Opinion. L’année 2026 s’annonce pleine de dangers pour la Guadeloupe avec les crises prévisibles de l’agriculture et du BTP

PAR JEAN-MARIE NOL*

Lors de la prochaine année la Guadeloupe se retrouvera  à l’orée d’une séquence historique où les signaux faibles d’hier deviennent les certitudes inquiétantes de demain. L’année 2026 sera-t-elle marquée par une crise financière ? 

Bien que moins violent qu’attendu, l’impact du contexte national et international pourrait de surcroît être « plus durable, plus prolongé » et risque de se « propager » en 2027 et en 2028 avec une crise dans le secteur agricole et du BTP. En résulterait une activité  toujours aussi peu dynamique avec une croissance en berne. En Guadeloupe, les réductions de dépenses publiques pourraient limiter la croissance, car l’on peut déjà observer qu’il y a un risque d’une remontée des taux de crédits, difficile à prévoir, mais qui serait la conséquence de tensions inflationnistes fortes, avec un renchérissement du coût de l’argent préjudiciable pour le marché immobilier et du BTP.

Le plus grand risque pour l’économie de la Guadeloupe en 2026 pourrait provenir non pas d’un cycle de refroidissement ou d’une erreur politique imputable au changement institutionnel, mais des vulnérabilités de certains secteurs d’activités.

À l’horizon 2026, tout indique que le secteur du bâtiment et des travaux publics s’engage sur la même pente de déclin que celle qu’a connue l’agriculture au cours des dernières décennies. Longtemps perçu comme un pilier de l’économie locale, un amortisseur social et un moteur d’emplois peu délocalisables, le BTP apparaît aujourd’hui fragilisé en profondeur, pris dans un enchevêtrement de contraintes structurelles, conjoncturelles et institutionnelles qui rappellent, point par point, les mécanismes ayant conduit à l’érosion progressive du monde agricole.

Le contexte général dans lequel s’inscrit cette crise est lourd de symboles et de réalités. Incertitudes politiques, désordre institutionnel persistant, défiance croissante des investisseurs, dérèglement climatique, sargasses envahissant les rivages, héritage toxique du chlordécone, montée des violences et du narcotrafic : la Guadeloupe donne l’image d’un territoire soumis à des tensions multiples, où l’accumulation des fragilités finit par miner les secteurs productifs les uns après les autres.

L’agriculture a été la première à subir ce lent processus d’érosion, marginalisée dans l’économie, privée de perspectives de compétitivité, enfermée dans des coûts de production incompatibles avec les règles du commerce international. Le BTP semble aujourd’hui suivre un chemin étrangement similaire.

L’histoire économique récente de la Guadeloupe éclaire cette trajectoire. À la départementalisation, l’option retenue reposait sur une croyance forte : l’injection massive de transferts publics suffirait à enclencher un cycle de croissance auto-entretenu, selon le schéma keynésien dominant de l’époque. Les dépenses publiques, les hausses de rémunération des fonctionnaires, les prestations sociales et les investissements ont effectivement permis une élévation rapide du niveau de vie et un rattrapage en matière d’infrastructures.

Mais, cet essor par la demande s’est construit sur un appareil productif fragile, hérité de l’économie de plantation et de comptoir, incapable de répondre durablement à la dynamique enclenchée. La consommation des ménages est ainsi devenue le véritable moteur de l’économie, largement supérieure à la production locale, créant une dépendance structurelle aux importations.

C’est précisément ce déséquilibre qui a condamné l’agriculture à un rôle marginal. Avec seulement 3 % de la population active en Guadeloupe, elle ne pouvait plus prétendre être un moteur de développement. Les coûts salariaux élevés, conséquence logique de la parité sociale, ont rendu les productions locales non compétitives face aux importations, malgré des subventions européennes massives. Le résultat est connu : un secteur affaibli, dépendant des aides, incapable de générer de la richesse endogène, et progressivement relégué à une fonction résiduelle, essentiellement tournée vers l’autoconsommation ou des niches.

Le BTP, toutes proportions gardées, se retrouve aujourd’hui confronté à une logique comparable. Longtemps soutenu par la commande publique, le logement social, les grands chantiers d’infrastructures et l’investissement immobilier des classes moyennes, il dépend lui aussi largement de flux financiers exogènes et de décisions publiques. Or ces moteurs se grippent simultanément. La commande publique se fait rare et surtout imprévisible, minée par des délais de paiement chroniques qui étranglent les entreprises. Les retards, souvent de plusieurs mois, privent les acteurs du secteur de trésorerie, entraînant refus de livraison, accumulation de dettes sociales et fiscales, et, dans certains cas, la perspective pure et simple de la cessation d’activité.

