Après la prise d’assaut de la commune de Croix-des-Bouquets, les gangs armés n’ont pas mis longemps à s’accaparer d’une bonne partie de la commune de Ganthier.
Après la prise d’assaut de la commune de Croix-des-Bouquets, les gangs armés n’ont pas mis longtemps à s’accaparer d’une bonne partie de la commune de Ganthier. Il y a environ un an, le gang « 400 Mawozo » avait incendié le commissariat de Ganthier et détruit d’autres édifices du centre-ville. Le vendredi 23 mai 2025, le poste douanier de Malpasse, situé à Fonds‑Parisien, section communale de Ganthier, était passé sous le contrôle des individus lourdement armés qui y ont installé un poste de rançonnage.
Les gangs armés n’ont pas limité leur conquête à la capitale nationale. Ils ont conquis des territoires dans le département de l’Artibonite. Mais ces derniers mois, c’est le département du Centre qui les obsède. Le jeudi 3 avril 2025, la commune de Saut‑d’Eau dans l’arrondissement de Mirebalais a été prise d’assaut par la coalition de gangs armés « Viv ansanm » après plusieurs mois de résistance. La Ville-Bonheur ne pourra malheureusement pas célébrer la fameuse fête du Mont Carmel le 16 juillet.
Dans la nuit du 31 mars 2025, la coalition de gangs « Viv ansanm », à travers les gangs 400 Mawozo et le gang de Canaan, a attaqué la ville de Mirebalais, ciblant le commissariat et la prison civile, libérant plus de 500 détenus. Les gangs armés se sont par la suite installés dans plusieurs secteurs stratégiques, comme les toits des bâtiments imposants et le lycée national, imposant un contrôle territorial immédiat malgré la riposte policière, accompagnée de la population.
Trois mois plus tard, à compter du jeudi 3 juillet 2025, les mêmes gangs armés passent à l’action pour s’accaparer de la ville de Lascahobas. Fort heureusement, la population résiste encore aux côtés des forces de l’ordre. Avec Lascahobas, les gangs armés semblent viser d’autres villes frontalières du département du Centre. La ville de Belladère où se situe le poste douanier d’Elías Piña / Belladère, à la frontière Haïti/République dominicaine, se trouve à une cinquantaine de kilomètres de Lascahobas. Il s’agit du troisième point commercial le plus important de la frontière haïtiano-dominicaine après Jimaní/Malpasse et Ouanaminthe/Dajabón. Justement, Lascahobas peut servir à connecter les départements du Centre, du Nord et du Nord-Est où se trouve le poste douanier Ouanaminthe/Dajabón.
Dans un contexte de crise sécuritaire sans précédent, Haïti voit ses zones frontalières et ses corridors stratégiques tomber peu à peu sous le contrôle de gangs armés. Si la commune de Lascahobas venait à être conquise, les conséquences seraient dramatiques, tant sur le plan économique que géopolitique.
Un carrefour stratégique vers la frontière haïtiano-dominicaine
La commune de Lascahobas est située à proximité de la frontière avec la République dominicaine. C’est un point de passage important pour les échanges commerciaux officiels et informels entre les deux pays. Sa prise d’assaut par les gangs armés signifierait la perturbation de flux commerciaux importants, notamment de produits alimentaires, de matériaux de construction mais surtout la contrebande d’armes, de munitions et d’autres substances illicites. Ce serait une pression supplémentaire dans les relations haïtiano-dominicaines, déjà sous tension, avec un risque d’escalade et de fermeture complète.
Le département du Centre comporte au moins huit communes qui ont une frontière avec la République dominicaine : Cerca Carvajal, Cerca Lasource, Thomonde, Thomassique, Lascahobas, Belladère, Baptiste et Savanette. La commune de Lascahobas est directement reliée à la commune de Thomonde à travers la section communale de Lahoye. Ces deux communes sont tellement proches que le 13 février 2006, l’administration Alexandre/Latortue avait publié le décret portant amendement de la loi du 18 septembre 1978 sur la délimitation territoriale de la République d’Haïti qui annexe Lahoye à la commune de Thomonde.
