Opinion. Vie chère et octroi de mer

La commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le coût de la vie en Outre-mer a auditionné Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des Outre-mer (replay ici), et Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique (replay ici).

Les deux ministres ont évoqué un certain nombre de sujets qui méritent que l’on s’y arrête ici.

Dans leurs propos liminaires, les deux ministres ont rappelé que « la vie chère Outre-mer » s’explique d’abord par les contraintes structurelles et particulières de collectivités ultramarines – en particulier les surcoûts – générées par leur éloignement, leur insularité, leur climat et l’étroitesse des marchés. Bruno le Maire a rappelé, à juste titre, que l’étroitesse des marchés Outre-mer rend très difficile l’atteinte du « seuil de rentabilité » pour les entreprises.

Ceci posé, les deux ministres ont rappelé la part « conjoncturelle » du phénomène de vie chère, et que l’action du Gouvernement avait permis de faire en sorte que le niveau d’inflation soit plus faible Outre-mer que dans l’Hexagone. Bruno le Maire a souligné l’effort budgétaire important consenti par l’Etat à cette fin, notamment par le biais :

– Des taux de TVA réduits générant une dépense pour l’Etat de l’ordre de 4 milliards d’euros par an ;

– Des taux réglementés de ventes (TRV) d’électricité, permettant aux consommateurs (particuliers et entreprises) de bénéficier d’un prix de l’électricité plafonné, générant une dépense budgétaire pour l’Etat de l’ordre de 1,7 milliards d’euros par an ;

– D’une fiscalité réduite et spécifique sur les carburants (avec des recettes affectées aux collectivités territoriales) générant une dépense d’environ 1,5 milliards d’euros par an.

En matière de droit de la concurrence, Bruno le Maire a souligné la « très forte activité » de l’Autorité de la concurrence qui a rendu, depuis 2008, 29 décisions relatives à des pratiques anticoncurrentielles pour un montant total d’amendes de plus de 162 millions d’euros (et 68 décisions de contrôle des concentrations).

Les ministres ont tous deux évoqué leur volonté de proposer au prochain comité interministériel au prochain comité interministériel des outre-mer (CIOM, reporté au 3 juillet prochain) une « réforme en profondeur de l’octroi de mer », avec comme « seul objectif », précise Bruno le Maire, de faire « baisser les prix ».

Les ministres ont souligné qu’il n’était pas question de supprimer l’octroi de mer, ce qui provoquerait « beaucoup de colère et de déception dans les territoire », mais de procéder à une analyse, « produit par produit » visant à vérifier « quels produits mériteraient d’être taxés » pour permettre in fine une « baisse des produits importés n’entrant pas en concurrence avec la production locale ». Les parlementaires, en particulier les députés Philippe Naillet et Perceval Gaillard, ont rappelé que l’octroi de mer représente à La Réunion près de 20 000 emplois et a permis de structurer les principales filières de production locales.

Bruno le Maire s’est voulu rassurant en indiquant que toute réforme se ferait avec l’accord explicite des collectivités locales.

Nous comprenons de l’intervention des deux ministres que le principal enjeu d’une éventuelle réforme de l’octroi de mer consisterait, dans le système actuel, à un réexamen des taux applicables à certains produits importés, ce qui relève pour l’essentiel des compétences des collectivités territoriales concernées. Nous avons souvent eu l’occasion de rappeler que cette possibilité de faire baisser les prix sur toute une série de produits, en particulier de première nécessité, est une faculté à la main des collectivités territoriales ou régionales des DROM concernées (qui fixent les grilles et les taux), lesquelles, de fait, utilisent aujourd’hui ce levier de manière plus ou moins pertinente.

Fondamentalement, l’octroi de mer, par le mécanisme des différentiels, permet aujourd’hui à 26 000 entreprises des DROM de bénéficier d’un soutien crucial à leur développement.

Le ministre Carenco a indiqué lors de son audition que le problème est que « nous n’avons pas d’entreprises Outre-mer ».