Les indicateurs conjoncturels confirment cette dégradation profonde. Entre mars et octobre 2025, l’emploi intérimaire dans le BTP s’effondre de plus de 20 %, signal clair d’un ralentissement brutal de l’activité réelle. La construction de logements individuels recule continûment, tandis que les ventes de ciment en vrac poursuivent une baisse entamée depuis plus de quinze ans. Le paradoxe des permis de construire, nombreux sur le papier mais rarement transformés en chantiers effectifs, traduit une crise de confiance généralisée et une incapacité à boucler financièrement les projets.

À ces difficultés structurelles s’ajoute une conjoncture particulièrement défavorable. La hausse rapide des taux d’intérêt, passée de 1 % à près de 4 %, a exclu du marché une large part des ménages, notamment les primo-accédants. La suppression du prêt à taux zéro dans le neuf, combinée à l’augmentation du coût des matériaux et aux exigences accrues de la réglementation environnementale, a transformé l’accession à la propriété en parcours quasi inaccessible pour les classes moyennes et modestes. L’immobilier, autrefois valeur refuge et socle de constitution patrimoniale, connaît une chute des transactions et des prix qui se répercute directement sur l’activité des entreprises du bâtiment.

L’année 2026 pourrait marquer un point de bascule avec l’entrée en vigueur du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne. Cette taxe carbone, appliquée à des intrants essentiels comme le clinker, l’acier ou l’aluminium, frappe de plein fouet des territoires insulaires totalement dépendants des importations. En Guadeloupe, où plus de 140 000 tonnes de clinker sont importées chaque année, la hausse du prix du ciment et du béton pourrait atteindre des niveaux incompatibles avec les budgets des appels d’offres déjà définis. Le risque est clair : des marchés infructueux, des projets abandonnés, en particulier dans le logement social, et un ralentissement supplémentaire d’une activité déjà exsangue.

Cette nouvelle contrainte rappelle, là encore, ce qu’a vécu l’agriculture. Dépendante d’intrants importés, notamment l’azote pour les engrais, elle se trouve elle aussi exposée à une hausse massive des coûts de production, estimée jusqu’à 20 %. Dans un secteur déjà fragilisé, cette inflation supplémentaire apparaît comme une double peine, contredisant les discours politiques sur l’autonomie alimentaire et la lutte contre la vie chère. Le parallèle est saisissant : comme l’agriculture hier, le BTP aujourd’hui se heurte à des règles pensées pour des économies continentales, sans réelle adaptation aux handicaps structurels des territoires ultramarins.

Le danger majeur réside dans le caractère systémique de cette crise. Le BTP représente plus de 14 % des entreprises guadeloupéennes et irrigue de nombreux secteurs connexes. Son affaissement entraîne mécaniquement des pertes d’emplois, une baisse des revenus, une contraction de la consommation et, in fine, un affaiblissement supplémentaire de l’économie locale. À l’image de l’agriculture, le secteur risque de glisser vers une forme de survie administrée, dépendante d’aides ponctuelles, sans véritable perspective de développement autonome.

Ce qui se profile pour 2026 n’est donc pas une simple mauvaise passe conjoncturelle, mais bien l’accélération d’un déclin déjà engagé. Comme pour l’agriculture, le BTP paie le prix d’un modèle économique fondé sur la consommation, les transferts publics et l’importation, dans un environnement où la compétitivité productive locale reste structurellement entravée. Sans remise à plat profonde des mécanismes de financement, de la commande publique, de l’adaptation des normes et de la prise en compte des spécificités ultramarines dans les politiques européennes, le secteur de la construction pourrait connaître le même sort que le monde agricole : une lente marginalisation, lourde de conséquences sociales et économiques pour la Guadeloupe. L’urgence n’est plus à la simple observation, mais à la lucidité et à l’action, tant il est désormais clair que le déclin de la croissance de la Guadeloupe n’est plus une hypothèse, mais une trajectoire en train de se dessiner.Si la productivité faiblit au moment où le marché du travail se refroidit, un ralentissement des embauches pourrait se répercuter sur la consommation et déclencher un repli plus profond de l’économie de la Guadeloupe pour 2026.

 » Piman-la pa ka janmè montwé fos ay  »  

Littéralement    :  Le piment ne montre jamais sa force

Moralité      :  Méfiez-vous de l’eau qui dort

*Economiste et juriste en droit public 

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