Opinion. Le jeu trouble de démagogie et d’irresponsabilité de députés d’Outre-mer qui font le jeu des extrêmes

PAR JEAN-MARIE NOL*

Il est un paradoxe saisissant dans la vie politique française : ceux de députés qui se posent en remparts contre la montée du Rassemblement national en viennent aujourd’hui, par calcul ou inconscience, à lui ouvrir la voie royale du pouvoir.

C’est précisément ce que révèle le comportement d’un groupe de députés socialistes d’outre-mer – Christian Baptiste, Béatrice Bellay, Élie Califer, Philippe Naillet et Jiovanny William – qui, selon une dépêche de l’AF,P ont décidé de voter la motion de censure contre le gouvernement de Sébastien Lecornu, malgré la consigne claire du Non à la censure du Parti socialiste.

En s’associant à un geste politique dont les conséquences pourraient provoquer la chute du gouvernement et, à terme, la dissolution de l’Assemblée nationale, ces élus offrent en fait, à l’insu de leur plein gré, de manière totalement irresponsable un tremplin inattendu à Marine Le Pen et à Jordan Bardella pour une prochaine accession aux responsabilités du pouvoir en France. Force est de souligner qu’ils en seront tous comptables dans le futur.

Ce choix aventureux s’inscrit dans une confusion politique généralisée, où les repères idéologiques se brouillent au profit d’un réflexe identitaire et protestataire. En affirmant vouloir adresser un signal d’alerte à un gouvernement accusé de « désamour envers les territoires ultramarins », ces députés semblent ignorer qu’ils alimentent une mécanique politique qui ne profite qu’aux extrêmes.

Cette irresponsabilité, habillée des atours d’une résistance politique locale , traduit surtout un désarroi collectif : celui d’une gauche en perte de repères, d’un centre affaibli, d’une droite divisée et d’une société qui ne croit plus en la capacité des partis traditionnels à améliorer le quotidien.

L’ironie du moment tient dans cette posture schizophrénique : dénoncer la dangerosité du Rassemblement national tout en contribuant à créer les conditions de sa prochaine victoire. Car le RN prospère en Outre-mer d’autant plus facilement qu’il bénéficie d’un désenchantement profond et d’une indifférence croissante à l’égard de son idéologie d’extrême-droite.

Les attaques sur son discours xénophobe, sur le manque de cohérence économique de son programme ou sur le racisme latent de ses cadres ne produisent plus d’effet. Marine Le Pen a su incarner autre chose : la promesse confuse d’un changement, d’un « grand dégagisme » qui séduit même des électeurs sans affinité partisane, notamment en Outre-mer.

La progression du RN dans les territoires ultramarins est un phénomène récent mais significatif. En Guadeloupe, en Martinique et plus encore à La Réunion, les scores obtenus lors des dernières élections européennes traduisent une tendance lourde : l’électorat des classes populaires, des zones rurales et des territoires marginalisés bascule peu à peu de façon massive dans le camp populiste et protestataire.

Dans ces sociétés où la défiance envers la politique s’est enracinée, le vote RN apparaît comme un cri, celui des « oubliés » qui se sentent pris entre l’élite libérale, perçue comme distante et méprisante, et les catégories sociales jugées « assistées », souvent instrumentalisées par le discours populiste.

Le terreau de cette montée n’est pas idéologique, il est social. C’est le sentiment de déclassement, l’impuissance face à la vie chère, la désillusion face à la départementalisation perçue comme une promesse de progrès non aboutie, et la peur d’un avenir où l’ascenseur social ne fonctionne plus.

À cela s’ajoute une inquiétude plus diffuse : celle d’une austérité annoncée, alors que le modèle social français, dont les Outre-mer sont de grands bénéficiaires, n’est plus soutenable qu’à crédit. Cette peur du lendemain, cette conscience que les largesses de l’État ne pourront se poursuivre indéfiniment, nourrissent une forme de panique politique que le RN exploite avec une efficacité redoutable.

La responsabilité de ces députés socialistes d’Outre-mer est donc immense. Leur vote de censure n’exprime pas seulement une opposition à une politique gouvernementale jugée injuste, il alimente surtout une crise démocratique où le désenchantement devient le moteur du vote extrême.

