Finances publiques. « Les territoires ultramarins ne sont pas condamnés à la difficulté »

Patrick Barbaste.

Le président des chambres régionales et territoriales des comptes des Antilles et de la Guyane, Patrick Barbaste, conseiller référendaire de la Cour des Comptes, a pris ses fonctions le 1er décembre 2021. Interview.

Vous êtes président d’une chambre régionale et territoriale des comptes Antilles-Guyane. Les magistrats travaillent sur une zone étendue, de Marigot à Cayenne. Comment vous organisez-vous ?

La chambre, ou plutôt les chambres régionales des comptes de Guadeloupe et de Martinique et les chambres territoriales des comptes de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, puisque on couvre chaque ressort différent, sont en fait positionnées en Guadeloupe. A partir de la Guadeloupe, nous rayonnons sur l’ensemble de ces territoires qui sont, comme vous le savez, plus ou moins éloignés de la Guadeloupe, mais nous avons l’objectif d’être présents dans tous ces territoires. Notre programmation minimum comporte 40 à 50% de contrôles qui sont faits sur la Martinique, la Guyane, Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Cette année, en 2022, un peu plus d’ailleurs que la proportion actuelle, de façon à bien couvrir l’ensemble de ces territoires et aborder les problématiques qui sont spécifiques à chacun de ces territoires dans la gestion des collectivités locales mais également des hôpitaux. 

Quels sont, justement, les établissements contrôlés ?

Toutes les structures publiques qui dépendent de financements locaux mais aussi des structures privées puisqu’on intervient sur les sociétés publiques locales, les sociétés économiques, mais aussi tout le réseau associatif qui bénéficie de financements locaux. 
De fait, nous ne contrôlons pas toutes les structures car nos moyens sont quand même assez restreints. 

Combien êtes-vous ?

Nous sommes une petite institution d’une trentaine de personnes, dont 8 magistrats rapporteurs qui font vraiment les contrôles, une dizaine de vérificateurs qui les assistent dans cet exercice et, comme ça se passe dans l’ensemble du territoire français, les actions des chambres régionales des comptes sont faites de façon approfondie pour voir comment les politiques publiques sont financées, gérées, comment le service est rendu réellement à l’usager. 

C’est le préfet qui déclenche l’action. 

Pour ce qui est des collectivités, oui. Pour les autres établissements, nous sommes totalement indépendants. Personne ne peut nous inciter à choisir tel contrôle ou tel autre contrôle. Notre décision de choisir tel ou tel établissement se fait dans le cadre de ce qu’on appelle un exercice de programmation qui est propre à chaque juridiction. L’on établit notre programme de travail et, par le biais de ce contrôle, on va évidemment regarder tous les aspects du contrôle, de gestion, mais pas seulement financière. On va regarder concrètement comment, par exemple, le service de restauration scolaire fonctionne, combien de repas sont fournis, si on a bien suivi les prescriptions sanitaires et d’hygiène. On regarde s’il y a satisfaction ou pas de l’usager. On va regarder ces aspects-là aussi, mais, au travers de ce contrôle, on est également conduit à relever parfois, mais pas systématiquement évidemment, mais parfois, des choses qui relèvent des juridictions pénales.

Comment cela ?

C’est à dire que, dans le cadre de ce contrôle, on peut étudier, de façon plus approfondie, les pratiques des uns et des autres et, éventuellement, relever des malversations, des conflits d’intérêts. Si ce n’est pas systématique, c’est notre rôle aussi également de relever ces problèmes. Et tout l’enjeu dans ces régions, c’est de développer ce type de contrôle.

Vous contrôlez surtout les collectivités. 

Oui, mais pas seulement, comme vous le voyez. Nos contrôles concernent évidemment en premier lieu les collectivités territoriales et les établissements publics, les hôpitaux. L’année dernière, nous sommes entrés dans une période charnière pour les juridictions financières puisque nos missions évoluent, celles dont je viens de parler deviennent vraiment le socle de nos contrôles. Il faut absolument qu’elles puissent se développer parce que ce sont celles qui apportent le plus de remarques et de réflexion, de constats sur la gestion structurelle des collectivités.

