Haïti. Budget de guerre : des millions inutilisés, la gouvernance au cœur du blocage

Alors que l’insécurité continue de ravager le pays, des dizaines de millions de dollars alloués à la Police nationale d’Haïti (PNH) restent non décaissés. Pour l’économiste Kesner Pharel, invité à Panel Magik le 8 août 2025, ce n’est pas un problème de ressources mais de gouvernance et de capacité d’exécution.

Le « budget de guerre », une réponse à la crise sécuritaire persistante, visait à allouer davantage de ressources aux institutions chargées de la sécurité, notamment la Police nationale d’Haïti (PNH) et les forces armées. L’objectif : renforcer les capacités de réponse de l’État face à la montée de la violence des gangs armés. Mais, malgré cet effort budgétaire, une large partie des fonds reste inutilisée.

Environ 26 à 29 millions de dollars américains prévus dans le budget de la PNH n’ont toujours pas été utilisés, selon une source fiable. Cette somme reste bloquée alors que le pays fait face à une situation sécuritaire critique. Pour Kesner Pharel, économiste, le cœur du problème n’est pas l’argent, mais l’incapacité à le dépenser efficacement. « Faire un budget, c’est une chose. C’est une prévision. Mais l’exécuter en est une toute autre », affirme-t-il.

L’exécution budgétaire repose sur un ensemble de processus complexes : passation de marchés publics, respect des procédures, capacité logistique, et gestion administrative. Et c’est à ce niveau que les institutions haïtiennes peinent à suivre. « Lorsque le ministère des Finances collecte les fonds et les met à disposition, la gestion devient problématique pour plusieurs secteurs. Nous ne sommes même pas certains que la PNH ait la capacité de gérer ces fonds. Il en va de même pour l’armée », ajoute-t-il.

Malgré les réallocations budgétaires en faveur des forces de sécurité, police nationale et forces armées ayant reçu la plus grande part du budget rectificatif, la situation sécuritaire ne s’améliore pas, faute de capacité à exécuter ces montants. « On pourrait mettre la totalité du budget entre les mains de ces deux institutions, cela ne changerait rien si elles ne peuvent pas l’exécuter », souligne  Kesner Pharel.

Il précise qu’au-delà de la mobilisation de fonds, il faut penser à la chaîne logistique, au respect des procédures, à la rentabilité des marchés passés, et à la transparence. « Porter une arme ne suffit pas. Il faut aussi organiser la logistique, passer les marchés, choisir les options les plus rentables ».

Gouvernance, stratégie et capacités humaines en cause

Ainsi, le problème est un problème de gouvernance et non de ressources. Fritz Jean lui-même reconnaît qu’il y a un problème d’absorption. Le soutien technique et la gestion des ressources humaines sont indispensables à tous les niveaux. Aussi, le véritable nœud du blocage n’est pas l’arme, mais la stratégie et la capacité.

Selon Pharel, « on devrait être en phase d’exécution et non de planification, comme l’envoi de policiers en formation au Brésil après plusieurs mois ». Il voit dans cette décision une mauvaise évaluation de la part du chef de l’État sortant, Fritz Jean. « Son narratif ne correspond pas à l’attente de la population ni à ses besoins actuels », estime-t-il.

Pour autant, tout n’est pas noir. Sur le plan des recettes courantes, le gouvernement a encaissé 65 % des montants prévus, tandis que plus de 60 % des dépenses courantes ont été exécutées. En ce qui concerne la masse salariale, qui dépasse les 100 milliards de gourdes, le taux d’exécution atteint 68 %. « C’est l’un des meilleurs taux d’exécution qu’on ait vus », commente Pharel.
D’où l’absence de grève et de manifestations : les employés sont payés.

Mais si les dépenses courantes dépassent la moitié en termes d’exécution, il n’en est pas de même pour les dépenses d’investissement, qui stagnent autour de 26 % en moyenne. « Il est plus facile de réaliser les dépenses courantes que les dépenses d’investissement. Pourtant, ces dernières sont cruciales dans le contexte actuel », poursuit-il, en soulignant les nombreuses infrastructures perdues. L’insécurité persistante empêche cependant le déploiement de ces investissements, pourtant vitaux pour la reconstruction et la stabilisation du pays.

Le véritable problème de l’exécution budgétaire en Haïti réside moins dans le manque de moyens financiers que dans l’absence de capacité institutionnelle et de gouvernance rigoureuse. « À la fin de l’année, il faut rendre des comptes. Et si les procédures ne sont pas respectées, l’argent reste là, inutilisé », dit Kesner Pharel.

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