Pr Aimé Charles-Nicolas : « La détestation de l’Autre est exactement ce que combat Fanon »

Autour du thème, Frantz Fanon : le guerrier silex, un colloque scientifique clôture le centenaire Frantz Fanon, samedi 31 mai, à l’hôtel Karibea de Sainte-Luce. Entretien avec le Pr Aimé Charles-Nicolas à l’initiative de cet événement avec l’association First Caraïbes.

Le centenaire de la naissance de Frantz-Fanon, psychiatre engagé, a été nourri par de nombreuses actions. Un colloque scientifique clôturera l’événement. De quoi sera-t-il question ?

Pr Aimé Charles-Nicolas : Le colloque est la partie visible d’un iceberg qui a permis un travail d’information au sein de la population sur Frantz Fanon et sur sa pensée.

La Martinique a été traversée par une période extrêmement difficile avec des incendies, des pillages… Comme une sorte de fièvre éruptive, une période de chaos, autodestructrice.

Aimé Césaire qui surnommait Frantz Fanon, « le guerrier silex », disait : « Il y a des vies qui constituent des appels à vivre. » Le travail que nous avons fait en amont de ce colloque, c’est un appel à vivre. Quand Césaire parle de « vies qui constituent des appels à vivre », il évoque le caractère inspirant, éminemment optimiste et volontaire de Frantz Fanon. J’aimerais inculquer cette notion à la population de la Martinique qui a été gagnée par ces autodestructions répétitives très impressionnantes.

N’est-ce pas le signe que les enseignements de ces figures inspirantes nous échappent ?

Oui ! Il y a une tendance à tordre le message de Césaire, comme celui de Frantz Fanon. C’est une dérive identitariste grave à la Martinique avec une obsession afro-descendante qui est essentialiste. Cet aspect sera traité dans l’un des exposés du colloque par Philippe Pierre-Charles, agrégé d’histoire.

Il y a une opposition claire entre cette dérive identitariste essentialiste qui est une racialisation de la pensée de Frantz Fanon. Aujourd’hui, nous assistons à un retour dramatique de l’obscurantisme, avec cet essentialisme, un retour du racisme et même de la haine du migrant, de l’Autre. Cette détestation de l’Autre est exactement ce que combat Frantz Fanon.

Plusieurs actions de sensibilisation à l’œuvre et à la pensée de Frantz-Fanon ont été mises en place en amont du colloque scientifique…

En organisant des visioconférences dans le Nord, le Sud et le Centre de la Martinique, nous avons fait œuvre de décentralisation pour permettre à tous de mieux connaître la pensée de Frantz Fanon avec cette perspective objective de ne pas « tordre » sa pensée.

Comment ce travail de sensibilisation se poursuivra-t-il ?

Des podcasts éducatifs avec l’association Oliwon La Karayib permettront de transmettre ce colloque, ainsi qu’un live Facebook… Depuis très longtemps, nous avons travaillé à l’émancipation de la population avec la pensée de Fanon, mais aussi celles d’autres figures inspirantes. Le colloque consacré à Frantz Fanon n’est qu’un moment. Les ateliers d’intelligence collective, les webinaires… ont permis d’effectuer un travail de fond depuis 2020, tant en Guadeloupe qu’en Martinique.

Il y a aussi des publics plus « réticents », plus difficiles à atteindre. Mais, en réfléchissant avec les chefs d’entreprise, on s’est rendu compte qu’il y a chez Frantz Fanon une dimension universaliste, une dimension humaniste, une dimension anti-raciste, anti-essentialiste. Toutes ces dimensions ont été développées par les chefs d’entreprise au fur et à mesure de l’approfondissement de la pensée de Frantz Fanon.

Parmi les publics que vous avez impliqués à ce centenaire, figurent les scolaires ?

Le concours que nous avons mis en place à destination des élèves continuera de germer. Le centenaire de Frantz Fanon offre l’opportunité d’éveiller la curiosité des élèves sur des enjeux fondamentaux liés à l’histoire, à la philosophie et à la citoyenneté. Parmi les établissements impliqués, il y a le lycée Victor-Anicet (Saint-Pierre) à vocation artistique. Il y a une volonté de ne pas réserver la pensée de Frantz Fanon à une élite d’un lycée littéraire, mais de l’ouvrir à toutes les filières. Ce travail initié avec les scolaires va se poursuivre. Ce sont des semences qui vont faire un travail de maturation chez les jeunes pour créer un équilibre de la pensée entre ce qu’on est et ce qu’on voit pour considérer l’Autre de manière humaniste et très bienveillante.

Il faut se souvenir que Frantz Fanon était psychiatre. Il dit qu’il était très respectueux de ses patients, extrêmement bienveillant. À son époque, il y avait un pouvoir médical, une certaine hauteur : certains médecins étaient plutôt méprisants à l’égard de certains malades. Il est important de contextualiser le travail et la réflexion de Frantz Fanon pour se rendre compte de son caractère novateur.

Psychiatre, essayiste…, Frantz Fanon a aussi légué des pièces de théâtre, dont l’une, Les Mains parallèles, a été mise en scène à l’occasion du centenaire.

Oui. C’était une première mondiale : cette pièce n’est pas connue, et elle est peu facile d’accès, mais cette mise en scène des Mains parallèles permettra de comprendre l’évolution de Frantz Fanon, jeune. Il est encore étudiant en médecine quand il rédige ses pièces de théâtre. Sur les trois, il y en a une qui a disparu. Les Mains parallèles est certainement la plus emblématique de la pensée et de l’ouverture de Frantz Fanon sur la pensée existentialiste et sur la poétique de Césaire !

Propose recueillis par Cécilia Larney

Samedi 31 mai : colloque scientifique international. Karibéa hôtal, Sainte-Luce, de 8 h 30 à 18 h 30. Inscription obligatoire : firstcaraibes@orange.frhttps://www.billetweb.fr/colloque-scientifique…

Les intervenants

Des orateurs de renommée internationale participent au colloque scientifique consacré à Frantz Fanon, ce samedi 31 mai : Jean Khalfa, professeur à Cambridge University, co-auteur de Frantz Fanon, écrits sur l’aliénation et la liberté, Adam Shatz, rédacteur en chef à la London Review of Books, auteur de Frantz Fanon, une vie en révolutions,Robert Young, historien et théoricien du postcolonialisme, co-auteur de Frantz Fanon, écrits sur l’aliénation et la liberté, Lydie Esther Moudileno, professor of French Chair, University of SouthernCalifornia, Myriam Cottias, historienne, directrice de recherches au CNRS,Serge Domi, sociologue, Philippe Pierre-Charles, agrégé d’histoire, Danièle Obono, députée, Myriam Moïse, Université desAntilles, docteure en études post-coloniales.

  • L’acteur Alexandre Bouyer qui incarne Fanon dans le film-événement de Jean-Claude Barny sera également présent.
  • Le colloque présentera les lycéens lauréats du concours scolaire Centenaire Frantz Fanonqui parleront de leur ressenti à la lecture d’un ouvrage de Frantz Fanon.
  • Une prestation de Maher Beauroy, dont l’album Insula invite à un voyage musical, entre l’Algérie de Fanon et la Martinique, clôturera le colloque.
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