Ce sont celles qui peuvent permettre d’identifier les leviers dans la gestion, ce sont celles qui peuvent dénoncer aussi de façon plus approfondie les problèmes que rencontre la gestion du gestionnaire public et surtout qui peut insister sur la dégradation ou le mauvais service rendu à l’usager. Donc, nous sommes, de ce point de vue-là, dans une période charnière. Cette mission est d’autant plus importante maintenant qu’elle va devoir aussi se conduire dans un temps plus rapide.

Éclairer la gestion locale, la décision locale. On va voir attribuer maintenant aux chambres régionales des comptes comme à la Cour des Comptes, une mission d’évaluation des politiques publiques. La loi 3D vient d’être adoptée, qui nous confie cette mission. Nous allons avoir un nouveau type de mission qui va nous occuper.

Quelles seront ces nouvelles missions ? 

On va pouvoir, par exemple, regarder comment le service du transport collectif fonctionne. Voir comment, éventuellement, les aides économiques dispensées soit par la Collectivité territoriale, le Conseil territorial, par exemple, servent à quelque chose et si elles parviennent bien à remplir les objectifs qui leur sont conférés. Bien sûr, nous avons toujours le contrôle budgétaire qui est, comme je le disais tout à l’heure, une des spécificités quand même des Antilles-Guyane puisqu’on réalise plus d’une trentaine de pour cent de l’activité de l’ensemble des chambres régionales des comptes de toute la France. 

Cette mission-là continue évidemment, toujours confiée à la chambre par la loi. Mais, nous allons essayer de la rendre de façon plus ramassée et surtout de façon à nous permettre de faire des actions plus structurelles. Parce que je pense que, dans ces territoires, c’est important qu’une institution comme la nôtre, qui est reconnue, qui est impartiale, qui est neutre, apporte son éclairage sur les leviers de la gestion locale pour l’améliorer et découvre effectivement d’autres moyens de rendre plus performante cette gestion locale, tout en soulignant évidemment parfois les difficultés, les choses qui ne fonctionnent pas. On peut s’inscrire dans une démarche plus vertueuse et, de ce point de vue-là, les remarques des chambres régionales des comptes, les recommandations qu’elles font, peuvent vraiment servir à l’amélioration de la gestion locale. 

On remarque que la plupart des collectivités locales sont en déficit. Pour ne pas dire 90% d’entre elles…

Oui, il y a un problème. Dans ces régions-là, c’est un problème, proche de ce que l’on peut voir à la Réunion, à Mayotte et beaucoup moins en France métropolitaine, c’est vrai. Néanmoins, il se trouve aussi dans des régions métropolitaines des situations qui sont très délicates. Il y a des exemples historiques, je dirais, de collectivités qui n’arrivent pas à équilibrer leur budget. Mais, il y a des collectivités qui sortent des plans de redressement dans tous les territoires ultramarins, et en particulier aux Antilles, ce qui veut dire que le déficit n’est pas une fatalité. Il n’y a pas de raison que, petit à petit, on ne retrouve pas un équilibre budgétaire du moment que l’on maîtrise ses charges de façon à pouvoir réellement conduire les politiques.

Le Guadeloupéen comme le Martiniquais a besoin de se déplacer en transport en commun, a besoin pour ses enfants d’avoir une restauration collective correcte. Enfin, tous les services publics qui sont la raison d’être du financement public. On ne verse pas des impôts pour le plaisir ! Il y a des impôts pour que les routes soient bien entretenues, que les transports fonctionnent bien. Donc tout ça, ça peut s’améliorer. Il y a déjà des choses qui fonctionnent et je pense que c’est important pour les juridictions financières de dire aussi qu’il y a des choses qui fonctionnent parce que ce n’est pas une fatalité, ces déficits.