L’article 23 dudit décret stipule que : « La troisième section communale Lahoye, appartenant antérieurement à la commune de Lascahobas et se situant de l’autre côté du Lac de Péligre et plus près de la commune de Thomonde, est rattachée désormais à la commune de Thomonde, sous le nom de quatrième section communale Lahoye de Thomonde.» Bien entendu, cet article n’a pas vraiment été suivi d’effet.
À travers Lascahobas, on peut accéder à Thomonde et au haut-Plateau central qui est lui-même connecté aux départements du Nord et du Nord-Est. La chute de Lascahobas ouvrirait un nouveau corridor pour l’expansion des gangs vers le Centre, le Nord et le Nord-Est du pays, menaçant des villes comme Hinche, voire Cap-Haïtien, Fort-Liberté et Ouanaminthe. Après Hinche, la route nationale # 3 se dirige vers Maïssade, puis continue vers Saint-Raphaël et Dondon, plus au nord, vers Cap-Haïtien, la deuxième ville du pays.
De Saint-Raphaël aussi, on peut bifurquer vers Pignon et Ranquitte pour se diriger vers Terrier-Rouge et s’orienter vers Fort-Liberté et Ouanaminthe. Si les gangs armés ont pu conquérir la majeure partie de la zone métropolitaine de Port-au-Prince abritant l’ensemble des forces de l’ordre, on ne saurait prétendre que d’autres grandes villes ou départements seraient exemptés.
Stratégiquement, les autorités devaient protéger à tout prix le Plateau central pour empêcher cette connexion des gangs armés avec le Nord et le Nord-Est. Un point central de cette stratégie de protection aurait été le renforcement du Commissariat de police de Terre Rouge après le Morne-à-cabrits. De par sa position géographique, ce commissariat était plus facile à défendre et rendrait plus difficile la prise d’assaut du département du Centre par les gangs armés. Malheureusement, ce commissariat est passé sous le contrôle des gangs armés depuis le mois de février 2024.
Il importe de souligner également que les gangs armés avaient déjà essayé de contrôler le trafic maritime entre Port-au-Prince et la Côte des Arcadins qui s’étend sur au moins une vingtaine de kilomètres de plage paradisiaque. La voie maritime leur ouvrirait aussi la porte du grand Sud à travers le grand Nord.
Tout semble indiquer que la coalition des gangs armés dispose d’une stratégie de conquête de territoires bien ficelée. La mésentente et l’improvisation visibles au plus haut sommet de l’État leur laissent le champ libre pour mettre leur plan à exécution.
La commune de Lascahobas demeure un point très stratégique et sa prise d’assaut confirmerait un constat clair : l’État haïtien n’est plus en mesure d’assurer sa souveraineté territoriale. Cela ouvrirait la porte à toutes sortes de réactions de la République dominicaine qui peut s’estimer menacée par le contrôle des villes frontalières par les gangs armés qu’elle considère déjà comme des terroristes.
Lascahobas n’est pas qu’une petite commune rurale. C’est un verrou stratégique de sécurité nationale, un centre névralgique du commerce frontalier et un point de transit. Sa perte accélérerait la spirale de chaos, d’isolement et de pénurie encore plus grave que ce que connaît déjà le pays. Préserver Lascahobas, c’est protéger bien plus qu’une ville : c’est défendre un espoir minimal de stabilité et d’avenir pour Haïti.
Dans la bataille pour la souveraineté d’Haïti, la défense de Lascahobas apparaît comme un test décisif, dont l’issue pourrait conditionner l’avenir des régions Nord et Nord-Est, déjà fragilisées par des années de négligence et d’insécurité. Il en est de même pour tout l’arrondissement de Mirebalais incluant la commune de Saut-d’Eau qui doit être repris de la griffe de gangs armés.
Pour le moment, de vaillants policiers, aidés de braves brigadiers, résistent au péril de leur vie. La population civile se mobilise en essayant de venir en aide au gré de leur possibilité, tout en déplorant le faible soutien des autorités, comme c’est le cas à Mirbalais et dans d’autres régions attaquées par les gangs armés.
Source : Le Nouvelliste (Thomas Lalime)