En voulant sanctionner un exécutif impopulaire, ils risquent de précipiter un bouleversement politique majeur, une dissolution de l’Assemblée nationale qui ouvrirait un boulevard au Rassemblement national. Le paradoxe serait alors total : ceux qui se présentent comme les défenseurs des valeurs républicaines contribueraient à remettre le pouvoir à un parti dont l’idéologie menace la cohésion même de la République.

Mais, la montée du RN en Outre-mer ne s’explique pas uniquement par la faute des élus. Elle traduit une aspiration plus profonde, celle d’un électorat qui veut que la politique redevienne efficace, tangible, concrète. Depuis trop longtemps, les citoyens d’Outre-mer ont le sentiment que la politique ne change plus rien à leur vie quotidienne. Les promesses se succèdent, les plans de relance se répètent, les rapports s’empilent, mais les réalités demeurent : chômage de masse et exil des jeunes, dépendance économique, insécurité , coupes budgétaires en raison de la crise de la dette, etc.

Les élus locaux et surtout les députés ne jouent-ils pas avec le feu en minimisant la nouvelle popularité d’une personnalité comme Marine Le Pen et Jordan Bardella en Outre-mer ? Selon nous, c’est le cas, car l’ascenseur social serait présentement bloqué du fait de la crise économique, et cela provoque nécessairement des frustrations qui se manifestent à travers un désir d’alternance du pouvoir.

Aujourd’hui, la question qui se pose est de savoir pourquoi ces députés d’Outre-mer qui sont censés être avant tout des élus de la nation entière font la courte échelle à Marine le Pen et Jordan Bardella pour une prochaine accession au pouvoir. Tout cela sert les intérêts du Rassemblement national, et nul n’ignore qu’il  y aura selon nous en Martinique et surtout en Guadeloupe, une vague de fond aux prochaines élections pour l’extrême-droite.

En vérité, il existe une peur diffuse au niveau d’une certaine frange de la population antillaise que les prochaines réformes du président de la République ne fassent très mal à l’Outre-mer qui est le premier bénéficiaire des largesses du modèle social français, mais dont le financement n’est plus assuré si ce n’est par la dette depuis fort longtemps.

En vérité, la prochaine assemblée en cas de dissolution voire le prochain président de la République quelqu’il soit n’aura aucune marge de manœuvre budgétaire, et l’austérité à venir de façon incontournable affectera au premier chef les régions d’Outre-mer.

D’ailleurs, quasiment  tous les programmes des possibles candidats aux élections législatives coûtent cher, selon les économistes, et surtout les dépenses ne sont pas financées, d’où la forte probabilité d’une future augmentation de la dette et des déficits publics en France.

En effet, dans le contexte actuel, la note prochainement à payer s’annonce salée pour la France. La forte poussée de Marine Le Pen dans les sondages donnée aujourd’hui à 36% au premier tour des élections législatives s’explique pour le moins par les deux quinquennats qui viennent de s’écouler et le vote Le Pen semble désormais avoir sa propre autonomie.

Difficile, en l’état, de se livrer à une lecture quantitative, car la grille historique droite-gauche est désormais brouillée en Guadeloupe et Martinique bien que restant encore à la marge valide en France hexagonale, mais il faut y superposer une autre grille de lecture avec d’un côté des électeurs en colère et de l’autre côté, à droite comme à gauche, des députés qui font preuve de démagogie et qui demeurent très critiques envers Emmanuel Macron. Cette nouvelle ligne de démarcation électorale n’est pas à négliger pour l’analyse du prochain scrutin.

Les citoyens d’Outre-mer souhaitent que la priorité pour tous les responsables politiques est que la politique ne recule plus. Elle a trop reculé, depuis bientôt dix années et il y a de plus en plus une profonde aspiration des citoyens d’Outre-mer à voir les choses changer dans leur pays respectifs, mais certainement pas à n’importe quel prix. 

Le futur de nos pays respectifs est ainsi interpellé par l’attitude de nos députés qui s’apprêtent à faire tomber le gouvernement de Sébastien Lecornu au profit des extrêmes qui réclament à cor et à cri la dissolution de l’Assemblée nationale ainsi que la démission du président Emmanuel Macron, et l’on ne pourra pas continuer longtemps à naviguer dans cette ambiance de schizophrénie entre le clientélisme, la démagogie, l’irresponsabilité  et l’incantation identitaire.

*Economiste et juriste en droit public.

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