Faut-il rappeler qu’au-delà des 26 000 entreprises évoquées, il convient d’ajouter la multitude de toutes petites entreprises de moins de 550 000 euros de chiffre d’affaires (tous secteurs d’activité confondus), qui sont essentielles à la structuration économique et sociale de nos territoires (des artisans, des commerçants…), et qui sont aujourd’hui non-assujetties à l’octroi de mer.

Sans cette disposition de non-assujettissement validée par l’Union européenne lors de la dernière reconduction du régime (que nous avions fortement poussée), ces entreprises auraient probablement en grande partie disparu. Au passage, lorsque les ministres évoquent comme élément de réforme possible « un passage en revue » des produits protégés et des produits importés, préalable à la suppression possible de la taxation d’octroi de mer des produits importés n’entrant pas en concurrence avec les produits protégés de production locale, comment mesure-t-on l’impact sur ces petites entreprises, qui, en étant non-assujetties, ne sont pas soumises à l’obligation de déclarer trimestriellement leur production auprès de la recette des douanes et ne sont donc pas « répertoriées » ?

Les ministres ont évoqué le fait qu’aucune réforme ne se ferait sans l’accord explicite des collectivités territoriales. Les ministres auraient pu ajouter à cela : « et sans l’accord des principaux acteurs économiques concernés ». Les entreprises sont (aussi) les principales concernées par ce régime. Dans la mesure où la fiscalité doit fondamentalement être conçue dans le sens le plus favorable à la production locale et à l’économie de nos régions, en lien avec les stratégies de développement portées par les acteurs des territoires, nous ne doutons pas que nous serons entendus.

Par ailleurs, le ministre Jean-François Carenco a indiqué qu’il proposerait au prochain CIOM la « création de zones franches globales » pour les DROM. De notre côté, nous formulons simplement le vœu que les ajustements demandés depuis des années (issus d’engagements pris par les Gouvernements précédents) visant à améliorer les dispositifs existants soient enfin tenus.

Ainsi par exemple, sur le régime de la Zone Franche Nouvelle Génération (ZFAng), nous plaidons pour que tous les secteurs du nautisme et de l’industrie puissent (enfin) — en toute cohérence avec les autres dispositifs et en toute logique économique et de développement territorial — bénéficier des abattements renforcés sur les bénéfices prévus par le régime actuel des zones franches.

Nous avons entendu le ministre Bruno le Maire évoquer à plusieurs reprises son attachement au développement de l’industrie et des infrastructures (portuaires notamment), moteurs de la création de valeur ajoutée outre-mer selon lui. Nous souscrivons pleinement à cela et nous avons fait de nombreuses propositions en ce sens. Celle évoquée ci-avant concernant la ZFANG en fait partie.

Mais aussi celles concernant l’amélioration des délais de paiement (véritable facteur de vie chère et frein majeur à l’accélération du financement des infrastructures publiques) ou encore celles concernant la meilleure prise en compte de la maille des projets Outre-mer dans les appels à projets et les appels à manifestation d’intérêts engagés par le Gouvernement et l’attribution de lignes budgétaires dédiées à l’appui à l’ingénierie de projets pour mieux répondre aux exigences fixées par les cahiers des charges…

Aucun de ces sujets n’a été évoqué au cours de l’audition des ministres. Importants, nous espérons qu’ils trouveront quelques réponses concrètes et opérationnelles avec le CIOM. S’agissant du soutien à l’industrie, des apports pourront aussi être pris en considération dans le cadre des débats à venir sur le projet de loi industrie verte. Nous y travaillons.

Enfin, s’agissant de la réforme à venir des aides fiscales à l’investissement productif outre-mer, les ministres ont rappelé que mission confiée à l’inspection générale des finances doit rendre ses conclusions durant l’été, avec comme objectif principal le « verdissement de l’économie ».

Source : FEDOM

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