artisan absorbe tant bien que mal.

Pour Herman Estimphil, le principal problème de l’artisan haïtien ne réside pourtant pas dans la capacité de production. « Nous savons produire. Ce qui fait défaut, c’est l’accompagnement pour écouler les produits et accéder à d’autres marchés. Malgré une production importante, les débouchés restent rares. Les foires artisanales, comme Artisanat en Fête, offrent une visibilité ponctuelle, mais insuffisante pour assurer la pérennité d’une entreprise artisanale », a affirmé le PDG d’Hermann Shoes.

Sur le plan de la qualité, en revanche, Hermann Shoes n’a rien à envier aux productions étrangères, a assuré M. Estimphil. Standardisation, finition, durabilité : Hermann Estimphil peut se vanter avoir franchi ce cap avec constance et dit recevoir assez souvent les félicitations de ses clients. Il ne vend pas un objet inachevé, mais un produit fini, pensé pour durer.

La transmission demeure cependant un défi. Bien qu’il possède les connaissances et l’expérience, le manque d’encadrement et de structures limite sa capacité à former la relève. Autrefois propriétaire d’un grand atelier à Sans-Fil, Herman Estimphil a dû fermer boutique à cause de l’insécurité. Aujourd’hui, ses produits sont stockés faute d’espace adéquat. Aussi a-t-il fait savoir, tous les produits présentés lors de l’édition 2025 d’Artisanat en Fête ont été confectionnés pour l’événement.

Hermann Estimphil est le portrait de l’artisan debout, témoin d’un savoir-faire menacé mais encore vivant. Son parcours raconte moins une nostalgie qu’un combat silencieux : celui de la survie d’un métier et d’une économie artisanale qui ne demande qu’à être soutenue. Grâce à ses efforts, Hermann contribue à offrir au grand public une gamme variée de produit fabriqué à partir du cuir et surtout de produit « Made in Haiti ».

Source : Le Nouvelliste

Lien : https://lenouvelliste.com/article/262907/hermann-estimphil-lartisan-qui-fait-porter-le-cuir-made-in-haiti

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