Les territoires ultramarins ne sont pas condamnés à la difficulté, ce n’est pas vrai. Il y a des collectivités qui arrivent à gérer avec l’équilibre financier, qui font les efforts nécessaires pour maîtriser leurs charges et ça, il faut le souligner. A côté de cela, comme vous le dites, il y a encore beaucoup de collectivités qui rencontrent des difficultés qui sont liées à des situations structurelles, c’est indéniable. 

Pourquoi ? 

Le problème récurrent c’est une trop grosse charge de personnels. Les collectivités peuvent réduire leurs effectifs, en n’embauchant finalement que le personnel qui est nécessaire, en se focalisant sur les services qui sont importants, utiles, déterminants pour la population. Et puis il y a, on le voit, la problématique de l’eau et de l’assainissement. Pour l’assainissement, les déchets en Martinique, l’eau en Guadeloupe. Ce sont des problèmes vraiment très lourds qui relèvent de la gestion des communautés d’agglomération. 

Comment redresser ces situations ? Les élus se plaignent souvent que l’Etat leur a confié des missions sans enveloppe budgétaire dédiée.

Les territoires ultramarins ont la particularité de recevoir en moyenne plus de financements que les territoires hexagonaux. Donc, en termes de moyens, je pense que les collectivités ultramarines ne sont pas dépourvues de dotations. Cependant, la caractéristique des territoires comme les Antilles et la Guyane c’est qu’on a une situation où la richesse fiscale est quand même faible. Contrairement à la France métropolitaine, on n’a pas forcément des contribuables fortunés qui sont imposables à des niveaux élevés, donc il y a une richesse fiscale moindre.

Mais, il y a une petite réserve, c’est évidemment l’Octroi de mer qui est quand même très spécifique aux territoires ultramarins et qui rapporte quand même des ressources très importantes. On a aussi cette problématique de la tarification des services publics, comme l’eau et l’assainissement. Tous les usagers ne paient pas, les compteurs ne sont pas installés partout.

L’objectif de la nouvelle structure, ce syndicat au niveau de la Guadeloupe, pour l’eau et l’assainissement, c’est justement d’assurer petit à petit un réseau plus fiable, une tarification qui sera correctement appliquée, pour que les usagers de l’eau paient leur juste part et que le réseau fonctionne en délivrant de l’eau en quantité et en qualité, ce qui n’est pas toujours aujourd’hui le cas.

Avez-vous le sentiment d’être suivis dans vos avis ?

Nous, magistrats de la chambre des comptes, nous sommes les seuls finalement à pouvoir regarder les choses de façon rapprochée. Les seuls à pouvoir dire de façon publique ce qui va, ce qui va mal. Oui, nous le disons et sommes crédibles parce que nous nous appuyons pour rendre des avis sur des magistrats et des équipes de vérification qui sont très formés, qui sont d’excellent niveau.

Ces magistrats vont pouvoir regarder les choses comme des experts et apporter une parole publique sur la situation de la collectivité que l’on contrôle ou de l’hôpital qu’on contrôle. Et cette parole publique doit servir à améliorer la gestion. Elle doit servir surtout aussi aux citoyens, aux usagers, pour qu’ils connaissent l’état de la gestion de la collectivité et qu’ils en tirent les conclusions qu’ils veulent en tirer. 

Mais, et je pense que mes collègues magistrats seront de mon avis, il faut comparer ce qui est comparable. On ne doit pas comparer les collectivités des Antilles et de la Guyane aux collectivités de l’Hexagone. Il y a des problèmes structurels comme l’éloignement. Et puis, ces départements-régions sont petits, peu peuplés. Donc, les problèmes ne sont pas les mêmes. Il faut en tenir compte quand on analyse les situations budgétaires, les pratiques. Cependant, il ne faut jamais oublier que l’usager est le principal souci qui doit nous animer. 

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